Pendant quatre siècles, jusqu’au début du IIIe siècle après JC, la Chine fut régie par les Han, dynastie qui avait réussi l’unification du pays. La faiblesse des derniers empereurs Han entraîna son éclatement en trois ensembles, “Trois Royaumes“ qui ont été taillés dans l’Empire par la force des armes. Madame Elisseeff entreprend de décrire le processus de ce dépeçage par des seigneurs de la guerre aussi rusés que cruels.

Depuis l’origine de l’Empire, la Chine a toujours été soumise à des forces centrifuges que le pouvoir central s’est constamment efforcé de contrarier. Son unité, fondée sur une homogénéité revendiquée de sa population, fut menacée dès que le pouvoir central s’affaiblissait, soit que la dynastie ne produisit plus d’empereur de talent, soit sous les coups de boutoir des nomades venus des steppes d’Asie centrale. Madame Elisseeff met sa grande connaissance du monde chinois à profit pour expliquer comment ces royaumes se sont constitués. L’affaire est compliquée par la fragilité des sources dont on dispose; entre légende et réalité, elle s’efforce de cerner la vérité historique.

Elle consacre une grande partie de ces efforts à présenter les protagonistes de cette histoire qui ont laissé une empreinte durable dans le récit historique chinois, tout particulièrement Cao Cao, le “roi“ du Wei qui englobait le Nord de la Chine, autour du fleuve jaune. Les personnages de Liu Bei et de Sun Quan qui régirent respectivement le Shu (l’Ouest de la Chine) et le Wu (le Sud du pays) retiennent moins l’attention de notre auteur. Peut-être les sources sont-elles moins abondantes.

L’auteur s’étend sur les opérations militaires, pesant les stratégies et les tactiques mises en œuvre avec brio. Les ruses employés, la cruauté des acteurs attestent d’une société impitoyable où les traces d’humanité sont imperceptibles. Les populations sont soumises à la brutalité des soldats, contrainte de migrer, en butte aux politiques de terre brûlée, quand ce n’est pas aux phénomènes climatiques extrêmes qui, déjà, entraînent des conséquences délétères. Toutes proportions gardées, le lecteur est confronté au même paysage infernal que celui des campagnes françaises durant la Guerre de Cent ans.

Prolixe sur les opérations militaires et la phase de constitution des Trois Royaumes, madame Elisseeff est moins diserte sur la suite. Le lecteur comprend bien que la balance des forces s’est stabilisée vers 208. Mais comment ces trois entités ont-elles cohabité? Mystère.

Bien que l’auteur mentionne la montée en puissance des Syma qui semblent avoir restauré l’unité de l’Empire, le lecteur non spécialiste de l’Histoire chinoise aurait souhaité que le perspective postérieure fût un peu plus dessinée, afin que l’épisode des Trois Royaumes pût être compris dans un contexte historique plus large.

Enfin, au lecteur non familier de l’Extrême-Orient il est demandé une gymnastique intellectuelle constante pour pénétrer dans ce monde bien différent de l’Occident.

Ce livre n’est pas une histoire des Trois Royaumes, mais plutôt une plongée dans la civilisation chinoise où se mêlent les faits et les légendes qui ont laissé leur trace dans l’imaginaire collectif du pays.

« Tous ces “héros“ sont ainsi des héros sanglants qui trépassent couverts de leur propre sang, après avoir été peu économes de celui des autres. » Page 153

Chartiste, madame Elisseeff est une spécialiste reconnue de l’Extrême-Orient. Elle a publié de nombreux ouvrages sur le Japon et la Chine, tant sur la civilisation de chacun de ces pays que sur leur Histoire, de La civilisation japonaise (1974) à Esthétiques du quotidien en Chine (2016).

QOSHE - "Trois royaumes : la Chine au IIIe siècle, un monde en convulsions" de Danielle Elisseeff - Jean-Pierre Tirouflet
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"Trois royaumes : la Chine au IIIe siècle, un monde en convulsions" de Danielle Elisseeff

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20.02.2024

Pendant quatre siècles, jusqu’au début du IIIe siècle après JC, la Chine fut régie par les Han, dynastie qui avait réussi l’unification du pays. La faiblesse des derniers empereurs Han entraîna son éclatement en trois ensembles, “Trois Royaumes“ qui ont été taillés dans l’Empire par la force des armes. Madame Elisseeff entreprend de décrire le processus de ce dépeçage par des seigneurs de la guerre aussi rusés que cruels.

Depuis l’origine de l’Empire, la Chine a toujours été soumise à des forces centrifuges que le pouvoir central s’est constamment efforcé de contrarier. Son unité, fondée sur une homogénéité revendiquée de sa population, fut menacée dès que le pouvoir central s’affaiblissait, soit que la dynastie ne produisit plus d’empereur de talent, soit sous les coups de boutoir des nomades venus des steppes d’Asie centrale. Madame Elisseeff met sa grande connaissance du monde chinois à profit........

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