Atlantico : Le petit Matisse, tué par un mineur Afghan, aurait été giflé par la mère de l’assaillant, après les coups de couteau portés par son fils. À quel point la culture de l’honneur s’impose en France ?

Naïma M'Faddel : Notre pays a accueilli beaucoup de personnes originaires de pays aux cultures et aux normes sociales différentes des nôtres. Ces différences s'expriment notamment dans les rapports entre les femmes et les hommes, ainsi que dans les normes de civilité. Nous avons particulièrement accueilli un grand nombre d'Afghans à qui on octroie le droit d’asile par principe sans réellement « filtré » alors qu’il faut le reconnaitre, un grand nombre de ces migrants sont motivés par des raisons économiques. 95% des afghans sont des hommes et de nombreux mineurs isolés.

On peut s’étonner que ceux restés dans leur pays ne se battent pas contre les conditions difficiles imposées aux femmes, telles que l'interdiction d'accéder à l'éducation et leur invisibilité dans l'espace public, en particulier depuis le retour des talibans. Même lorsque les talibans ont été chassés du pouvoir, il était évident que la société afghane, dans sa grande majorité, restait profondément patriarcale et attachés à la charia qui est la loi qui régit la vie de tous. Ainsi, nous accueillons massivement des populations que nous avons du mal à intégrer dans nos normes sociales, culturelles et civiques. Et en avons-nous les moyens face à l’afflux massif ? C'est là que les difficultés commencent, car nous sommes confrontés à un véritable choc des civilisations que la répartition dans les communes et par communauté renforce.

Philippe d'Iribarne : On ne peut parler de culture de l’honneur au singulier. Il existe une culture française de l’honneur, bien analysée par Montesquieu et dont j’ai montré, dans La logique de l’honneur, quelle est la place dans la France contemporaine. Celle-ci demande d’être à la hauteur de la position que l’on occupe de la société et au premier chef des devoirs qui lui sont inhérents. Avec les populations venues de certains pays du Sud, on a affaire à une tout autre culture de l’honneur, centrée sur le devoir de se venger de l’offense reçue sous peine de déshonorer les siens. Cette culture ne peut prendre qu’une place croissante avec le développement de l’immigration en provenance de ces pays.

Nous serions démunis à deux égards. D'une part, nous ne possédons pas la culture de l'honneur et de la vengeance qui caractérise certaines sociétés, et d'autre part, nous enseignons aux enfants que la violence ne peut jamais être un moyen de résolution des conflits. Comment l'analysez-vous ?

Naïma M'Faddel : Les sociétés occidentales ont évolué au fil du temps, à leur propre rythme, surmontant de nombreux obstacles et réalisant de nombreux acquis en termes de civilité, de règles sociales et de socialisation abandonnant certains codes d'honneur qui étaient en vigueur il y a quelques siècles. Elles ont réalisé d'importants progrès en matière de droits humains, de droits des femmes, d'égalité entre les sexes et de liberté vestimentaire.

En revanche, nous nous retrouvons face à des individus qui arrivent au sein de nos sociétés avec des normes culturelles, sociales et des rapports entre les sexes différents. Cette confrontation est source de tensions. L’Allemagne, la suède, le danemark pour ne citer que ces pays sont confrontés aussi à ces tensions.

Lorsque l'immigration se fait de manière massive, avec l'arrivée de plusieurs dizaines, voire centaines de personnes par an, elles ne parviennent pas à s'intégrer aussi facilement. Elles conservent leurs us et coutumes d’autant en raison de l’absence d’une politique migratoire contraignante. Malheureusement, ces questions sont souvent taboues et peu abordées, même lorsque l'on constate que des adolescents issus de l'immigration, notamment d'origine maghrébine, subsaharienne, moyen-orientale ou afghane, sont impliqués dans des affaires de violence, utilisant notamment des couteaux. Cette propension à recourir à la violence et à porter des armes comme le couteau est souvent attribuée à des facteurs culturels. Il est donc crucial de reconnaître ces problèmes pour pouvoir y faire face.

Philippe d'Iribarne : La société française se veut aveugle aux différences culturelles, considérées comme relevant d’archaïsmes qui ont disparu dans les sociétés modernes. Emmanuel Macron a affirmé qu’il n’y a pas de culture française. Associer des comportements délinquants à des facteurs culturels, et pas seulement à des facteurs sociaux ou psychiatriques expose à l’accusation de racisme et d’appartenance à l’extrême droite. Les travaux universitaires portant sur ces différences, notamment concernant les populations issues de l’immigration, sont extrêmement rares. Comment réagir correctement à ce qui est censé ne pas exister ? La vision négative de la violence comme mode de régulation des rapports sociaux prend sens dans une culture qui combine la référence chrétienne à la valeur du pardon et la référence moderne à l’Etat comme ayant le monopole de la violence légitime. Ces références n’ont pas de sens dans des cultures où il est vu comme légitime de « laver dans le sang » les injures reçues.

