Atlantico : Les 925 députés et sénateurs se sont réunis en Congrès lundi pour inscrire "la liberté" de recourir à l'IVG dans la Constitution. À quel point imaginer que l’inscription dans la Constitution pourrait rendre quoi que ce soit d’irréversible est une illusion ?

Bertrand Vergely : Dans l’existence, aucun acquis positif n’est irréversible. On peut le regretter, mais c’est ainsi. C’est la raison pour laquelle on recommande aux élèves doués de ne pas se reposer sur leurs acquis, l’expérience montrant que tout relâchement se paie immédiatement par une régression souvent plus spectaculaire que les progrès réalisés.

Afin de rappeler que rien n’est éternel Michel Foucault a fait remarquer qu’il n’y a pas d’idée éternelle. Les idées naissent et meurent. L’idée qu’il y a des idées éternelles est née. Aves la fin de la métaphysique, elle est morte. Ce constat a largement nourri le caractère post-métaphysique de la postmodernité. La culture religieuse puis humaniste a aimé penser qu’il y a des idées éternelles. L’histoire montre que les idées que l’on pensait indéboulonnables ont toutes été balayées. On se souvient de Sartre expliquant que le marxisme est « l’horizon indépassable de notre époque ». Le communisme que l’on pensait inamovible a été balayé au point qu’aujourd’hui plus personne ne lit Marx et encore moins Lénine.

Le Congrès a été convoqué, non pas pour légaliser l’avortement, mais pour rendre cette légalisation irréversible. La nuance et importante. Elle signifie que le Congrès n’a pas été convoqué pour se prononcer sur l’avortement mais sur la nature même de la loi à l’occasion d’une loi. Il s’est agi en l’occurrence de vouloir faire d’un droit et par là même d’une loi un principe intangible. Une telle volonté relève du rêve.

On aimerait tous que certains droits et certaines lois soient intangibles. Cela n’a jamais existé et cela n’existe pas. La République s’est fondée entre autres sur le droit du sol, considéré comme un principe intangible. À Mayotte, vu les problèmes que soulève l’immigration, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a demandé que ce principe soit aboli. La communauté internationale est fondée sur le principe de non agression des pays entre eux. En envahissant l’Ukraine, Valdimir Poutine a envoyé promener ce principe de non agression. Le référendum de Maastricht a été organisé pour « graver dans le marbre » l’inscription des nations européennes en Europe. Avec le Brexit, le Royaume Uni a montré qu’il était possible de remettre en cause cette appartenance. Aujourd’hui, elle est contestée par la montée des partis d’ultra-droite dans toutes les démocraties européennes.

Ce qui s’est passé avec le Congrès réuni à Versailles a été présenté comme une avancée unique du droit dans l’histoire, la France étant la première à opérer cette avancée. En annonçant qu’elle allait inventer l’irréversibilité d’une loi et d’un droit, elle s’est avancée au-delà de ce qui est permis aux êtres humains. Il faut faire des lois et ce n’est pas parce que rien n’est irréversible qu’il ne faut rien faire. Mais, il ne faut jamais perdre de vue que nous ne sommes que des hommes. Nul ne sait ce que va être l’avenir. Attention à ne pas parler à sa place . ne fais pas de promesses, était il écrit à Delphes à côté de la fameuse formule « Connais toi toi-même ». « Souviens toi que tu n’es qu’un homme » disait un esclave dans l’oreille des généraux lorsque ceux-ci étaient portés en triomphe dans Romme. Le progressisme n’a pas cessé depuis son apparition de vouloir non pas la révolution, le droit, le sociétal, mais que l’on aime la révolution, le droit et le sociétal. C’est la raison pour laquelle il a voulu l’irréversibilité d’une loi.

Ce qui s’est passé à Versailles avec le Congrès est pathétique. Quelque chose a été manqué dans la démocratie et notamment dans la relation entre les hommes et les femmes. La démocratie aurait dû être capable de les réconcilier. Elle a échoué. Au lieu de le reconnaître et d’essayer de faire ce qui aurait dû être fait et qui ne l’a pas été, d’une façon nostalgique, on cherche à rejouer les grandes fêtes passées du droit et de la libération de l’humanité. Il est des nostalgies qui sont belles. Il y a dans celle-ci quelque chose de triste parce qu’elle sent le désespoir. On aimerait croire qu’il va être possible de rêver le droit. Mais le cœur n’y est plus. Comme le dit Simone Signoret, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était.

En parlant de fin de l’histoire, Fukuyama disait que le modèle de démocratie libérale était le meilleur pour l’organisation du genre humain. Il soulignait aussi à quel point c’était un modèle fragile tant les passions humaines peuvent inciter à vouloir manipuler ou remettre en cause la démocratie. Dès lors, n’y a-t-il pas d’autres choix que de se battre toujours pour préserver les grands équilibres démocratiques ? L’IVG pourrait-elle ainsi être menacée dans le futur ?

