Du 27 février au 28 avril 2024, la Bibliothèque nationale de France François Mitterrand a exposé à Paris une sélection d’archives du groupe punk français Bérurier noir. Le fonds est constitué des donations de FanXoa (François Guillemot) et mastO (Thomas Heuer), chanteur et saxophoniste du groupe. En 2021, ils ont tous deux confié une partie de leurs souvenirs à la BnF, suite à une sollicitation de Benoît Cailmail, adjoint au directeur du département de la Musique.

Je ne suis ni musicologue, ni spécialiste de Bérurier noir ou des différentes expériences punks en France ; comme d’autres de ma génération, j’ai vécu (et un peu écrit sur) quelques-unes de ces aventures – voilà tout. Au départ, je me suis dit que ça ne faisait peut-être pas beaucoup, ou pas assez, pour accepter l’invitation de Clea Chakraverty (The Conversation) à engager la discussion autour des archives bérurières. Mais puisqu’à travers elles il s’agissait d’évoquer une époque, une jeunesse française et ses rébellions, ça valait la peine de franchir le seuil de la Galerie des Donateurs, où quelques fragments de la vie du groupe sont exposés.

Des punks à la BnF ? On peut s’en étonner, s’en amuser ou – pour les puristes antisystèmes – le déplorer. L’exposition est située avenue de France, à Paris. Je ne peux donc m’empêcher de penser aux anciens lieux de la Zone qui se trouvaient là, tout près : vers la Butte-aux-Cailles et la Poterne des Peupliers ou, un peu plus à l’Est, entre les portes de Choisy et d’Ivry ; la « honte » de leurs « tristes tours » a d’ailleurs été vilipendée par Dominique Perrault, l’architecte de la BnF François Mitterrand.

Déjà au tournant du XXe siècle, La Zone était décrite comme une « honte de Paris », avec ses taudis disséminés aux frontières de la capitale. Cet espace (im)possible logeait tout un peuple des marges, souvent criminalisé et vivant en majorité des « petits métiers » photographiés par [Eugène Atget]. On disait aussi qu’elle était le refuge des Apaches, ces prétendus gangs de voyous tatoués dont les journaux tenaient les comptes – ou les contes – des méfaits.

Définitivement effacée du sol de Paris par les travaux du périphérique urbain (1956-1973), la Zone a poursuivi sa route comme signifiant des marges et des transgressions. C’est dans ce sens qu’on la retrouve en filigrane dans l’histoire de Bérurier noir ; elle apparaît dans le style artistique, indissociable de tout un style de vie, tout comme elle est estampillée dès 1987 sur l’album Abracadaboum. Tandis que la pochette affiche le label (fictif) du « Folklore de la Zone Mondiale », le premier titre de l’opus est « Nuit apache ».

Aujourd’hui, les « Archives de la Zone Mondiale » sont le label indépendant qui conserve la mémoire vive du punk français – celle des Bérus et bien d’autres. On voit apparaître ces références dans l’exposition, où une photographie m’a sauté aux yeux : celle de FanXoa et Loran aux puces de Saint-Ouen, sur les anciens terrains des zoniers où les chercheurs de pépites underground (disques, vêtements, etc.) ont continué de « zoner ».

Je ne sais pas dans quelle mesure les Bérus des années 1980 pouvaient être conscients – ou pas tant que ça – de l’héritage des subcultures marginales associées aux Apaches et à la Zone historique. L’important ne me semble pas être là, mais plutôt dans le potentiel de subversion qui peut s’exprimer en 4 lettres – « Zone », « Béru », « punk », « rock », etc. –, à partir du moment où l’on s’interdit d’en arrêter une définition ; ce que font toujours plus ou moins les institutions…

Mais la force de cette exposition, réalisée par Émilie Kaftan, est qu’elle ne tombe pas dans le piège muséographique de cette définition qui dirigerait les sens, dans le même temps qu’elle étoufferait la subversion. Il y a au contraire beaucoup de liberté dans les agencements et comme une volonté d’encourager l’interprétation des objets, de leurs biographies et de leurs récits.

Ça commence avec la poupée – le pantin punk de FanXoa – qui porte un brassard nazi barbouillé de feutre ; il y a aussi ces vestes militaires tâchées qui scandent le refus de l’autorité et, surtout, de l’autoritarisme toujours susceptible de se muer en dictature.

