Alors que le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, s’est encore plus enfermé récemment dans sa promesse de tenir un référendum sur la souveraineté quelles que soient ses chances de succès, il importe de rappeler qu’au-delà des idéaux et des bons sentiments, la politique se révèle implacable pour les peuples incapables de tirer les leçons du passé.

Faut-il insister longtemps sur le fait qu’un succès référendaire est pour l’heure très improbable, ne serait-ce que parce que les Québécois ont clairement démontré durant la pandémie qu’ils privilégiaient la sécurité à la liberté ? Une nouvelle défaite les coulerait collectivement encore plus que les deux précédentes.

La principale leçon à tirer du passé est LA raison pour laquelle la démarche d’affirmation issue de la Révolution tranquille a non seulement échoué, mais empiré substantiellement la situation : cette démarche était trop éloignée de ce que les Québécois « ordinaires » voulaient vraiment, et de ce qu’ils veulent encore sans doute aujourd’hui.

Ce à quoi les Québécois aspiraient réellement, ce n’était pas l’indépendance, mais une relation avec le reste du pays qui ne soit plus basée à ce point sur une Conquête britannique qu’ils avaient subie deux siècles auparavant et sur laquelle le Canada qu’ils avaient historiquement mis au monde – il s’agit là d’un point crucial – restait structurellement bâti.

La Révolution tranquille n’avait rien d’anti-canadien au départ, se voulant essentiellement une modernisation et une affirmation du Québec au sein du Canada et non en dehors de lui.

Mais à partir de la fin des années 1960, une trop grande partie des élites et des intellectuels ont pris leurs désirs pour la réalité. Ils ont fait comme si le Québec avait commencé en 1960, comme s’il n’y avait pas eu auparavant, pendant plus d’un siècle après l’échec de la rébellion des Patriotes, un Canada français trop réactionnaire et trop colon à leur goût pour que l’on en garde quelque chose.

C’est ce honteux reniement de ce passé plein d’énergie et de pouvoir accumulés qui a fait oublier à tout ce beau monde que le Québec issu de la Révolution tranquille restait trop profondément canadien pour assurer le succès de l’aventure souverainiste.

Cela permit à Pierre Elliott Trudeau, refondateur à notre détriment du Canada d’aujourd’hui, d’utiliser le référendum perdu de 1980 pour détourner à ses fins l’énorme énergie gaspillée dans un idéal souverainiste qui n’aboutit à rien. Son solennel « Je vous ai compris » aux Québécois avant le vote de 1980 se traduirait, de façon déloyale pour le peuple dont il était issu, par une diminution des pouvoirs du seul gouvernement contrôlé par une majorité francophone sur le continent.

Ce qui ouvrirait la voie à ce multiculturalisme canadien sans limites qui nous tue peu à peu, comme le rappelle très justement M. St-Pierre Plamondon.

Il n’est pas possible par ailleurs de changer la dynamique de plus en plus malsaine structurant la relation entre le Canada et le Québec si on oublie que les Québécois sont les Canadiens de base sur le plan identitaire, que ce sont eux – et eux seuls – qui constituent le peuple fondateur du Canada historiquement.

Un Canadien au départ, c’est un Canayen, un habitant de la vallée du Saint-Laurent qui parle le français. Ce fut ainsi pendant la majeure partie de l’histoire du Canada, presque 200 ans, de la fin du XVIIe siècle – à Versailles, la Nouvelle-France était appelée « le Canada » – jusqu’à la fin du XIXe siècle. Pendant ces deux siècles, les seuls à s’appeler eux-mêmes et à se faire appeler par les autres « Canadiens » étaient les ancêtres des francophones d’aujourd’hui.

Et les autochtones là-dedans ? Lorsqu’arrivent les Britanniques en 1763, ils sont confrontés à d’anciens Canadiens cohabitant avec des « Indiens » à qui il ne serait jamais venu à l’idée de s’appeler Canadiens. Les premiers habitants du pays sont paradoxalement les plus récents Canadiens sur le plan identitaire, la crise d’Oka ayant contribué, au début des années 1990, à cette canadianisation tardive des Amérindiens.

Pendant la presque totalité de l’histoire du pays, ces derniers furent exclus de la communauté nationale, confinés dans des réserves mises en place par le gouvernement fédéral – pas par le Québec –, un système odieux présentant des analogies avec l’apartheid en Afrique du Sud.

Si les Québécois sont réticents à quitter un Canada où ils sont de plus en plus marginalisés et méprisés, c’est beaucoup en raison de ces choses.

Plus qu’une troisième défaite lui faisant perdre encore plus de liberté et de pouvoir, la priorité du Québec devrait être le combat contre le multiculturalisme délirant et celui pour le français, de même que la reconnaissance constitutionnelle qu’il constitue une société distincte au sein du Canada.

Au lieu de se peinturer dans le coin comme il semble en train de le faire, M. St-Pierre Plamondon devrait se garder au minimum la possibilité de changer d’avis sur son référendum.

* L’auteur vient de publier l’essai Plus que jamais la liberté aux Éditeurs réunis.

QOSHE - Un troisième référendum à perdre - Christian Dufour
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Un troisième référendum à perdre

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24.04.2024

Alors que le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, s’est encore plus enfermé récemment dans sa promesse de tenir un référendum sur la souveraineté quelles que soient ses chances de succès, il importe de rappeler qu’au-delà des idéaux et des bons sentiments, la politique se révèle implacable pour les peuples incapables de tirer les leçons du passé.

Faut-il insister longtemps sur le fait qu’un succès référendaire est pour l’heure très improbable, ne serait-ce que parce que les Québécois ont clairement démontré durant la pandémie qu’ils privilégiaient la sécurité à la liberté ? Une nouvelle défaite les coulerait collectivement encore plus que les deux précédentes.

La principale leçon à tirer du passé est LA raison pour laquelle la démarche d’affirmation issue de la Révolution tranquille a non seulement échoué, mais empiré substantiellement la situation : cette démarche était trop éloignée de ce que les Québécois « ordinaires » voulaient vraiment, et de ce qu’ils veulent encore sans doute aujourd’hui.

Ce à quoi les Québécois aspiraient réellement, ce n’était pas l’indépendance, mais une relation avec le reste du pays qui ne soit plus basée à ce point sur une Conquête britannique qu’ils avaient subie deux siècles auparavant et sur laquelle le........

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