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Se servir un apéritif en rentrant du travail, boire un ou deux verres de vin à table, enchaîner les godets le vendredi soir pour décompresser de sa semaine... En France, pendant des décennies, voir son quotidien ponctué de différents verres d'alcool n'avait rien d'inhabituel, bien au contraire. Aujourd'hui pourtant, il semble que la consommation de boissons alcoolisées a moins la cote.

Et ce, particulièrement auprès des plus jeunes, comme en témoigne la montée en popularité du «Dry January», campagne de santé publique qui encourage à ne pas consommer d'alcool pendant le premier mois de l'année. Si le gouvernement, soucieux de ne pas se mettre à dos le secteur viticole, semble peu enclin à soutenir le défi de janvier, 29% des Français envisageaient de le relever cette année et 38% des 25-34 ans se disaient prêts à tenter l'expérience (sondage OpinionWay pour JNPR, une marque de spiritueux sans alcool).

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«L'alcool fait partie du quotidien de nombreux Français, notamment au sein des classes populaires, où il reste un moyen accessible de se détendre après des journées fatigantes. Malgré tout, la consommation d'alcool baisse depuis plusieurs décennies au sein de toutes les classes d'âge. On consomme aujourd'hui 2,5 fois moins que dans les années 1960», explique Ludovic Gaussot, maître de conférence en sociologie à l'université de Poitiers (Vienne) et coauteur entre autres du chapitre «Les jeunes “non-buveurs” au prisme du genre et de l'éducation familiale» du livre Boire: une affaire de sexe et d'âge (2015).

L'alcool est toujours responsable de 49.000 décès par an en France. «On a encore du mal à sortir de la norme sociale de la consommation d'alcool et les démarches des pouvoirs publics pour la limiter au sein de la population restent timorées, précise Ludovic Gaussot. Le changement vient essentiellement des consommateurs eux-mêmes.»

En effet, les habitudes évoluent donc bel et bien. Chose inattendue, ce sont les jeunes qui semblent majoritairement se détourner de la boisson. «Il y a dix ans, on pointait du doigt leurs excès, le phénomène de binge drinking faisait couler beaucoup d'encre, note le sociologue. Aujourd'hui, les plus jeunes consomment moins souvent. Ça ne veut pas dire qu'ils ne boivent pas du tout, mais l'alcool est moins ancré dans leur quotidien.»

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Signal fort, depuis quelques années, la génération Z plébiscite les boissons sans alcool, un marché en pleine expansion en France. Il laisse entrevoir une croissance annuelle de 10% jusqu'en 2025, après avoir augmenté de 32,7% à l'échelle mondiale en 2020.

La vie des adolescents et jeunes adultes ne rime plus forcément avec cuites à répétition. Alors que la culture populaire a longtemps dépeint les fêtes très arrosées comme des étapes incontournables de la jeunesse, les adolescents actuels sont en passe d'inverser la tendance.

D'après le dernier rapport publié en novembre 2023 par l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), un adolescent de 17 ans sur cinq n'a jamais bu d'alcool de sa vie en 2022 et 36,6% des jeunes de cet âge disent avoir eu une consommation d'alcool importante dans le mois précédent (au moins cinq verres en une occasion), contre 44% en 2017.

Joshua, 20 ans, ne consomme jamais d'alcool. «Mes amis boivent, mais moi, je n'ai jamais trempé mes lèvres dans un verre d'alcool car mon enfance et mon adolescence ont été entachées par les violences de mon père dues à son alcoolisme. Je dirais que les jeunes boivent toujours lors d'événements comme les soirées étudiantes. Mais ce n'est pas systématique et personnellement, je ne ressens aucune pression sociale à boire.»

Pour Solène, 32 ans, enseignante à l'université, la génération Z fait également face à un contexte économique bien différent du sien lorsqu'elle était étudiante. «On allait en soirée le jeudi soir puis le week-end sans trop se poser de question, se remémore-t-elle. Aujourd'hui, mes étudiants me disent qu'ils sortent beaucoup moins parce que ça coûte tout simplement trop cher, donc ça limite les occasions de boire.»

Incidence des périodes de confinement peut-être, la génération Z semble moins encline à faire la fête, car elle prend plaisir à rester à la maison. «Je suis lassé des ambiances de soirée où les conversations n'ont pas toujours grand intérêt et où je m'ennuie si je ne bois pas, témoigne Olivier, 25 ans. Ces dernières années, j'apprécie plus de rester chez moi, faire du sport, me cuisiner un bon petit plat et dormir tôt.»