Bertrand Vergely : La vertu d n’existe pas, a dit Aristote. Il n’existe que des hommes vertueux. La science n’existe pas, a dit Descartes, Il n’existe que des hommes qui cherchent à penser avec méthode. La démocratie n’existe pas. il n’existe que des hommes s’efforçant de faire vivre la liberté, l’intelligence, le respect et la justice. On rêve de lois irréversibles alors que c’est impossible. On rêve de la morale, de la science et de la démocratique en oubliant qu’il faut qu’il y ait des hommes vertueux pour qu’il y ait la morale. Il faut qu’il y ait des hommes qui pensent avec méthode pour qu’il y ait science. Il faut qu’il y ait des démocrates pour qu’il y ait démocratie. La morale existe parce qu’on la vie, non parce qu’il y a la morale. La science existe parce qu’on la vit, non parce qu’il y a la science. La démocratie existe parce qu’on la vit, non parce que la démocratie existe. Rien n’est acquis. Rien n’est irréversible. Il faut se battre toujours et sans cesse. On trouve cela triste. On geint. On se plaint. On pleurniche. C’est infantile. C’est l’enfant qui a peur de vivre qui pleurniche ainsi. Si nous vivons la démocratie en vivant la liberté, l’intelligence, l’écoute, le respect et la justice, la démocratie vivra. Sinon, elle sera balayée.

D’après vous, quels bénéfices à voir cette inscription de l’IVG dans la Constitution ?

Bertrand Vergely : La loi afin de constitutionnaliser l’avortement a été faite pour rassurer les féministes qui ont peur de voir ce droit remis en question comme c’est le cas en Pologne ou bien encore au Texas. Elle a été faite aussi pour permettre à Emmanuel Macron et à son gouvernement d’apparaître comme étant progressiste au moment où ceux-ci sont accusés d’être à droite. Elle a été faite enfin, pour introduire de la grandeur et de la solennité dans le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, un président de la République se devant de marquer son passage par quelque réforme grandiose.

Il existe un piège plus spécifique dans lequel est tombée la droite de peur de paraître réactionnaire. La demande de l’inscription n’est pas venue de la population mais bien de néo-féministes et de la gauche radicale. L’enjeu est-il aussi de rendre toute parole conservatrice soupçonnable sur certaines questions ?

Bertrand Vergely : La liberté de l’avortement est aujourd’hui un marqueur politique. Etre progressiste c’est être pour. Être contre, c’est « réac ». La droite redoute d’être traitée de réac comme elle redoute d’être traitée de droite. Pour cette raison, elle s’est gardée de remettre sur la table la question ultrasensible de l’avortement. En renonçant à relancer le débat, le progressisme a gagné, comme il a gagné à propos de la constitutionnalisation de la liberté d’avorter. Les députés sont les législateurs de la société. Leur travail consiste à faire des lois. Leur rêve est que leurs lois durent. À ce titre, ils ne peuvent pas être contre l’irréversibilité de la loi. En l’imposant, le progressisme a là encore gagné En gagnant la bataille de la constitution le progressisme a réussi à imposer son jeu qui consiste à prendre un élément de la vie sociétale, à en faire un marqueur politique et à créer une guerre avec les bons, les progressistes qui sont pour et les méchants, les réacs qui sont contre. Quand le progressisme assène le terme « réac », ce qu’il y a derrière est flou, pour ne pas dire inepte. Terrorisant en frappant d’infamie ceux qui sont catalogués comme tels, il est néanmoins ravageur. Il est vide ? Qu’importe ! Le mot a été lâché. C’est cela qui compte. Aujourd’hui, la division de la scène culturelle entre progressistes et réacs fait des merveilles. Elle est une aubaine politique. Le seul moyen pour en sortir réside dans le fait d’élever le débat, en ne cédant pas à la provocation et à l’invective.

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Inscription de l’IVG dans la Constitution : les illusions (démocratiquement) dangereuses

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05.03.2024

Atlantico : Les 925 députés et sénateurs se sont réunis en Congrès lundi pour inscrire "la liberté" de recourir à l'IVG dans la Constitution. À quel point imaginer que l’inscription dans la Constitution pourrait rendre quoi que ce soit d’irréversible est une illusion ?

Bertrand Vergely : Dans l’existence, aucun acquis positif n’est irréversible. On peut le regretter, mais c’est ainsi. C’est la raison pour laquelle on recommande aux élèves doués de ne pas se reposer sur leurs acquis, l’expérience montrant que tout relâchement se paie immédiatement par une régression souvent plus spectaculaire que les progrès réalisés.

Afin de rappeler que rien n’est éternel Michel Foucault a fait remarquer qu’il n’y a pas d’idée éternelle. Les idées naissent et meurent. L’idée qu’il y a des idées éternelles est née. Aves la fin de la métaphysique, elle est morte. Ce constat a largement nourri le caractère post-métaphysique de la postmodernité. La culture religieuse puis humaniste a aimé penser qu’il y a des idées éternelles. L’histoire montre que les idées que l’on pensait indéboulonnables ont toutes été balayées. On se souvient de Sartre expliquant que le marxisme est « l’horizon indépassable de notre époque ». Le communisme que l’on pensait inamovible a été balayé au point qu’aujourd’hui plus personne ne lit Marx et encore moins Lénine.

Le Congrès a été convoqué, non pas pour légaliser l’avortement, mais pour rendre cette légalisation irréversible. La nuance et importante. Elle signifie que le Congrès n’a pas été convoqué pour se prononcer sur l’avortement mais sur la nature même de la loi à l’occasion d’une loi. Il s’est agi en l’occurrence de vouloir faire d’un droit et par là même d’une loi un principe intangible. Une telle volonté relève du rêve.

On aimerait tous que certains droits et certaines lois soient intangibles. Cela n’a jamais existé et cela n’existe pas. La République s’est fondée entre autres sur le droit du sol, considéré comme un principe intangible. À Mayotte, vu les problèmes que soulève l’immigration, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a demandé que ce principe soit aboli. La communauté internationale........

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