Atlantico : Certains physiciens soupçonnent depuis longtemps que de mystérieuses particules « fantômes » présentes dans le monde qui nous entoure pourraient grandement faire progresser notre compréhension de la véritable nature de l’Univers. Les scientifiques pensent désormais avoir trouvé un moyen de prouver leur existence. Que sont ces mystérieuses particules fantômes ? Quelles sont leurs particularités et spécificités ?

Jan Stark : Depuis les travaux de l’astrophysicien suisse Fritz Zwicky au début des années 1930 nous savons qu’il y a une lacune majeure dans notre compréhension des lois fondamentaux de la Nature. Cette lacune persiste à ce jour. Il étudiait la vitesse de rotation des étoiles dans une galaxie autour du centre de la galaxie. La vitesse des étoiles peut être prédite à partir des lois de la gravitation et des positions des objets massifs (étoiles, poussière, …) dans la galaxie. Mais les vitesses mesurées diffèrent des vitesses prédites ! Ce problème pourrait être dû à une limitation de notre compréhension des lois de la gravitation. Ou il pourrait être dû à la présence d’objets massifs que nous n’avons pas encore trouvés. Ces objets hypothétiques sont appelés « matière sombre » car, s’ils existent, ils n'émettent pas de lumière visible. Les données dont nous disposons aujourd’hui privilégient la piste de la matière sombre – un « nuage » d’un grand nombre de particules qui interagissent avec les autres particules via la gravitation et, nous l’espérons, via une autre force. Mais personne n’a jamais réussi à détecter l’une de ces particules dans un détecteur sur terre, d’où les noms « particule fantôme » ou « particule cachée ».

Les scientifiques européens du CERN vont lancer la construction d'un nouvel accélérateur de particules, dans l'espoir d'identifier enfin les "particules cachées", ces particules fantômes de l'Univers. Comment les scientifiques peuvent parvenir à prouver leur existence ? Les travaux et projets du Cern, qui a approuvé une expérience afin de trouver des preuves, sont-ils prometteurs ?

Les scientifiques qui travaillent au CERN vont construire un nouvel détecteur de particules, le détecteur SHiP. Il sera installé auprès des accélérateurs existants au CERN, ce qui représente d’importantes économies.

La façon la plus élégante et la plus convaincante de prouver l’existence de ces particules consiste à trouver un moyen de les produire dans l’environnement contrôlé d’un laboratoire et de construire un détecteur qui met en évidence soit l’interaction de ces particules avec la matière du détecteur, soit la désintégration de ces particules en d’autres particules qui elles interagissent avec le détecteur. L’expérience SHiP vise à produire les « particules cachées » en balançant des protons de haute énergie sur un bloc de matière dense (« la cible »). Les chocs entre les protons et les noyaux atomiques dans la cible libèrent de l’énergie qui peut ensuite se transformer en particules – dans la plupart des cas en particules que nous connaissons déjà (protons, pions, …). Sous certaines conditions, et seulement pour une fraction très petite des protons envoyés sur la cible, l’énergie libérée peut se transformer en une « particule cachée ». Cette expérience est effectivement très prometteuse.

Le nouveau projet SHiP (Search for Hidden Particles) semble être mille fois plus sensible à ces particules que les appareils précédents, dont le grand collisionneur de hadrons (LHC) ? Les particules seront-elles projetées contre une surface solide, et non plus les unes contre les autres comme dans les accélérateurs actuels ? Faut-il s’attendre à l’avenir à des résultats qui pourraient permettre d’en savoir plus sur le fonctionnement et la composition de l’Univers ? Cela pourrait-il redéfinir la compréhension de la création de l'Univers ?

La technique expérimentale la plus importante en physique des particules consiste à créer des chocs entre deux particules. Dans le choc, une partie de l’énergie cinétique des particules est « libérée » : l’énergie peut se transformer en nouvelles particules qui peuvent ensuite être étudiés. La façon la plus simple à réaliser ces chocs consiste à utiliser un champ électrique pour accélérer des protons (des noyaux d’hydrogène) et de les balancer sur un bloc de matière dense (« la cible »). Cette technique est utilisée depuis 1932 et a permis de nombreuses découvertes. Elle a cependant une limitation majeure : seule une petite fraction de l’énergie des protons est disponible pour créer de nouvelles particules ; le gros de l’énergie servira à éjecter les nouvelles particules de la cible, à grande vitesse. Avec des collisions symétriques de deux protons qui se déplacent dans les deux directions opposées dans le LHC, quasiment toute l’énergie des protons est disponible pour créer de nouvelles particules. La technique des collisions symétriques est la seule à permettre l’observation de particules lourdes comme le boson W ou le boson de Higgs. La technique des protons balancés sur une cible garde l’avantage de créer un très grand taux d’interactions et elle permet ainsi de chercher des particules de masse intermédiaire qui interagissent trèsrarement. C’est le principe de SHiP. Les collisionneurs comme le LHC sont des instruments bien plus polyvalents que SHiP. Mais SHiP apportera sa pièce au puzzle. L’observation de « particules cachées » dans SHiP serait en effet révolutionnaire.

