Par Savine Bernard, avocate.

Le 16 octobre 2020, FO et la CFE-CGC signaient un accord collectif pour entériner un PSE et le licenciement de 567 salariés, soit un tiers des effectifs, au sein de la Société AAA. La CFDT et de nombreux salariés dénonçaient une trahison des syndicats signataires. Trois mois plus tard, en même temps que les salariés recevaient leur lettre de licenciement, ils apprenaient que le délégué syndical CFE-CGC bénéficiait d’une promotion.

La chronologie leur paraissait quelque peu suspecte. Mais, si la promotion satisfaisait pleinement le délégué syndical, il souhaitait qu’elle se déroule dans un compréhensif silence. Aussi, quand deux sites militants, Révolution permanente et Anti-K, ont mis en ligne un article intitulé « Scandale chez AAA, un délégué syndical accède à une promotion après avoir signé un PSE avec la direction », le syndicaliste, qui voulait et la promotion et un honneur intègre, a poursuivi au pénal les directeurs de rédaction.

Le tribunal correctionnel de Toulouse (jugement correctionnel du 2 avril 2024 – avocats de l’un des prévenus : Elsa Marcel et Xavier Sauvignet) vient de les relaxer en rappelant que des propos, alors même qu’ils sont jugés diffamatoires, sont exempts de poursuite dès lors que l’auteur a agi de bonne foi. C’est donc à travers le prisme des conditions posées par la jurisprudence pour apprécier la bonne foi que le tribunal a analysé des extraits de l’article, au style sans ambiguïté, tels « un délégué syndical signataire de la catastrophe sociale laissant dans la rue 567 salariés s’est vu gratifier d’une belle promotion », « le délégué syndical CFE-CGC grâce à sa signature se voit aujourd’hui propulsé au poste de responsable méthode » ,ou encore « ce monsieur n’est pas représentant du personnel mais représentant de sa personne et notamment des intérêts du patronat ».

Le tribunal jugeait que ces imputations d’actes ayant pour conséquence de sacrifier la vie de nombreuses familles étaient bien diffamatoires, mais qu’elles s’inscrivaient « nécessairement dans le cadre d’un débat d’intérêt général portant sur un plan social entraînant des licenciements en masse ».

Il rappelait que l’écrit mis en cause était de nature politique, puisqu’il visait à « dénoncer des méthodes patronales face au syndicalisme et à critiquer les conditions du dialogue social au sein des entreprises », et que, conformément à la jurisprudence de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme), la plus haute importance doit être apportée à la liberté d’expression dans ce contexte, le discours politique ne pouvant être restreint sans raisons impérieuses.

Il retenait enfin une base factuelle suffisante : le syndicaliste avait bien été promu. Aussi, si des indices font penser que le dialogue social s’achète au détriment des salariés, cela peut bien être dénoncé : cela relève du débat politique, alors que la vie des familles des salariés licenciés est en jeu.

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Servir les intérêts du patronat et débat politique

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23.04.2024

Par Savine Bernard, avocate.

Le 16 octobre 2020, FO et la CFE-CGC signaient un accord collectif pour entériner un PSE et le licenciement de 567 salariés, soit un tiers des effectifs, au sein de la Société AAA. La CFDT et de nombreux salariés dénonçaient une trahison des syndicats signataires. Trois mois plus tard, en même temps que les salariés recevaient leur lettre de licenciement, ils apprenaient que le délégué syndical CFE-CGC bénéficiait d’une promotion.

La chronologie leur paraissait quelque peu suspecte. Mais, si la promotion satisfaisait pleinement le délégué syndical, il souhaitait qu’elle se déroule dans un compréhensif silence. Aussi, quand deux sites militants, Révolution permanente et Anti-K, ont mis en ligne un article intitulé « Scandale chez AAA, un........

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