Dès la fin des années 1970, il y a eu un jeu parfois ambigu des punks avec les insignes nazis ; provocation ultime et mal absolu, ou violence-reflet que l’on renvoie à une société qui ne veut pas voir ce qu’elle préfère cacher : la structure des inégalités, le racisme et les abus d’autorité. D’où les masques qu’on porte toutes et tous, et dont la scénographie bérurière a largement fait usage.

Il y a aussi tous ces fragments écrits à la main (paroles, setlists et listes de concerts) qui, dès lors que l’on a en tête les morceaux des Bérus, résonnent à l’esprit comme autant de cris – après tout, écrire et crier sont de quasi-anagrammes. D’ailleurs, je n’ai pu m’empêcher de penser que la musique était trop absente des modules de l’exposition.

Dans le vif des concerts, la subversion jaillissait littéralement des riffs de guitare secs et nerveux de Loran (Katracazos), comme des stridences du saxo de mastO et de la voix de FanXoa. Sans oublier LauL et Dédé – la boîte à rythmes, membre à part entière du groupe qui martelait ses beats minimalistes sur lesquels Mistiti posait ses pas de danseuse-performeuse dont les gestes s’articulaient aux sons de la rébellion.

Il faudrait encore ajouter beaucoup de noms et d’histoires. Car les Bérus se concevaient plus comme une troupe qu’un groupe ; une « raïa » selon leur propre terme, c’est-à-dire une famille choisie, un crew, ou un posse. Avec d’autres, ils ont saturé l’espace sonore des friches et des squats de l’Est parisien : quelques usines désaffectées dont les murs ont tremblé, au cœur des années 1980, sous les coups de boutoir d’un punk français dont Bérurier noir était l’un des groupes-phares.

Il a été fondé un soir de février 1983, lors d’un concert à l’Usine Pali Kao – le dernier des Béruriers (une première formation qui incluait déjà FanXoa) et l’acte de fondation de Bérurier noir.

La Bataille de Pali-Kao donne à entendre l’énergie fondatrice de ce moment. Elle a été livrée à Paris, 22 rue de Pali-Kao, dans une ancienne papeterie du quartier de Belleville ; au début du siècle, c’était le quartier des Apaches et Médéric Chanut – leur tatoueur – a tenu son officine dans l’arrière-salle d’un bistrot de la même rue.

De loin en loin, les punks faufilés dans ces restes d’usine, dont le « père Chanut » croisait quotidiennement les cohortes d’ouvriers, ont ravivé une forme « d’apacherie » aussi persistante et fragile qu’un tatouage ; s’il dure une vie, il s’efface lorsqu’elle s’éteint.

C’est sans doute en partie pour cela – et parce qu’il se méfie viscéralement des institutions de l’État – que Loran n’a pas voulu épingler les forces et la fragilité de toute cette rage d’exister sur les murs de la BnF.

Pour lui, ça ne semble pas avoir de sens. Comment faire entrer les nuits survoltées à l’Usine – l’ancienne tannerie de la rue Kléber, à Montreuil, reconvertie en scène punk – dans le jour feutré d’une bibliothèque où l’on se tait ?

L’opposition de Loran à ce projet a été indiquée par FanXoa et mastO, car il ne s’agit à aucun moment d’imposer tel ou tel regard sur le groupe et son histoire.

Aussi brève qu’intense, cette histoire s’est jouée entre deux concerts : le premier à l’Usine Pali-Kao en février 1983, le dernier à l’Olympia en novembre 1989, alors que le Mur de Berlin tombait. Autant de notes qui composent la mémoire vive d’une génération et de ses écorchures ; un peu perdue au beau milieu des années 1980, elle a fait avec la crise économique qui battait son plein, la montée de l’extrême droite en France (dans la rue comme dans les élections) et l’horizon fermé par les impérialismes – soviétique autant qu’américain.

« Une expo, un·e chercheur·euse » est un nouveau format de The Conversation France. Si de prime abord, le monde de l’art et celui de la recherche scientifique semblent aux antipodes l’un de l’autre, nous souhaitons provoquer un dialogue fécond pour accompagner la réflexion sans exclure l’émotion. Cette série de rencontres inattendues vous guidera à travers l’actualité des expositions en les éclairant d’un jour nouveau.

