Vendredi 16 février – 11 h 30

L’homme m’accueille dans une pièce spartiate au milieu de laquelle est posé un bureau chinois, dernier témoignage de l’actionnariat de l’Empire du Milieu. Un meuble très moche, en bois, sur lequel on devine quelques idéogrammes. Mais l’homme s’en fout. Et d’ailleurs, sur le meuble, trône une réplique du Lion de Belfort, bien plus adapté à la situation.

Le Lion. « De l'animal royal vous avez le sang bleu » chantent les Pacemakers, auteurs de la chanson à la gloire du FCSM, devenue son hymne. Non, Jean-Claude Plessis n’est pas Le Sauveur, me prévient-il d’emblée, ajoutant que le Sauveur le plus célèbre avait fini (sic) crucifié. Et il n’a pas tout à fait envie de se retrouver sur la croix. Il n’est pas le Sauveur, il est autre chose. Le lion c’est celui de Belfort, que Bartholdi a sculpté à la gloire des soldats français qui, sous le commandement de Denfert-Rochereau, conservèrent la Ville et son territoire à la France, en 1 870. Le lion, c’est celui qui flotte sur le drapeau comtois. Le lion, c’est celui de Peugeot, auquel Jean-Claude Plessis a donné sa vie professionnelle, jusqu’à en diriger le club dont la marque automobile était historiquement la propriétaire.

Si Jean-Claude Plessis n’est pas Jésus-Christ, et qu’il se rapprocherait plutôt du lion, quel est ce personnage auquel il me fait penser un peu plus tard, la conversation terminée ? Pendant une heure, n’ai-je pas été dans la peau d’un jeune patriote britannique, reçu à Downing Street en février 1952 ? C’est bon vous avez deviné. Jean-Claude Plessis, c’est le Winston Churchill du FC Sochaux-Montbéliard. D’ailleurs, avec sa stature massive, il lui ressemblerait presque physiquement. Ils ont aussi en commun un franc-parler légendaire et un sacré caractère.

Churchill, l’homme qui résiste, l’homme qui vainc, l’homme qui transmet

Et surtout, il y a l’Histoire. « On n’apprend pas assez l’Histoire dans ce pays », me glisse-t-il pendant la conversation. Et le sauvetage du club l’été dernier, c’est l’histoire qui le commandait. Tout comme l’histoire britannique a permis à Churchill de résister à la fatalité avec tout un peuple rassemblé derrière lui. Churchill qu’on rappelle sept ans plus tard. Qui prépare une jeune reine à assumer son destin. Churchill, l’homme qui résiste, l’homme qui vainc, l’homme qui transmet. Plessis, à l’échelle d’un club historique du football français, celui de mon enfance, c’est le même homme.

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Beaucoup de supporteurs sochaliens veulent une statue de Jean-Claude Plessis sur le parvis nord du Stade Bonal. Avec sa gouaille, il dirait sûrement comme Winston, lors de l’inauguration, qu’il verra désormais les pigeons d’un autre œil.

Une heure de ma vie avec Jean-Claude Plessis, l’homme qui a permis les deux seuls trophées du club de mon vivant. Il fut président du club de 1999 à 2008. Arrivant au moment où le nouveau stade Bonal sortait de terre, il lui a donné un nouveau souffle avec notamment trois très grands entraîneurs, Jean Fernandez, Guy Lacombe et Alain Perrin. Une génération formidable émergea sous sa présidence : Pierre Alain Frau, Benoît Pedretti, Jérémy Mathieu, Mickaël Isabey, pépites franc-comtoises, encadrées par Teddy Richert, le Nigérian Wilson Oruma, le Suisse Johann Lonfat, l’esthète Mickaël Pagis. Le club à nouveau en Ligue 1, très rapidement. La qualification en coupe d’Europe ensuite, Dortmund et l’Inter de Milan à Bonal, des titres enfin, une coupe de la Ligue et une coupe de France. Il tira sa révérence il y a 16 ans, ne pensant jamais revenir au club. Mais voir des parents revenir chercher leur talentueuse progéniture ce vendredi 4 août 2023 au centre de formation, alors que le CNOSF et le tribunal administratif de Paris condamnaient quasiment à mort le FCSM, lui a arraché le cœur. Notre Churchill a décidé de faire de la résistance et a décrété l’union sacrée.

Une heure de ma vie avec notre Winston. Nous avons parlé de cet été. De cette équipe de jeunes « bons gars ». D’Oswald Tanchot, cet entraîneur, « subtil mélange de Jean Fernandez et de Guy Lacombe », qui occupèrent le banc sochalien dans la première période Plessis. Nous avons parlé de ces pères de famille qui ont ramené leurs enfants au stade depuis l’été où le club faillit mourir, parce que c’était déjà leur propre père, ou leur grand-père qui leur avait transmis l’amour du FCSM. Nous avons parlé de Pierrot Frau (voir plus haut), de passage à Brest il y a quelque temps, qui lui confie que le meilleur moment de sa carrière ne fut pas le titre gagné avec Lille, ni son passage à Lyon ou à Paris, ni même lorsqu’il gagna la coupe de la Ligue avec le FCSM, mais le jour où il fut pour la première fois titularisé au Stade Bonal.

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Nous avons parlé de cette passion, de cette aventure collective, de ce public qui chante encore alors qu’il est mené de cinq buts face à Rennes en coupe de France

Nous avons parlé du 16 août, veille de la décision de la DNCG, alors que j’eu la conviction que « ça allait passer » devant cette statue d’un lion ailé, Riva degli Schiavoni à Venise. Un lion avec des ailes, quel beau signe, n’est-ce pas ? Nous avons parlé de l’année 2028, que la quarantaine d’investisseurs au capital du club ont donné comme objectif pour évoluer à nouveau en Ligue 1 « mais avec des fondations et des structures solides ». Nous avons parlé de cette saison – beaucoup - de l’objectif Ligue 2 dès le 17 mai de cette année, alors qu’il y a quelques mois, c’est « la trouille de descendre » qui dominait.

