Il lui est arrivé de dire des conneries, certes. Mais jamais avec haine — toujours avec intelligence, parfois avec finesse. Il savait que se foutre gentiment de la gueule de l’autre, c’est lui rendre service. Il ne manquait d’ailleurs pas d’autodérision. Il pratiquait avec plaisir ce qu’il disait être de l’humour juif.

« Pessimiste, cynique, mais heureux. » Pour lui, c’était ça, être juif. C’était sa manière à lui de supporter la vie, le monde.

Je l’ai toujours connu préoccupé pour sa France, qu’il pensait libre, républicaine et digne, mais dont il redoutait le déclin.

Je parvenais toutefois à lui redonner espoir, à lui rappeler que la vie peut être douce, encore aujourd’hui, en France. Nos échanges étaient précieux.

Mais ces derniers mois, il m’était impossible d’apaiser sa rage. Les pogroms du 7 octobre avaient réveillé en lui ses plus grandes angoisses, ses souvenirs le plus terribles. Il était dégouté par « l’antisémitisme bruyant et sale », notamment venant de la gauche, qu’il considérait comme du « clientélisme de caniveau ».

Il me disait qu’Israël était un temple, qu’il fallait être « prêt à tout et au pire » pour le préserver. Lui qui fantasmait tant les étendues sauvages du Sud des États-Unis et New-York, « repaire de juifs intellectuels », je me suis pourtant récemment demandé si il ne désirait pas secrètement vivre en Israël. Peu importe ; il ne m’aurait jamais donné la réponse.

Il était également soucieux de l’avenir de la Pologne, dont il n’a cessé d’être nostalgique. Au début de l’invasion russe en Ukraine, il y a deux ans, il m’avait appelé, tourmenté. Il craignait que le « tsar » Poutine, ne jette son dévolu sur la Pologne, après avoir conquis l’Ukraine.

Il était admiratif de l’esprit de résistance des ukrainiens et s’inquiétait d’une certaine « couardise » en Europe.

Il m’avait confié « la suite » et me répétait à chacun de nos appels que je serai un grand journaliste. Ce fut ainsi sa dernière phrase, m’honorant à jamais, pour toujours.

Camarade, je te dis au revoir. Tu me manqueras. J’espère que tu galopes quelque part avec les bisons, comme tu en rêvais. Na zdrowie !

Lucas Rayski

QOSHE - Hommage à mon père, Benoît Rayski - Lucas Rajgrodzski
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Hommage à mon père, Benoît Rayski

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26.03.2024

Il lui est arrivé de dire des conneries, certes. Mais jamais avec haine — toujours avec intelligence, parfois avec finesse. Il savait que se foutre gentiment de la gueule de l’autre, c’est lui rendre service. Il ne manquait d’ailleurs pas d’autodérision. Il pratiquait avec plaisir ce qu’il disait être de l’humour juif.

« Pessimiste, cynique, mais heureux. » Pour lui, c’était ça, être juif. C’était sa manière à lui de supporter la vie, le monde.

Je l’ai toujours connu préoccupé pour sa France, qu’il pensait libre, républicaine et........

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