Vous m’excuserez, mesdames les lectrices, mais j’ai un message à livrer aux membres de la gent masculine, ma tribu. Alors, je vous retrouverai lors de ma chronique de samedi. Tourlou !

Maintenant qu’on est entre nous, les gars, je peux vous le dire : vous vous y prenez comme des manches. Votre réaction de chiens de Pavlov à l’initiative de Québec solidaire d’assurer une égalité d’élus féminins et masculins démontre votre totale inconscience du tsunami qui nous attend. L’heure devrait être à la planification active du maintien de notre dignité dans un monde où nous serons, sous peu, marginalisés. Je vous vois vous cramponner à vos positions masculinistes comme si l’avenir, autant que le passé, vous appartenait. En vrai, vous avez autant de chances de succès que les ours blancs sur la calotte bientôt ex-glaciaire.

À l’heure où on se parle, près de 60 % des diplômes universitaires sont décrochés par des femmes. Ce n’est pas un plafond, mais le point où nous sommes rendus dans une tendance fortement haussière. Je ne parle pas des infirmières bachelières. Les bureaux de comptables, d’avocats et d’ingénieurs peinent à recruter des hommes dans leurs cohortes. Pourquoi ? Parce qu’ils s’entêtent à choisir leurs candidats au mérite. Les gars sont poches, c’est tout.

J’ai lu pour vous (les hommes lisent moins, c’est connu, mais je me dévoue) un livre au titre banal, mais au contenu terrifiant : La sous-scolarisation des hommes et le choix de profession des femmes. Les auteurs — l’ex-recteur Robert Lacroix, un pédopsychologue et deux économistes — se sont demandé pourquoi les garçons sont à ce point déclassés. Remontant le fil, ils ont noté ce décalage à l’université, au cégep, au secondaire, au primaire. Partout, le même constat : les gars arrivent davantage en retard, aiment moins les devoirs, sont plus négatifs envers l’école, sont moins motivés, sauf pour la castagne et les blagues salaces.

C’est la faute de l’école elle-même, non ? De toutes ces femmes maternantes, de la garderie à l’âge adulte, qui castrent la masculinité et plongent l’homme en crise de sens ? J’aimerais que cela soit si simple. Mais les auteurs creusent davantage car, en moyenne, les porteurs de pénis ont une longueur de retard sur les non-porteuses de cet appendice dès que le docteur leur donne une claque dans le dos pour les faire respirer.

Vous pensiez que tout se passait avant deux ans ? Foutaises ! Tout se passe pendant la grossesse. Cramponnez-vous et lisez ce qui suit, bande de fainéants : une flopée d’études récentes « mènent donc à une conclusion qui n’était pas évidente au départ : le développement cognitif, émotionnel et social des garçons est plus affecté que celui des filles par les perturbations de leur environnement pendant la grossesse ». Oui, si maman est stressée, a la COVID, s’enivre ou se dope, le garçon écope davantage que la fille. C’est vrai à Westmount, mais plus encore à Saint-Henri. Nous sommes des perdants cognitifs, émotionnels et sociaux au moment zéro de notre existence. Bref, nous sommes cuits.

Dans le monde d’avant, quand chaque importante décision se réglait au sabre ou au tir au poignet, notre masse corporelle nous donnait un avantage. Mais à partir du moment où la décision repose sur le vote et que les femmes ont le droit de vote, à partir du moment où la supériorité se mesure en QI et que les femmes ont accès à l’éducation, ce n’est (n’était) qu’une question de temps avant que l’avantage cognitif féminin se déploie dans toutes les structures du pouvoir. Nous sommes à une ou deux générations près, dans les démocraties, du point de bascule.

On pourrait miser sur la bienveillance présumée de nos futures dirigeantes. Ce serait prendre un grand risque. Le hasard a fait en sorte qu’un de mes travaux de maîtrise porte sur la condition des hommes dans les sociétés matriarcales primitives. Me fondant sur les seules observations de femmes anthropologues, j’ai pu observer combien les hommes y étaient dépossédés du pouvoir de décision, aliénés, querelleurs et névrosés, exactement comme les femmes de banlieue américaines des années 1950 décrites par Betty Friedan dans La femme mystifiée.