Nous avons parlé d’une autre conversation avec l’une des figures des Sociochaux qui, depuis une plage corse sur son lieu de vacances, avait pris l’initiative de l’appeler pour enfin nouer la connexion entre ce collectif de supporteurs et le projet FCSM 2028 qu’il avait décidé de lancer avec son compère Pierre Wantiez. Nous avons parlé de sa conviction acquise à ce moment-là, que les supporteurs sochaliens devaient être représentés au conseil d’administration.

Nous avons parlé de cette passion, de cette aventure collective, de ce public qui chante encore alors qu’il est mené de cinq buts face à Rennes en coupe de France. Nous avons parlé de l’affluence prévue pour le soir même, face à Épinal. Peut-être 10 000 spectateurs pour accueillir le SAS. Puisque nous parlions de la cité vosgienne, nous avons parlé de Philippe Séguin, qu’il a lui aussi beaucoup apprécié. Nous avons parlé de Carlos Tavares et de Samuel Laurent ou plutôt nous les avons honnis. Nous avons parlé de la pression sur ces jeunes joueurs pour l’accession en Ligue 2, qu’ils doivent pouvoir supporter, car elle est moindre « que celle d’un coureur de 100 mètres qui joue quatre ans de sa vie en quelques secondes ». Nous avons parlé du « bon président » qu’il fut au début des années 2000, parce qu’il aimait ses joueurs et qu’ils lui « rendaient son amour » en retour.

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Oui nous avons parlé. J’ai parlé au Churchill des Sochaliens. Et je n’en étais pas peu fier. J’étais heureux de lui confier en fin de conversation que « même ma femme qui se fiche du foot m’a demandé hier soir : c’est demain que tu vois Plessis ? ».

Ce soir nous recevons donc Épinal. Depuis le 5e épisode consacré à Julien Cordonnier, le FCSM a sorti Reims de la coupe de France, un jour où cette satanée grippe me retenait au fond de mon lit, avant de manquer la victoire face au leader Red Star, à la dernière seconde, et de subir la loi des formidables Rennais, dont on souhaite le meilleur cette saison, en huitième de finale de coupe de France. Ce soir, le championnat reprend ; l’objectif est partagé par les joueurs, le président, l’entraîneur, les supporteurs. Monter. Cela passe par une victoire face aux voisins des Vosges.

Vendredi 16 février - 21 h 30

Douche froide ! De méconnaissables Sochaliens ont subi la loi des Spinaliens qui, de l’avis de leur entraîneur « avaient bien identifié le jeu » de leurs adversaires. Sochaux a manqué d’imagination et n’a pas retrouvé la justesse technique qui faisait notre bonheur cet automne. Sochaux a grillé un joker, et affrontera un concurrent direct, Martigues, dès la semaine prochaine. Comptons sur notre Churchill pour remobiliser le vestiaire en quelques mots bien sentis.

QOSHE - J’ai rencontré le Churchill des Sochaliens - David Desgouilles
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J’ai rencontré le Churchill des Sochaliens

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21.02.2024

Vendredi 16 février – 11 h 30

L’homme m’accueille dans une pièce spartiate au milieu de laquelle est posé un bureau chinois, dernier témoignage de l’actionnariat de l’Empire du Milieu. Un meuble très moche, en bois, sur lequel on devine quelques idéogrammes. Mais l’homme s’en fout. Et d’ailleurs, sur le meuble, trône une réplique du Lion de Belfort, bien plus adapté à la situation.

Le Lion. « De l'animal royal vous avez le sang bleu » chantent les Pacemakers, auteurs de la chanson à la gloire du FCSM, devenue son hymne. Non, Jean-Claude Plessis n’est pas Le Sauveur, me prévient-il d’emblée, ajoutant que le Sauveur le plus célèbre avait fini (sic) crucifié. Et il n’a pas tout à fait envie de se retrouver sur la croix. Il n’est pas le Sauveur, il est autre chose. Le lion c’est celui de Belfort, que Bartholdi a sculpté à la gloire des soldats français qui, sous le commandement de Denfert-Rochereau, conservèrent la Ville et son territoire à la France, en 1 870. Le lion, c’est celui qui flotte sur le drapeau comtois. Le lion, c’est celui de Peugeot, auquel Jean-Claude Plessis a donné sa vie professionnelle, jusqu’à en diriger le club dont la marque automobile était historiquement la propriétaire.

Si Jean-Claude Plessis n’est pas Jésus-Christ, et qu’il se rapprocherait plutôt du lion, quel est ce personnage auquel il me fait penser un peu plus tard, la conversation terminée ? Pendant une heure, n’ai-je pas été dans la peau d’un jeune patriote britannique, reçu à Downing Street en février 1952 ? C’est bon vous avez deviné. Jean-Claude Plessis, c’est le Winston Churchill du FC Sochaux-Montbéliard. D’ailleurs, avec sa stature massive, il lui ressemblerait presque physiquement. Ils ont aussi en commun un franc-parler légendaire et un sacré caractère.

Churchill, l’homme qui résiste, l’homme qui vainc, l’homme qui transmet

Et surtout, il y a l’Histoire. « On n’apprend pas assez l’Histoire dans ce pays », me glisse-t-il pendant la conversation. Et le sauvetage du club l’été dernier, c’est l’histoire qui le commandait. Tout comme l’histoire britannique a permis à Churchill........

© Marianne


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