Alors, que devrions-nous faire dans ce cas ? Faut-il changer de paradigme ?

Philippe d'Iribarne : Pas facile. Nous sommes dans une société où est affirmée le droit de chacun à être respecté dans sa culture, et où toute démarche visant à l’assimilation des nouveaux venus est considérée comme contraire aux droits de l’homme. De plus, l’intolérance à la frustration est cultivée, spécialement à l’école qui tend à éliminer toute exigence élémentaire, en matière intellectuelle comme de discipline.

Naïma M'Faddel : Aujourd'hui, ne pas nommer les choses telles qu'elles sont, c’est refuser de reconnaître la réalité. Nous pourrions rester dans le déni, mais à présent, ce n’est plus tenable. Cette surreprésentation dans les violences et la délinquance, soulignée par le ministre de l’Intérieur, ne peut être ignorée alors que nous continuons à accueillir massivement. Nous assistons à un "goulot d'étranglement", si vous me permettez l'expression, où nous n'avons plus la capacité nécessaire pour faire face. Le gouvernement ne peut continuer plus à détourner le regard avec l'espoir que tout ira bien. Laisser les choses en l'état est tout simplement irresponsable.

Même en Allemagne, qui rencontre également des difficultés, les conditions sont bien plus strictes. Par exemple, l'apprentissage de la langue est une obligation pour bénéficier des aides sociales. Si vous ne suivez pas ces cours, vos allocations sont suspendues. En France, cette approche n'est pas appliquée. Nous proposons certes des cours, comme les ateliers sociaux linguistiques, mais peu de gens y participent et aucune mesure n'est prise en réponse à cela.

En réalité, nous n'avons pas mis en place de politique d'intégration efficace. Le terme "assimilation" est souvent évité, bien qu'il soit inscrit dans notre constitution. Pourtant, c'est une obligation que nous avons depuis longtemps négligée, mise de côté. Même l'intégration, l'insertion, ne sont pas assorties d'obligations de travail dans notre pays, contrairement à l'Allemagne ou au Danemark.

Le Danemark, par exemple, a instauré des conditions strictes. Par exemple, commettre un délit mineur, comme brûler un feu rouge, peut être inscrit dans votre casier judiciaire, vous empêchant ainsi d'obtenir la régularisation de votre situation ou la nationalité danoise. Chez nous, on nous dira peut-être que cela va trop loin, mais à un moment donné, nous devons établir des normes contraignantes qui montrent que ce n'est pas un libre accès. Ce sentiment d'impunité s'ajoute à des questions culturelles.

De plus, comme nous n'avons aucun accord, même avec les talibans, et que nous justifions notre inaction en invoquant leur présence, nous nous retrouvons dans une impasse.

Le problème de la justice des mineurs est également une préoccupation majeure. Prenons par exemple le cas de cet individu qui a tué Mathis. Ce jeune Afghan a commis trois vols avec violences sans etre sanctionné. Le message est désastreux ! Cela signifie que nous n’avons pas la capacité de prévenir la récidive en sanctionnant dès le premier délit.

De nombreux experts, dont le Dr Maurice Berger avec qui j'ai récemment collaboré sur une tribune, soulignent l'importance d'une sanction ferme dès le premier acte délinquant, comme un électrochoc pour stopper net cette tendance. Cette approche rend service en empêchant la récidive et peut prendre différentes formes, comme une brève période d'incarcération, comme cela se pratique aux Pays-Bas, suffisante pour provoquer cet électrochoc.

Actuellement, de nombreux jeunes délinquants pensent que c'est "open bar", et même s'ils sont rattrapés à l'âge de 18 ans pour des délits moins graves, comme des vols ou des agressions liées au trafic de drogue, il est souvent trop tard. Ils se sont déjà enlisés dans la délinquance, sans avoir subi cet électrochoc qui aurait pu les arrêter net dans leur élan.

De plus, la question de la parentalité est cruciale. Dans notre pays, nous ne conditionnons pas l'aide que nous apportons aux familles à des devoirs en retour. Nous devrions avoir une politique familiale qui accorde des droits mais qui impose aussi des devoirs. Si un enfant mineur commet des actes délictueux, les parents doivent en assumer les conséquences financières, notamment en payant les dégâts causés, et leurs allocations familiales peuvent être suspendues. Il faut changer de logiciel et penser une politique familiale plus contraignante et aussi en accompagnement à la parentalité.