En France, le « tournant de la rigueur » est annoncé en mars 1983 par le ministre des finances Jacques Delors. Comme ailleurs, ce qu’on ne tardera pas à appeler le « néolibéralisme » est présenté comme une nécessité par les gouvernements conservateurs (y en a-t-il d’autres ?). En écho aux propos de Margaret Thatcher – la Première ministre britannique – beaucoup prétendent qu’« il n’y a pas d’alternative » ; ça a donné un acronyme : TINA, pour There Is No Alternative.

À leur manière, les punks ont (un peu) tué Tina ! Ils et elles ont proposé une alternative – et un rock alternatif – qui a scandé leurs désirs doublés d’une ferme intention de résister en passant dans le dos des pouvoirs cherchant à imposer telle façon de vivre ou de penser.

Tout ça est palpable dans l’exposition Béru où les objets, les fragments de texte, les K7 (l’ancêtre matériel de nos playlists virtuelles) et les différents visuels présentent autant de situations où l’urgence d’exister devient une politique de l’instant : c’est toi et moi, ici et maintenant !

Si on ne savait pas toujours ce qu’on voulait, on savait ce qu’on ne voulait pas. Cette négation créatrice m’apparaît comme le ferment d’une véritable volonté de fédérer à la marge, en rassemblant toutes celles et ceux qui ne trouvaient pas leur place et pensaient qu’il y en avait tout de même une à prendre !

Ces idées et cette volonté renvoient aussi à l’histoire – encore largement ignorée – des subcultures, des bandes ou des gangs qui ont incarné les marges en France entre la fin des années 1970 et le début des années 1990.

À de rares exceptions près, les sciences sociales s’y sont très peu intéressées – ou alors de manière désincarnée. Si bien qu’une partie de cette histoire a été racontée par ceux (en grande majorité des hommes) qui l’ont vécue et quelques autres qui l’ont photographiée.

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Yan Morvan a par exemple été le premier à prendre des clichés des Blacks Dragons. Ils se sont formés à Paris en 1983 – dans le sillage de leurs aînés Black Panthers –, en référence au modèle américain et en réaction aux violences racistes ; notamment celles perpétrées par les skins néonazis (boneheads), dont le fantasme était de blanchir la France en commençant par Paris. Morvan et Kizo ont raconté ces histoires, celles des « années rock » comme celles des « années rap ».

Elles ont été en partie vécues par les Béru. Ranx (Julien Terzics) et les redskins (skinheads antifascistes) ont notamment assuré la sécurité des concerts.

Si les punks français se composaient majoritairement d’une jeunesse blanche issue des classes moyennes et populaires, il y avait – tout particulièrement chez les Béru – une véritable volonté d’inclusion qui correspondait à un refus définitif des systèmes d’exclusion : ceux du capitalisme, du racisme et du sexisme.

Une photo de l’exposition montre FanXoa et Loran en compagnie de Madj et Mil, qui les ont invités en 1988 sur Radio Beur dans leur émission « Fusion dissidente », l’une des pépinières radiophoniques du rap français.

Madj deviendra plus tard manager du groupe Assassin. C’est aussi un ancien teddy boy (une subculture dont les origines britanniques mêlaient les influences du RnB et du rock des origines). Il a bien connu Farid et les skinheads des Halles à Paris – premiers du genre en France, dont beaucoup étaient maghrébins. Comme le rappelait Tai-Luc – chanteur et parolier de La Souris Déglinguée (LSD) récemment décédé – ils n’étaient « pas plus cons, pas meilleurs, mais différents et unis au sein d’une même partie de la jeunesse ». Cette génération née au début des années 1960 a fait la connexion entre punk et rap, dont les Bérus sont sans doute l’un des chaînons moins manquants que militants.

J’ai pour ma part la conviction qu’au-delà des anecdotes, ces histoires de « punks », de « skinheads » et de « zulus » – comme d’autres, les Black Dragons se référaient à la Zulu Nation et au mouvement hip hop qui émergeait en France – ont bien plus à raconter qu’une simple guerre de territoires livrée à la marge, entre jeunes souvent aussi marginalisés que criminalisés.

Car si guérilla urbaine il y a eu, malgré les partis-pris et le virilisme souvent caricatural de ses récits, elle me semble faire symptôme d’une incapacité : celle de la France à reconnaître dans ces jeunes racisés le visage d’un avenir qui leur a été refusé.