En quoi cette nouvelle expérience marque une nouvelle ère dans la recherche de particules cachées, fantômes et dans le domaine de la physique ? Les travaux des scientifiques du CERN vont-ils pouvoir résoudre plusieurs des problèmes majeurs de la physique des particules ? Sera-t-il possible de découvrir des particules qui n'ont jamais été observées auparavant ?

La physique des particules se trouve actuellement dans une ère particulièrement excitante. Au cours des dernières décennies, les physiciens ont établi une théorie qui est conceptuellement très belle et qui décrit en détail beaucoup d’aspects des particules élémentaires et de leurs interactions : « le modèle standard ». En même temps, nous disposons d’observations expérimentales, comme par exemple les mesures des vitesses de rotation des galaxies, qui ne sont pas expliqués par le modèle standard. Ce modèle est manifestement incomplet. Pire : le modèle standard ne nous donne aucune indication claire qui pourrait guider le travail pour élaborer une théorie plus complète. Nous avons besoin de l’aide de la Nature pour nous guider ! Cette aide arrivera sous la forme de nouvelles découvertes dans l’une de nos expériences. Les physiciens avancent sur différentes frontières de la connaissance humaine : à la « frontière de l’intensité », p.ex. avec l’expérience SHiP, à la « frontière en énergie » avec le collisionner LHC qui est actuellement en prise de données au CERN et avec le futur collisionneur FCC, et à la « frontière de précision » avec d’autres expériences. L’expérience SHiP, avec l’énorme quantité d’interactions produites pourrait mettre en évidence des particules « cachées » qui n’interagissent que très rarement avec la matière qui nous entourne. SHiP repoussera ainsi la limite de nos connaissances à la frontière d’intensité. Le LHC, avec ses collisions symétriques à grande énergie qui permettent de produire des particules très massives, est en train de repousser la frontière en énergie. Le futur collisionner FCC qui est actuellement en cours d’étude permettra d’étudier des domaines en masse et en énergie qui étaient jusqu’à présent inimaginables. J’ai hâte de voir dans quelle direction la Nature va nous guider !

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Les scientifiques européens du CERN se lancent à la recherche de mystérieuses particules fantômes

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01.04.2024

Atlantico : Certains physiciens soupçonnent depuis longtemps que de mystérieuses particules « fantômes » présentes dans le monde qui nous entoure pourraient grandement faire progresser notre compréhension de la véritable nature de l’Univers. Les scientifiques pensent désormais avoir trouvé un moyen de prouver leur existence. Que sont ces mystérieuses particules fantômes ? Quelles sont leurs particularités et spécificités ?

Jan Stark : Depuis les travaux de l’astrophysicien suisse Fritz Zwicky au début des années 1930 nous savons qu’il y a une lacune majeure dans notre compréhension des lois fondamentaux de la Nature. Cette lacune persiste à ce jour. Il étudiait la vitesse de rotation des étoiles dans une galaxie autour du centre de la galaxie. La vitesse des étoiles peut être prédite à partir des lois de la gravitation et des positions des objets massifs (étoiles, poussière, …) dans la galaxie. Mais les vitesses mesurées diffèrent des vitesses prédites ! Ce problème pourrait être dû à une limitation de notre compréhension des lois de la gravitation. Ou il pourrait être dû à la présence d’objets massifs que nous n’avons pas encore trouvés. Ces objets hypothétiques sont appelés « matière sombre » car, s’ils existent, ils n'émettent pas de lumière visible. Les données dont nous disposons aujourd’hui privilégient la piste de la matière sombre – un « nuage » d’un grand nombre de particules qui interagissent avec les autres particules via la gravitation et, nous l’espérons, via une autre force. Mais personne n’a jamais réussi à détecter l’une de ces particules dans un détecteur sur terre, d’où les noms « particule fantôme » ou « particule cachée ».

Les scientifiques européens du CERN vont lancer la construction d'un nouvel accélérateur de particules, dans l'espoir d'identifier enfin les "particules cachées", ces particules fantômes de l'Univers. Comment........

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