Matthieu Rougé : Je suis plutôt impressionné par la persistance de l’attachement à Noël dans notre société sécularisée et multiculturelle. Certes, la fête de Noël semble parfois réduite à un événement commercial et gastronomique mais, en réalité, l’esprit de Noël est plus fort de ce qui lui porte atteinte. Illuminations et musiques, sapins et crèches, événements solidaires et retrouvailles familiales manifestent que le 25 décembre est pour tous, chrétiens ou non, croyants ou pas, un jour bien particulier. Tout continue de partir de la naissance à Bethleem d’un certain Jésus dont la vie, l’enseignement, la mort et l’annonce de la résurrection ont transformé l’histoire du monde, y introduisant la possibilité de la victoire de l’amour sur l’indifférence, la violence et la mort. La bonne nouvelle de Noël, salutaire aujourd’hui plus que jamais, c’est la beauté de la vie naissante, la force de la fragilité, l’appel à servir, à aimer et, fondamentalement bien sûr, à croire.

L’esprit de Noël ne peut se réduire à une trêve des confiseurs, à l’oubli provisoire des blessures de nos vies et de l’histoire du monde. Au contraire, il s’agit de prendre conscience avec un cœur plus ouvert de la violence humaine des situations de guerres, de migrations plus ou moins forcées et de persécutions, en Ukraine, en Arménie, en Terre Sainte, en Birmanie, en Afrique, au Nicaragua… Il s’agit aussi d’être plus attentifs à toutes les pauvretés « de la porte d’à côté ». C’est pour cela que, ce 24 décembre 2023, j’ai tenu à célébrer la Nativité dans des paroisses particulièrement impactées par les violences urbaines du début de l’été. Face à tout cela, il nous faut renoncer à l’outrance qui caractérise trop souvent le débat médiatique et politique, créer et recréer constamment des occasions de dialogue, participer aux actions fraternelles de terrain et les encourager. Chacun, quel que soit son niveau de responsabilité, peut contribuer à la paix.

A quelques mois des élections au parlement européen, la situation de l’Union Européenne est de fait préoccupante. Sans succomber à la critique systématique, on ne peut que déplorer l’opacité des fonctionnements institutionnels, le triomphe des idéologies communautaristes, l’incapacité à peser réellement dans le service de la paix. Dans ce domaine, comme dans celui de la politique nationale qui n’est guère plus réjouissant, ce qui est en cause n’est pas d’abord technique mais éthique. Les racines chrétiennes mais aussi juives, grecques et romaines de la civilisation européenne constituent une invitation salutaire, à la fois pressante et enthousiasmante, à choisir le respect inconditionnel de la dignité humaine, à ne jamais sacrifier la raison à l’idéologie, à préférer l’universalité de la condition humaine aux particularismes défensifs.

Le grand écrivain Georges Bernanos considérait les optimistes comme des « imbéciles heureux » et les pessimistes comme des « imbéciles malheureux » ! Nous sommes appelés à échapper à ces deux formes d’ « imbécilité » en pratiquant le réalisme de l’espérance. Les capacités humaines, techniques mais aussi culturelles, fraternelles, spirituelles, sont immenses. Encore faut-il que nous les mettions en œuvre au service de tous en nous appuyant sur le meilleur de nous-mêmes. « Devenez dignes de la condition humaine », apostrophait le Cardinal Jean-Marie Lustiger il y a quelques années. La crise écologique est emblématique de tout cela : nous pourrions nous laisser aller à l’éco-anxiété voire à la violence par peur du réchauffement climatique mais nous sommes plutôt appelés à agir avec détermination en faveur de davantage de sobriété personnelle et collective en n’oubliant jamais que le premier des biens à préserver, condition de possibilité du respect de tous les autres, c’est la dignité humaine.

La question de la fin de vie, comme d’ailleurs aussi celle de la constitutionnalisation de l’avortement, est cruciale pour la survie de notre société. Multiplier les transgressions voire les ruptures éthiques et anthropologiques, c’est en réalité saper notre capacité à vivre ensemble, c’est faire le lit de la violence. Autoriser l’euthanasie constituerait un acte majeur de décivilisation, pour reprendre un mot paradoxalement remis au goût du jour par le Président de la République. Comment comprendre l’inaction des pouvoirs publics face aux déserts palliatifs, en dépit des déclarations d’intention et des effets d’annonce ? Comment la Ministre en charge du dossier a-t-elle pu se mettre à dos la majorité des milieux soignants par sa fermeture à tout dialogue authentiquement respectueux et constructif ? Dans le fond comme dans la forme, la manière de traiter ce dossier constitue un véritable déni de démocratie. Un de mes vœux pour 2024 est que le courage éthique et l’esprit de dialogue l’emportent sur la servilité à l’égard des slogans et des pressions. Ici comme dans le monde entier, la dignité humaine ne se partage pas. C’est un même combat à mener au service de la paix.

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Mgr Matthieu Rougé : « L’esprit de Noël, c’est aussi se souvenir que la dignité humaine et la paix dépendent de chacun d’entre nous »

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25.12.2023

Matthieu Rougé : Je suis plutôt impressionné par la persistance de l’attachement à Noël dans notre société sécularisée et multiculturelle. Certes, la fête de Noël semble parfois réduite à un événement commercial et gastronomique mais, en réalité, l’esprit de Noël est plus fort de ce qui lui porte atteinte. Illuminations et musiques, sapins et crèches, événements solidaires et retrouvailles familiales manifestent que le 25 décembre est pour tous, chrétiens ou non, croyants ou pas, un jour bien particulier. Tout continue de partir de la naissance à Bethleem d’un certain Jésus dont la vie, l’enseignement, la mort et l’annonce de la résurrection ont transformé l’histoire du monde, y introduisant la possibilité de la victoire de l’amour sur l’indifférence, la violence et la mort. La bonne nouvelle de Noël, salutaire aujourd’hui plus que jamais, c’est la beauté de la vie naissante, la force de la fragilité, l’appel à servir, à aimer et, fondamentalement bien sûr, à croire.

L’esprit de Noël ne peut se réduire à une trêve des confiseurs, à l’oubli provisoire des blessures de nos vies et de l’histoire du monde. Au contraire, il s’agit de prendre conscience avec un cœur plus ouvert de la violence humaine des situations de........

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