La droite radicale se caractérise par trois éléments : nativisme, autoritarisme et populisme. Elle se distingue de l’extrême droite en ce qu’elle prétend demeurer dans le cadre du régime démocratique parlementaire et de ses institutions. Sa présence au Parlement européen (PE) n’est pas nouvelle, mais son poids a augmenté au fil des dernières législatures. Depuis les élections européennes de 2019, environ un quart des sièges sont occupés par des députés de cette tendance politique. Cette dynamique pourrait encore s’intensifier après les élections européennes de 2024, notamment avec la montée en puissance de partis politiques tels que l’Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne et Fratelli d’Italia (Fdl) en Italie.

Le poids de la droite radicale et eurosceptique suscite de nombreux débats, notamment en raison de ses rapprochements avec la droite traditionnelle, représentée au PE par le Parti populaire européen (PPE). Des discussions ont récemment eu lieu entre le chef de file du PPE, Manfred Weber, et la dirigeante de la droite radicale italienne, Giorgia Meloni, pour créer une alliance de droite après les élections de 2024. Cette alliance pourrait changer les rapports de force à Bruxelles et avoir un fort impact sur les politiques publiques européennes.

Mais est-ce une piste envisageable ? L’analyse des votes permet d’étudier le niveau de division au sein de la droite radicale, sa stratégie d’opposition, mais aussi les rapprochements en cours avec la droite traditionnelle.

Depuis les élections de 2019, les députés de droite radicale sont répartis dans deux groupes politiques.

Né d’une scission entre les conservateurs britanniques et la droite traditionnelle (PPE), le groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR), avec 68 députés, est le cinquième groupe du Parlement. Il comprend les députés du PiS (Pologne), de Fratelli d’Italia (Italie), de l’ODS (République tchèque), et du parti espagnol Vox. Le groupe ECR était au départ considéré comme « eurosceptique soft », prônant une coopération européenne où les États seraient centraux. Il est aujourd’hui plus radical, suite au départ des Britanniques, de la radicalisation du PiS, et de l’arrivée des Démocrates de Suède et de Vox.

Le groupe Identité et Démocratie (ID), avec 59 membres, est le deuxième plus petit groupe du PE. Il comprend les députés du Rassemblement national (France), de la Ligue du Nord (Italie), et de l’AfD (Allemagne). Sa ligne politique est nationaliste, anti-immigration et ouvertement eurosceptique, bien que depuis le Brexit, la plupart de ses partis aient assoupli leur position sur la sortie de leur pays de l’UE.

L’histoire de la droite radicale au PE est marquée par la division. Contrairement aux groupes traditionnels, qui existent depuis les débuts du PE, la droite radicale et eurosceptique a longtemps eu des difficultés à former un groupe et quand elle y parvenait, le groupe était instable.

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Aujourd’hui encore, on observe des divisions au sein de la droite radicale. Pendant la législature actuelle, les groupes ECR et ID ont voté de manière similaire dans 64 % des cas, ce qui est relativement faible. Les deux groupes sont plus proches sur les questions migratoires et environnementales, mais divergent sur les affaires étrangères, l’économie et le marché intérieur. Les positions vis-à-vis de la Russie illustrent ces divisions : le Rassemblement national, membre du groupe ID, est moins critique envers la Russie que son homologue polonais PiS, qui domine le groupe ECR.

Il existe aussi de fortes divisions au sein même des groupes ECR et ID, qui ont les taux de cohésion les plus faibles du PE.

Le cas de ID est particulièrement significatif, avec ses trois principaux partis nationaux (AfD, RN et Ligue du Nord) votant de manière similaire que dans 55 % des cas, et 29 % sur la politique économique et financière. Cette forte division est due aux positions hétéroclites de partis nationaux membres de ID, entre le FPÖ autrichien et le RN français adoptant des positions économiques plus à gauche, et l’AfD qui a une position plutôt pro-marché.

Au Parlement européen, ces divisions sont gérées par les réunions de groupe, qui servent à trouver des compromis entre les délégations nationales. Pour la droite radicale, ce travail est plus difficile en raison des divergences idéologiques entre les différents partis nationaux et de leurs stratégies. En effet, le développement de positions communes n’est pas forcément prioritaire. Le PE est vu davantage comme une arène politique pour diffuser leurs positions eurosceptiques, plutôt que comme un espace d’influence législative qui nécessiterait une plus forte coordination et discipline de vote.

Pendant longtemps, les forces eurosceptiques ont joué un rôle limité au PE en raison de leur faible participation et de leur opposition au projet européen. Elles ont également été exclues du travail parlementaire en raison du « cordon sanitaire », une entente entre les groupes pro-européens visant à limiter l’accès des eurosceptiques aux postes de pouvoir et aux rôles clés dans la prise de décision.

La droite radicale pourrait désormais chercher à se normaliser en s’impliquant davantage dans la prise de décision, comme c’est le cas en France avec le RN à l’Assemblée nationale ou en Italie où la droite radicale fait désormais partie du gouvernement. Au PE, la plupart des textes sont adoptés par une « grande coalition » pro-européenne (PPE, S&D, Renew). On pourrait s’attendre à ce que la droite radicale vote souvent contre cette coalition pour afficher son opposition à la politique européenne. Or, les groupes ID et ECR l’ont soutenu dans respectivement 47 % et 59 % des cas sur les textes législatifs, ce qui est significatif.