Comment ne pas craindre qu’après quelques millénaires à se faire marginaliser, déposséder, infantiliser, agresser, on ne trouvera pas parmi nos futures patronnes des partisanes du retour de balancier, question d’équilibrer les comptes de l’oppression pour un siècle ou deux. Et qu’est-ce qui les retiendra d’investir des milliards de dollars d’argent public dans la parthénogenèse ? (Vous ne savez pas ce que c’est ? Vous avez déjà perdu.)

L’ex-candidat solidaire dans Jean-Talon, désolidarisé de la parité, affirme que le patriarcat n’est pas une priorité ? Il a tout faux. Le patriarcat est dans sa phase terminale. La parité est notre seul plan B. Dans la société du pouvoir féminin qui émerge sous nos yeux, il faut en faire notre principal combat. Exiger que le principe du 50 % féminin-50 % masculin soit légalement contraignant dans les partis, chez les élus, au gouvernement, dans les conseils d’administration du privé comme du public. C’est déjà trop tard pour les inscriptions à l’université, mais tentons de l’imposer dans les facultés, au moins. Pendant que nous sommes encore majoritaires, inscrivons la parité dans nos chartes, dans la Constitution. Faisons-en un commandement de l’Église, un article de la charia, un principe du judaïsme et de la cabale.

Le pouvoir nous glisse des mains, c’est inéluctable. Nous serons chanceux d’en garder la moitié, ce sera presque inespéré. Au lieu d’invectiver Québec solidaire, saluons ces champions, que dis-je, ces idiots utiles de notre combat masculin d’arrière-garde. Faisons du principe des co-porte-parole féminin-masculin (ou cochef, mieux encore) une règle générale, une obligation, un principe sacré.

Notre place pour les siècles des siècles en dépend, bande de gnochons. Faites-le pour l’amour de nos fils. Ou au moins pour qu’ils ne nous haïssent point.

Jean-François Lisée a dirigé le PQ de 2016 à 2018. Il vient de publier Par la bouche de mes crayons. jflisee@ledevoir.com.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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La parité expliquée à ma tribu

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29.11.2023

Vous m’excuserez, mesdames les lectrices, mais j’ai un message à livrer aux membres de la gent masculine, ma tribu. Alors, je vous retrouverai lors de ma chronique de samedi. Tourlou !

Maintenant qu’on est entre nous, les gars, je peux vous le dire : vous vous y prenez comme des manches. Votre réaction de chiens de Pavlov à l’initiative de Québec solidaire d’assurer une égalité d’élus féminins et masculins démontre votre totale inconscience du tsunami qui nous attend. L’heure devrait être à la planification active du maintien de notre dignité dans un monde où nous serons, sous peu, marginalisés. Je vous vois vous cramponner à vos positions masculinistes comme si l’avenir, autant que le passé, vous appartenait. En vrai, vous avez autant de chances de succès que les ours blancs sur la calotte bientôt ex-glaciaire.

À l’heure où on se parle, près de 60 % des diplômes universitaires sont décrochés par des femmes. Ce n’est pas un plafond, mais le point où nous sommes rendus dans une tendance fortement haussière. Je ne parle pas des infirmières bachelières. Les bureaux de comptables, d’avocats et d’ingénieurs peinent à recruter des hommes dans leurs cohortes. Pourquoi ? Parce qu’ils s’entêtent à choisir leurs candidats au mérite. Les gars sont poches, c’est tout.

J’ai lu pour vous (les hommes lisent moins, c’est connu, mais je me dévoue) un livre au titre banal, mais au contenu terrifiant : La sous-scolarisation des hommes et le choix de profession des femmes. Les auteurs — l’ex-recteur Robert Lacroix, un pédopsychologue et deux économistes — se........

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