Prenons l'exemple du Danemark, un pays social-démocrate qui a pourtant mis en place de telles mesures. Dès l'âge d'un an, les enfants sont placés en crèche, car on a constaté que les enfants issus de l'immigration, avaient des difficultés à parler danois. De plus, le Danemark a mis en place l'expulsion des logements sociaux en cas de comportement délictueux. En France, nous avons du mal à mettre en place de telles mesures, même si récemment à Taverny, une famille délinquante a été expulsée de son logement social. Le préfet de l’Oise avait affirmé qu’elle ne serait pas relogée. Que nenni ! Elle a été relogée. Donc elle continue a bénéficier de la solidarité nationale. Encore un message dévastateur de l’Etat de droit !

En acceptant l’ouverture des frontières, de facto la culture de l’honneur sur le sol français, quel comportement rationnel devrait adopter la gauche pour compenser cette violence ?

Philippe d’Iribarne : Pour la gauche, cette violence n’a rien à voir avec les cultures véhiculées par l’immigration. On l’a bien vu dans l’interprétation qu’elle a donné des émeutes de l’été 2023. Cette violence serait alimentée par le racisme et les discriminations dont les immigrés sont victimes. Elle s’atténuerait si on luttait contre ceux-ci. Les pédopsychiatres travaillant sur ces populations ont une autre vision. Ils insistent plutôt sur l’immédiateté de la sanction. Le meurtrier du petit Matisse avait déjà, au moment de passer à l’acte, un passé de délinquant pratiquement non sanctionné.

QOSHE - Meurtre de Châteauroux : que faire face aux ravages de la culture de l’honneur ? - Naïma M&x27Faddel Et Philippe D&x27Iribarne
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Meurtre de Châteauroux : que faire face aux ravages de la culture de l’honneur ?

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30.04.2024

Atlantico : Le petit Matisse, tué par un mineur Afghan, aurait été giflé par la mère de l’assaillant, après les coups de couteau portés par son fils. À quel point la culture de l’honneur s’impose en France ?

Naïma M'Faddel : Notre pays a accueilli beaucoup de personnes originaires de pays aux cultures et aux normes sociales différentes des nôtres. Ces différences s'expriment notamment dans les rapports entre les femmes et les hommes, ainsi que dans les normes de civilité. Nous avons particulièrement accueilli un grand nombre d'Afghans à qui on octroie le droit d’asile par principe sans réellement « filtré » alors qu’il faut le reconnaitre, un grand nombre de ces migrants sont motivés par des raisons économiques. 95% des afghans sont des hommes et de nombreux mineurs isolés.

On peut s’étonner que ceux restés dans leur pays ne se battent pas contre les conditions difficiles imposées aux femmes, telles que l'interdiction d'accéder à l'éducation et leur invisibilité dans l'espace public, en particulier depuis le retour des talibans. Même lorsque les talibans ont été chassés du pouvoir, il était évident que la société afghane, dans sa grande majorité, restait profondément patriarcale et attachés à la charia qui est la loi qui régit la vie de tous. Ainsi, nous accueillons massivement des populations que nous avons du mal à intégrer dans nos normes sociales, culturelles et civiques. Et en avons-nous les moyens face à l’afflux massif ? C'est là que les difficultés commencent, car nous sommes confrontés à un véritable choc des civilisations que la répartition dans les communes et par communauté renforce.

Philippe d'Iribarne : On ne peut parler de culture de l’honneur au singulier. Il existe une culture française de l’honneur, bien analysée par Montesquieu et dont j’ai montré, dans La logique de l’honneur, quelle est la place dans la France contemporaine. Celle-ci demande d’être à la hauteur de la position que l’on occupe de la société et au premier chef des devoirs qui lui sont inhérents. Avec les populations venues de certains pays du Sud, on a affaire à une tout autre culture de l’honneur, centrée sur le devoir de se venger de l’offense reçue sous peine de déshonorer les siens. Cette culture ne peut prendre qu’une place croissante avec le développement de l’immigration en provenance de ces pays.

Nous serions démunis à deux égards. D'une part, nous ne possédons pas la culture de l'honneur et de la vengeance qui caractérise certaines sociétés, et d'autre part, nous enseignons aux enfants que la violence ne peut jamais être un moyen de résolution des conflits. Comment l'analysez-vous ?

Naïma M'Faddel : Les sociétés occidentales ont évolué au fil du temps, à leur propre rythme, surmontant de nombreux obstacles et........

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