Sur le long terme, on observe toutefois une évolution différente entre les groupes ECR et ID. Le groupe ECR, initialement proche de la grande coalition en raison de sa position eurosceptique plus « soft », s’en est progressivement éloigné ces dernières années. Le groupe votait avec la grande coalition dans 80 % des scrutins législatifs pendant la législature précédente, soit 21 poins de plus qu’aujourd’hui. À l’inverse, ID soutient désormais davantage la grande coalition, reflétant une stratégie de respectabilité. Lors de la 8e législature (2014-2019), le groupe ENF (ancien nom d’ID) votait avec la grande coalition dans 38 % des cas, soit 23 points de moins qu’aujourd’hui.

Cette stratégie de respectabilité était évidente pendant la crise sanitaire du Covid-19, où le groupe ID a fréquemment soutenu la grande coalition sur les votes législatifs, montrant sa volonté de participer à la prise de décision concernant les impacts de la crise en Europe.

Le soutien des forces eurosceptiques s’est également étendu au-delà des textes liés à la crise sanitaire, comme l’adoption de la législation sur les marchés numériques et de plusieurs textes sur la politique agricole commune.

À quelques mois des élections européennes, plusieurs observateurs notent un rapprochement entre le centre-droit (PPE) et la droite radicale, en particulier le groupe conservateur ECR. Récemment, le PPE s’est tourné vers ECR pour l’adoption de plusieurs textes, notamment en matière environnementale.

Pourtant, d’après nos recherches, il n’y a pas eu de réel rapprochement entre le PPE et ECR pendant la législature actuelle. Le PPE se tourne davantage vers les libéraux de Renew (82 % de proximité) et les socialistes (74 %) pour faire adopter des textes et amendements, plutôt que vers la droite national-conservatrice ECR (63 %). Malgré l’idée d’un rapprochement entre la droite traditionnelle et ECR, la grande coalition pro-européenne continue de dominer la prise de décision, laissant peu d’influence à la droite radicale.

Mais des dynamiques émergent. Si la coalition pro-européenne contrôle le processus législatif, une partie des votes peut être gagnée par des coalitions alternatives, de droite ou de gauche.

En cas de rupture de la grande coalition, le PPE se tourne davantage vers la droite radicale (78 % de proximité avec ECR et 73 % avec ID) que vers les libéraux de Renew (38 % des cas). L’orientation du PPE vers la droite radicale s’est accentuée ces dernières années et pourrait devenir plus fréquente à l’avenir en cas de désaccord au sein de la grande coalition.

Les récents exemples en matière de politique environnementale illustrent cette dynamique. Concernant le rapport sur l’usage des pesticides, une majorité d’amendements affaiblissant le texte a été adoptée par une coalition de droite composée du PPE, d’ECR et d’ID. Cette coalition a pu l’emporter grâce à la division du groupe Renew et au soutien de plusieurs de ses députés, notamment les Allemands et Tchèques.

Bien que la grande coalition continue d’être déterminante dans le processus législatif, le renforcement des forces radicales eurosceptiques après les élections de 2024 pourrait changer la donne. Sur certaines questions, notamment environnementales, le PPE pourrait parvenir à former des alliances avec la droite radicale et une partie des députés libéraux (Renew) ayant une approche plus critique des normes environnementales. Cela pourrait entraîner une réduction du nombre ou de l’ambition des textes visant à lutter contre le changement climatique, voire un retour en arrière par rapport au Pacte vert.

QOSHE - Élections européennes : la droite radicale, future pièce maîtresse au Parlement ? - Awenig Marié
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Élections européennes : la droite radicale, future pièce maîtresse au Parlement ?

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24.04.2024

La droite radicale se caractérise par trois éléments : nativisme, autoritarisme et populisme. Elle se distingue de l’extrême droite en ce qu’elle prétend demeurer dans le cadre du régime démocratique parlementaire et de ses institutions. Sa présence au Parlement européen (PE) n’est pas nouvelle, mais son poids a augmenté au fil des dernières législatures. Depuis les élections européennes de 2019, environ un quart des sièges sont occupés par des députés de cette tendance politique. Cette dynamique pourrait encore s’intensifier après les élections européennes de 2024, notamment avec la montée en puissance de partis politiques tels que l’Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne et Fratelli d’Italia (Fdl) en Italie.

Le poids de la droite radicale et eurosceptique suscite de nombreux débats, notamment en raison de ses rapprochements avec la droite traditionnelle, représentée au PE par le Parti populaire européen (PPE). Des discussions ont récemment eu lieu entre le chef de file du PPE, Manfred Weber, et la dirigeante de la droite radicale italienne, Giorgia Meloni, pour créer une alliance de droite après les élections de 2024. Cette alliance pourrait changer les rapports de force à Bruxelles et avoir un fort impact sur les politiques publiques européennes.

Mais est-ce une piste envisageable ? L’analyse des votes permet d’étudier le niveau de division au sein de la droite radicale, sa stratégie d’opposition, mais aussi les rapprochements en cours avec la droite traditionnelle.

Depuis les élections de 2019, les députés de droite radicale sont répartis dans deux groupes politiques.

Né d’une scission entre les conservateurs britanniques et la droite traditionnelle (PPE), le groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR), avec 68 députés, est le cinquième groupe du Parlement. Il comprend les députés du PiS (Pologne), de Fratelli d’Italia (Italie), de l’ODS (République tchèque), et du parti espagnol Vox. Le groupe ECR était au départ considéré comme « eurosceptique soft », prônant une coopération européenne où les États seraient centraux. Il est aujourd’hui plus radical, suite au départ des Britanniques, de la radicalisation du PiS, et de l’arrivée des Démocrates de Suède et de Vox.

Le groupe Identité et Démocratie (ID), avec 59 membres, est........

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