L’autrice est professeure et chercheuse en relations internationales. Elle a publié le livre Perdre le Sud (Éditions Écosociété, 2020) et dirigé l’ouvrage Perspectives féministes en relations internationales (PUM, 2022).

En droit international, un génocide est déterminé principalement par la question de l’intention. Il doit y avoir intention de détruire physiquement un groupe national, ethnique, racial ou religieux (en tout ou en partie). Cette intention doit être prouvée. Ce qui se déroule à Gaza en ce moment n’est ni seulement un conflit, ni seulement une guerre, ni seulement un massacre. Les actions de plusieurs hauts placés du gouvernement israélien de Benjamin Nétanyahou s’apparentent à un génocide aux yeux du droit international et elles doivent être soumises à la justice à ce titre.

Ce n’est pas (seulement) moi qui le dis, mais l’avocat des droits de la personne Craig Mokhiber, qui a récemment quitté une haute fonction aux Nations unies pour dénoncer la situation. C’est aussi ce contre quoi nous mettaient en garde sept rapporteurs spéciaux des Nations unies, le 2 novembre dernier, dans un communiqué sans équivoque : « Nous restons convaincus que le peuple palestinien court un grave risque de génocide. »

Le terme génocide a été inventé par l’avocat polonais Raphael Lemkin dans son livre de 1944 Axis Rule in Occupied Europe, à la suite des atrocités de la Deuxième Guerre mondiale. Le préfixe grec genos signifie « race » ou « tribu » et le suffixe cide équivaut à « tuer ». Un génocide en principe n’a pas à être lié à une guerre active, contrairement aux crimes de guerre ou aux crimes contre l’humanité. Les moyens génocidaires incluent en tout ou en partie l’assassinat, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, la limitation de la durée de vie ou la prévention des naissances des membres du groupe ou le transfert forcé d’enfants.

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide a finalement été approuvée à l’unanimité le 9 décembre 1948 à l’ONU. S’ensuivit l’adoption de différentes lois anti-génocide par les parlements de différents pays (mais pas tous). La Knesset israélienne en a une.

Les agissements du gouvernement israélien, tout comme ceux du Hamas, d’ailleurs, défient aussi le droit international humanitaire, dont le document le plus important est la quatrième convention de Genève de 1949. Celui-ci codifie la distinction entre civils et combattants (y compris les bâtiments civils, comme des hôpitaux), mais surtout la proportionnalité et la précaution dans l’attaque.

Plusieurs raisons laissent penser que nous sommes bel et bien devant un risque de génocide à Gaza.

1. Des documents internes israéliens diffusés par WikiLeaks élaboraient un plan d’expulsion (même s’il était hypothétique) des résidents de Gaza vers le désert du Sinaï en Égypte. Un « plan » d’expulsion est considéré en droit international, même s’il n’est pas réalisé dans son entièreté.

2. Benjamin Nétanyahou a exhorté la population israélienne à « se rappeler ce qu’Amalek vous a fait subir ». Dans le cinquième livre de la Torah, Amalek est une nation d’ennemis jurés des Israéliens, qu’ils sont appelés à exterminer. Bien que Benjamin Nétanyahou parle généralement du Hamas dans son discours, ses dires peuvent légitimement être élargis au peuple palestinien.

3. L’intention de détruire en tout ou en partie la population palestinienne a été répétée publiquement par différents membres du gouvernement. Que ce soit le ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui mentionne que « nous allons tout éliminer » à Gaza, ou le général Ghassan Alian, qui établit des parallèles entre les Gazaouis et des animaux à abattre.

4. Les autorités militaires savaient que les bombardements du camp de réfugiés de Jabaliya allaient causer la mort de dizaines de femmes et d’enfants palestiniens, mais les expliquent comme des « morts collatérales ». Des dizaines de corps décharnés, pour trouver un seul dirigeant du Hamas. De plus, demander au peuple gazaoui de se déplacer vers le Sud au risque d’être bombardé n’avait pas de sens quand on voit la densité de la bande de Gaza. Il n’y a donc pas de tentative légitime d’éviter des morts civiles.

Contrairement à ce que certains spécialistes affirment, je pense qu’il est impossible de certifier que la réponse d’Israël était « spontanée » à la suite des terribles attaques du 7 octobre perpétrées par le Hamas. Les actions de l’autorité israélienne, répétées et systématiques depuis bien avant cette date, parlent d’elles-mêmes.

Même si les attaques du dernier mois suivent un acte de terrorisme ignoble de la part du Hamas, il y a ici une utilisation disproportionnée de la force de représailles. L’histoire post-11 Septembre nous a pourtant appris que de venger la mort de civils par plus de morts de civils ne sert en définitive qu’à peupler les cimetières.

Il est vrai que l’intention est toujours difficile à établir, mais les preuves y conduisant s’accumulent. Comme l’affirmait Craig Mokhiber, les preuves dans ce cas-ci sont même publiques. Très publiques.

Sauf que ce procès d’intentionnalité ne se fera pas dans l’opinion publique, mais dans une scène juridique, qui aura vraisemblablement lieu longtemps après que les horreurs se seront terminées. Et cela, seulement si nos organisations juridiques multilatérales, comme la Cour pénale internationale, ont le courage de se tenir debout.

En attendant, l’hécatombe continue sous nos yeux ébahis, marquée par l’inaction de nos gouvernements. Le Canada et le Québec continuent de soutenir l’État d’Israël et de reconnaître son « droit à se défendre en conformité avec le droit international ». Reste à espérer que le droit international, justement, aura le dernier mot.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

QOSHE - Génocide, dites-vous? C’est l’intention qui compte - Maïka Sondarjee
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Génocide, dites-vous? C’est l’intention qui compte

4 0
07.11.2023

L’autrice est professeure et chercheuse en relations internationales. Elle a publié le livre Perdre le Sud (Éditions Écosociété, 2020) et dirigé l’ouvrage Perspectives féministes en relations internationales (PUM, 2022).

En droit international, un génocide est déterminé principalement par la question de l’intention. Il doit y avoir intention de détruire physiquement un groupe national, ethnique, racial ou religieux (en tout ou en partie). Cette intention doit être prouvée. Ce qui se déroule à Gaza en ce moment n’est ni seulement un conflit, ni seulement une guerre, ni seulement un massacre. Les actions de plusieurs hauts placés du gouvernement israélien de Benjamin Nétanyahou s’apparentent à un génocide aux yeux du droit international et elles doivent être soumises à la justice à ce titre.

Ce n’est pas (seulement) moi qui le dis, mais l’avocat des droits de la personne Craig Mokhiber, qui a récemment quitté une haute fonction aux Nations unies pour dénoncer la situation. C’est aussi ce contre quoi nous mettaient en garde sept rapporteurs spéciaux des Nations unies, le 2 novembre dernier, dans un communiqué sans équivoque : « Nous restons convaincus que le peuple palestinien court un grave risque de génocide. »

Le terme génocide a été inventé par l’avocat polonais Raphael Lemkin dans son livre de 1944 Axis Rule in Occupied Europe, à la suite des atrocités de la Deuxième Guerre mondiale. Le préfixe grec genos signifie « race » ou « tribu » et le suffixe cide équivaut à «........

© Le Devoir


Get it on Google Play