Ils l’ont pourtant réclamé, à corps et à cris, avant que leurs petits-frères ne se replient dans l’entre-soi des banlieues. Est-ce un choix ? Il me semble que c’est plutôt le fruit amer d’une politique d’exclusion qui n’a jamais voulu dire son nom. Et face à eux se trouvaient d’autres jeunes prolos, persuadés de la responsabilité des « étrangers » dans ce qu’ils vivaient comme un démantèlement de leur monde et, donc, comme une menace.

Diastème est revenu sur cette époque dans son film Un Français (2015). Il montre comment cette perte de repères a été politiquement instrumentalisée par l’extrême droite et le Front national, qui – rappelons-le – a remporté ses premiers succès électoraux en 1983. Le parti n’a cessé depuis de gagner en importance et de « rassembler », selon le nouveau nom qu’il s’est donné.

Mais quid de la solidarité scandée par les Bérus et qui prend les allures d’un hymne lorsqu’en 1989, pendant leur concert d’adieu à l’Olympia, l’interprétation du morceau « Porcherie » devient l’expression du dégoût de cette jeunesse qui « emmerde le Front national » ?

Quelle marche a-t-on ratée pour tomber nez-à-nez, trente-cinq ans plus tard, avec un Jordan Bardella (président du RN) pas encore né lors du concert précité et qui caracole aujourd’hui en tête des sondages de popularité chez les 25-35 ans ?

L’exposition s’arrête cependant à la fin des années 1980 et ne présente jamais qu’un fragment des archives versées au « fonds Béru ». Nombre de tensions et de luttes dont les pièces portent le témoignage n’invitent pas moins à une archéologie du présent fondée sur la musique et les sons de la rue.

Tout à fait par hasard, nous croisons mastO avec lequel la discussion s’engage. Entre autres choses, il nous dit que les archives des ateliers d’écriture musicalisée qu’il a menés en prison dans les années 2010 ont été versées au fonds ; preuve en est que la critique des enfermements s’est poursuivie au-delà de l’existence officielle des Bérus, dont l’énergie reste un carburant libérateur.

Pour Loran, « les Bérus ce n’est plus un groupe, c’est un esprit que la jeunesse perpétue encore ». Sur ce point – qui est aussi une invitation à poursuivre l’aventure ou la lutte –, j’ai l’impression que lui, FanXoa et mastO se rejoignent.

Les façons de faire les accordent peut-être moins. Devenu historien, spécialiste du Viêt-Nam qui l’inspire depuis longtemps, FanXoa ne pouvait certainement pas s’opposer à un accès libre aux sources d’une histoire dont il ne s’estime pas propriétaire. Ce refus de la propriété anime également mastO, dont la conception de la lutte contre l’État passe par un accès au savoir sans restriction.

Faut-il alors entrer dans des institutions qui n’étaient pas prédestinées à nous accueillir pour travailler au corps l’idée d’un « service public » dont les codes ne sauraient être ceux des prétendues « élites » ? Ou ne vaut-il pas mieux, comme l’a préconisé Loran, tourner le dos à ces institutions dont il n’y a rien à attendre si ce n’est, in fine, un détournement du fond et de l’intention portée par la rébellion – celle des Bérus, ou d’autres ?

Au cœur de ce dilemme particulièrement difficile à trancher, la BnF et tout ce qu’elle peut représenter importent moins que le moyen offert par son biais : celui d’accéder aujourd’hui et demain à des archives qui peuvent être reçues comme une mémoire vive ; plutôt que de les contempler comme des reliques, il s’agit de s’en imprégner pour continuer à les faire vivre.

C’est dire que le « fonds Béru » peut et doit être détourné des bibliothèques ou des musées ; il n’est pas là pour être figé dans une lecture muséographique du passé, mais plutôt pour inspirer une pensée et des actions qui feront quelque chose de neuf des révoltes de cette génération.

En quittant la Galerie des Donateurs, j’ai à cœur cet « espoir bérurier » et à l’esprit ces mots de désordre scandés par les groupes punk-hardcore new-yorkais – Warzone en 1987, puis H20 en 1996 – qui prévenaient : « Don’t forget the struggle, don’t forget the streets, don’t forget your roots, and don’t sell out ! »

QOSHE - Quand un anthropologue se frotte aux archives punk de Bérurier noir - Jérôme Beauchez
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Quand un anthropologue se frotte aux archives punk de Bérurier noir

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24.04.2024

Du 27 février au 28 avril 2024, la Bibliothèque nationale de France François Mitterrand a exposé à Paris une sélection d’archives du groupe punk français Bérurier noir. Le fonds est constitué des donations de FanXoa (François Guillemot) et mastO (Thomas Heuer), chanteur et saxophoniste du groupe. En 2021, ils ont tous deux confié une partie de leurs souvenirs à la BnF, suite à une sollicitation de Benoît Cailmail, adjoint au directeur du département de la Musique.

