Temps de lecture: 5 min

Le 27 août 1883, un bruit cataclysmique fait vibrer le détroit de la Sonde, dans la mer de Java. Entre les îles indonésiennes de Java et Sumatra, l'explosion sonore est si assourdissante qu'elle n'est presque plus un bruit mais quelque chose de supérieur, quelque chose qui n'est pas seulement capté par les oreilles mais par des milliers de corps tout entiers. «C'était soudain, comme un pistolet qui fait feu à côté d'une oreille. Comme le plus retentissant des coups de tonnerre, narre le volcanologue Michael Cassidy. On dit que c'est un des sons les plus forts jamais enregistrés.»

Ce son, environ 10.000 fois plus puissant que celui de la bombe atomique d'Hiroshima, n'a pas été causé par la race humaine, mais par l'explosion d'un volcan gris, le Krakatoa. «Il a commencé à entrer en éruption en mai 1883, précise Michael Cassidy. On a entendu de grands bruits jusqu'à Jakarta. Des roches volcaniques tombaient dans l'océan. Puis, plusieurs éruptions sont survenues au mois d'août, avant la principale.»

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L'éruption du Krakatoa se serait fait entendre sur un treizième de la surface terrestre. En tout cas jusqu'en Australie, à plus de 4.000 kilomètres du cratère. Dans un rayon de 40 kilomètres, tous les tympans présents ont explosé sur le coup, avant que l'onde de choc provoquée par l'éruption ne parcoure le globe entre sept et une dizaine de fois.

En tout, l'éruption a fait plus de 36.000 morts, victimes de plusieurs conséquences de l'explosion. Certains ont été tués par les retombées de débris et de cendres, qui avaient été projetés à 40 kilomètres de haut par l'explosion. Une heure après, les cendres avaient recouvert le ciel, comme une immense couverture opaque. Sur place, on a pu croire que la fin du monde était là. Que le soleil n'existait plus et que le jour s'était à jamais mué en nuit.

«Les éruptions volcaniques injectent d'énormes volumes de cendres, de morceaux de magma, très haut dans l'atmosphère, mais aussi du soufre et du chlore, détaille Michael Cassidy. Quand cela monte aussi haut dans l'atmosphère, le ciel ne s'en débarrasse pas quand il pleut et les courants d'altitude distribuent cette brume de gaz et de cendres très loin du volcan, tout autour du monde. Et cela tourne, et tourne encore.»

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Un jour après l'éruption, la brume évoquée par le volcanologue a atteint l'Afrique du Sud. Sur les îles voisines, chutaient d'un ciel qui n'avait plus l'air d'exister des pluies de cendres et de roches volcaniques. Le monde était recouvert d'une épaisse couche sombre qui tuait tout ceux qu'elle touchait. «Les cendres les plus fines pouvaient être inhalées et étouffer les gens, poursuit Michael Cassidy. Les roches volcaniques flottaient dans les eaux et la navigation devenait périlleuse. Évidemment, si ces roches atteignaient les têtes des gens, cela pouvait faire de sacrés dégâts. C'était terrifiant.»

Un bloc corallien à Java après l'éruption du Krakatoa en 1883. | Woodbury & Page via Wikimedia Commons

Ceux qui ne périrent pas par le feu périrent par l'eau. Après l'explosion s'est formé un tsunami fort de vagues de quarante mètres de hauteur, qui auraient ravagé plus de 160 villages côtiers. Certaines d'entre elles auraient atteint le Yémen en seulement douze heures. «Nous ne savons pas ce qui a provoqué le tsunami, intervient Michael Cassidy. Certains pensent que c'est l'écroulement du volcan: avec le magma, tout ce qui est sous la surface s'affaisse et ça peut créer un glissement de terrain, puis une immense vague. D'autres pensent qu'il est né du fait de nuages pyroclastiques, qui sont allés sous l'eau.»

Un nuage pyroclastique, ou nuée ardente, est un aérosol volcanique porté à haute température et composé de gaz, de cendres et de blocs de taille variable qui dévale les pentes d'un volcan avant de se propager, parfois, à la surface de l'eau.

«Après l'éruption du Krakatoa, ces nuages flottants sont même passés par-dessus une montagne de plusieurs mètres de haut avant de traverser l'océan, s'exclame l'expert. Ils allaient à environ 120 km/h et étaient assez chauds pour brûler –ou cuire– la peau des gens à Sumatra et à Java, 70 km plus loin. La plupart des victimes sont mortes ainsi. On n'avait jamais vu ça. Et on n'a plus jamais vu ça depuis.»

