Marianne : Assiste-t-on aujourd’hui au déclin de l’Occident ? Celui-ci ne tient-il plus que grâce aux États-Unis ?
Max-Erwann Gastineau : L’Occident est passé d’une situation de domination sans partage, qui aura duré 400 ans, et dont l’hyper-puissance américaine des années 1990 aura représenté le point culminant, à une situation pour le moins ambivalente, menant des puissances nouvelles, des nations non occidentales ou dites "du Sud" à contester tout ce que nous sommes ou prétendons encore être : à la fois les gardiens de l’ordre international et de la morale, l’expression de modèles de stabilité et les titulaires de valeurs enviées, destinées tôt ou tard à révéler leur universalité.
Cette contestation a pris, à l’aune de la guerre en Ukraine, où les pays de l’Ouest sont apparus isolés, un tour géopolitique inédit, actant définitivement ce que la « désoccidentalisation du monde » désigne : la fin de l’hégémonie occidentale. Mais il faut ensuite, comme vous m’y invitez, affiner l’analyse. Le terme « Occident » est commode pour l’Europe. Car il lui permet de s’arrimer aux États-Unis, dont la puissance se relativise mais demeure bien réelle, comme le rappelle l’écart de PIB avec le Vieux continent, qui s’accroît d’année en année (+ 80 % désormais !).
Y a-t-il un risque pour l’Europe d’entrer dans une phase de sous-développement ?
Dans Le rêve américain en danger, publié en 1995, Edward Luttwak soulignait le risque de « tiers-mondisation » de l’Amérique. Théoricien de la guerre économique, Luttwak affirmait que la menace extérieure, alors incarnée par la Chine et le Japon, était d’abord le produit d’un déclin intérieur, que seules une volonté publique forte et des élites responsables pourraient parvenir à enrayer. Les Européens en disposent-ils ?
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