Je ne suis ni musicologue, ni spécialiste de Bérurier noir ou des différentes expériences punks en France ; comme d’autres de ma génération, j’ai vécu (et un peu écrit sur) quelques-unes de ces aventures – voilà tout. Au départ, je me suis dit que ça ne faisait peut-être pas beaucoup, ou pas assez, pour accepter l’invitation de Clea Chakraverty (The Conversation) à engager la discussion autour des archives bérurières. Mais puisqu’à travers elles il s’agissait d’évoquer une époque, une jeunesse française et ses rébellions, ça valait la peine de franchir le seuil de la Galerie des Donateurs, où quelques fragments de la vie du groupe sont exposés.

Des punks à la BnF ? On peut s’en étonner, s’en amuser ou – pour les puristes antisystèmes – le déplorer. L’exposition est située avenue de France, à Paris. Je ne peux donc m’empêcher de penser aux anciens lieux de la Zone qui se trouvaient là, tout près : vers la Butte-aux-Cailles et la Poterne des Peupliers ou, un peu plus à l’Est, entre les portes de Choisy et d’Ivry ; la « honte » de leurs « tristes tours » a d’ailleurs été vilipendée par Dominique Perrault, l’architecte de la BnF François Mitterrand.

Déjà au tournant du XXe siècle, La Zone était décrite comme une « honte de Paris », avec ses taudis disséminés aux frontières de la capitale. Cet espace (im)possible logeait tout un peuple des marges, souvent criminalisé et vivant en majorité des « petits métiers » photographiés par [Eugène Atget]. On disait aussi qu’elle était le refuge des Apaches, ces prétendus gangs de voyous tatoués dont les journaux tenaient les comptes – ou les contes – des méfaits.

Définitivement effacée du sol de Paris par les travaux du périphérique urbain (1956-1973), la Zone a poursuivi sa route comme signifiant des marges et des transgressions. C’est dans ce sens qu’on la retrouve en filigrane dans l’histoire de Bérurier noir ; elle apparaît dans le style artistique, indissociable de tout un style de vie, tout comme elle est estampillée dès 1987 sur l’album Abracadaboum. Tandis que la pochette affiche le label (fictif) du « Folklore de la Zone Mondiale », le premier titre de l’opus est « Nuit apache ».

Aujourd’hui, les « Archives de la Zone Mondiale » sont le label indépendant qui conserve la mémoire vive du punk français – celle des Bérus et bien d’autres. On voit apparaître ces références dans l’exposition, où une photographie m’a sauté aux yeux : celle de FanXoa et Loran aux puces de Saint-Ouen, sur les anciens terrains des zoniers où les chercheurs de pépites underground (disques, vêtements, etc.) ont continué de « zoner ».

Je ne sais pas dans quelle mesure les Bérus des années 1980 pouvaient être conscients – ou pas tant que ça – de l’héritage des subcultures marginales associées aux Apaches et à la Zone historique. L’important ne me semble pas être là, mais plutôt dans le potentiel de subversion qui peut s’exprimer en 4 lettres – « Zone », « Béru », « punk », « rock », etc. –, à partir du moment où l’on s’interdit d’en arrêter une définition ; ce que font toujours plus ou moins les institutions…

Mais la force de cette exposition, réalisée par Émilie Kaftan, est qu’elle ne tombe pas dans le piège muséographique de cette définition qui dirigerait les sens, dans le même temps qu’elle étoufferait la subversion. Il y a au contraire beaucoup de liberté dans les agencements et comme une volonté d’encourager l’interprétation des objets, de leurs biographies et de leurs récits.

Ça commence avec la poupée – le pantin punk de FanXoa – qui porte un brassard nazi barbouillé de feutre ; il y a aussi ces vestes militaires tâchées qui scandent le refus de l’autorité et, surtout, de l’autoritarisme toujours susceptible de se muer en dictature.

Dès la fin des années 1970, il y a eu un jeu parfois ambigu des........

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