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L'éruption du Krakatoa a été un événement planétaire. «C'est la première catastrophe naturelle à avoir eu droit à une couverture médiatique mondiale, affirme le climatologue Stefan Brönnimann. Il y avait le télégraphe. Les journaux faisaient presque du direct. Cela a donc engendré beaucoup d'attention et de recherches.» Des recherches qui continuent et ne sont pour le moment pas parvenues à expliquer une éruption d'une telle ampleur.

Un numéro du magazine américain Harper's Weekly du 29 septembre 1883 revenant sur l'éruption. | Miscellaneous Items in High Demand, PPOC, Library of Congress via Wikimedia Commons

«On sait qu'elle a été causée par une injection de fluides, probablement due à l'éruption du mois de mai. Les petites éruptions ont mené à la grande. Mais on n'en sait pas plus», commente Michael Cassidy. Ce que l'on sait en revanche, c'est que l'éruption du volcan a eu comme autre effet dramatique un refroidissement à l'échelle de la planète, estimé à 1,2°C par Tom Simkin et Richard S. Fiske, les auteurs, en 1984, de l'article «Krakatau 1883 A Classic Geophysical Event». «Cela me paraît beaucoup. Moi, j'aurais dit 0,4°C, réagit Stefan Brönnimann. Mais la température s'est en effet refroidie, dans les tropiques, mais aussi dans l'hémisphère nord.»

Les raisons de cette baisse de température sont à chercher dans ces fameux gaz contenant du soufre qui, quand ils atteignent la stratosphère, «forment de minuscules aérosols qui bloquent les radiations du soleil», explique le climatologue.«Quand ils atteignent la stratosphère, les aérosols ont une durée de vie de deux à trois ans. Une éruption volcanique peut donc provoquer des refroidissements sur autant de temps.»

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Les gaz, mais aussi les cendres présentes dans l'atmosphère, ont eu un dernier effet: pendant des jours, le ciel est apparu vert au-dessus de plusieurs points du globe. Trois mois après, des couchers de soleil d'un rouge vif éteignirent les jours de nombreuses zones de la planète, notamment en Europe occidentale. «Un rouge un peu similaire à celui qui peut colorer un coucher de soleil dans une ville très polluée, décrit Michael Cassidy. On peut voir ça dans des villes indiennes ou indonésiennes. Il y a tellement de choses dans le ciel que cela altère la trajectoire de la lumière.»

Ce choc esthétique inspirera des âmes artistiques comme le peintre britannique William Ashcroft et, selon certaines théories, un des tableaux les plus célèbres de l'histoire de l'art: Le Cri, d'Edvard Munch. Une théorie qui sera explorée dans un article à paraître sur Slate.fr.

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En 1883, l'éruption du Krakatoa a fait croire à la fin du monde

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12.11.2023

Temps de lecture: 5 min

Le 27 août 1883, un bruit cataclysmique fait vibrer le détroit de la Sonde, dans la mer de Java. Entre les îles indonésiennes de Java et Sumatra, l'explosion sonore est si assourdissante qu'elle n'est presque plus un bruit mais quelque chose de supérieur, quelque chose qui n'est pas seulement capté par les oreilles mais par des milliers de corps tout entiers. «C'était soudain, comme un pistolet qui fait feu à côté d'une oreille. Comme le plus retentissant des coups de tonnerre, narre le volcanologue Michael Cassidy. On dit que c'est un des sons les plus forts jamais enregistrés.»

Ce son, environ 10.000 fois plus puissant que celui de la bombe atomique d'Hiroshima, n'a pas été causé par la race humaine, mais par l'explosion d'un volcan gris, le Krakatoa. «Il a commencé à entrer en éruption en mai 1883, précise Michael Cassidy. On a entendu de grands bruits jusqu'à Jakarta. Des roches volcaniques tombaient dans l'océan. Puis, plusieurs éruptions sont survenues au mois d'août, avant la principale.»

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L'éruption du Krakatoa se serait fait entendre sur un treizième de la surface terrestre. En tout cas jusqu'en Australie, à plus de 4.000 kilomètres du cratère. Dans un rayon de 40 kilomètres, tous les tympans présents ont explosé sur le coup, avant que l'onde de choc provoquée par l'éruption ne parcoure le globe entre sept et une dizaine de fois.

En tout, l'éruption a fait plus de 36.000 morts, victimes de plusieurs conséquences de l'explosion. Certains ont été tués par les retombées de débris et de cendres, qui avaient été projetés à 40 kilomètres de haut par l'explosion. Une heure après, les cendres avaient recouvert le ciel,........

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