Peu de changement au niveau du rapport entre alcool et genre cependant: les hommes de tous âges continuent à boire plus que les femmes. «Notre société étant traversée par les inégalités de genre, les femmes sont soumises à une pression supérieure concernant la prise en charge de leur santé et l'entretien de leur apparence physique, décrypte Ludovic Gaussot. Il y a aussi cette représentation persistante qu'une femme qui sort et qui boit s'expose à des violences, notamment sexuelles, bien qu'on sache désormais que les violences de genre ont majoritairement lieu au domicile.»

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Emma, 25 ans, a cessé de boire de l'alcool lors de son installation au Brésil au début de l'année 2023. «Je me suis retrouvée seule dans ce pays inconnu et je voulais être en pleine possession de mes moyens lors des moments festifs. Je savais que s'il m'arrivait quelque chose sous alcool, ce serait forcément vu comme étant de ma faute, alors j'ai tout arrêté. Aujourd'hui, je ne regrette pas. Finalement, ça ne m'empêche pas de m'amuser et je suis moins stressée quand je sors.»

De son côté, Olivier redoute aujourd'hui la sensation de gueule de bois: «Quand je commence à boire, un verre en entraîne un autre et je sais que ma journée du lendemain va être une épreuve. Au quotidien, j'ai surtout envie d'être bien dans mon corps, en bonne santé.»

Si l'on en croit Ludovic Gaussot, la crise sanitaire est venue renforcer la volonté de préservation de soi: «On évolue dans un climat général qui insiste sur le fait de prendre soin de son apparence physique, de surveiller son poids, de faire du sport, d'être en forme. Le lâcher-prise est beaucoup moins valorisé qu'il y a encore dix ou quinze ans. On est plutôt dans une ère du contrôle, accentuée par les réseaux sociaux.»

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Pour André aussi, 26 ans, rester en bonne forme physique est une priorité. «J'ai un travail physique et je fais en plus du sport tous les jours. Ça m'arrive de boire de l'alcool, parfois en quantité, mais c'est rare. Je sais que c'est incompatible avec la performance sportive alors j'évite, sans regret.»

La place accordée au sport et à l'esthétique dans la vie des jeunes générations ne cesse d'augmenter, en témoigne la popularité des salles de sport chez les moins de 35 ans, qui représentent une grande partie de leur clientèle. «Les jeunes générations accordent une attention toute particulière à leur apparence, confirme Ludovic Gaussot. Si chez les femmes, cette injonction n'a rien de nouveau, elle est plus récente chez les hommes. On assiste au renforcement d'un modèle de masculinité fondé sur la maîtrise de soi, le soin de son corps, l'endurance.»

En dépit de ces nouveaux codes du masculin qui valorisent le soin et la maîtrise de soi, l'alcool maintient une fonction particulière dans les rassemblements sociaux. «Boire de l'alcool a un côté performatif qui constitue la norme virile. Repousser ses limites, montrer qu'on encaisse... Entre hommes, ça reste quelque chose de présent, surtout dans les univers très masculins», ajoute Ludovic Gaussot.

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Olivier, qui travaille dans l'armée, peut en dire quelque chose. «Je sais que parfois je ne peux pas couper à ce rituel de se mettre une caisse entre mecs, concède-t-il. Ça nous rapproche et c'est aussi l'un des seuls moments où l'on s'autorise à parler de nos émotions. Dans notre métier, on est parfois amené à vivre des choses difficiles quand on est en mission... Pendant ces moments où l'on boit ensemble, on relâche la pression.»

Les Français boivent donc de manière moins régulière qu'avant et les jeunes, s'ils ont moins le réflexe de se servir un verre que leurs aînés, ne délaissent pas pour autant complètement l'alcool ni le plaisir que procure un verre. Ludovic et Emma, les non-buveurs, le confirment: autour d'eux, tout le monde boit encore, de manière plus ou moins modérée selon les circonstances.

QOSHE - Alcool: les Français (et particulièrement les jeunes) ont-ils moins soif? - Hélène Bourelle
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Alcool: les Français (et particulièrement les jeunes) ont-ils moins soif?

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09.01.2024

Temps de lecture: 6 min

Se servir un apéritif en rentrant du travail, boire un ou deux verres de vin à table, enchaîner les godets le vendredi soir pour décompresser de sa semaine... En France, pendant des décennies, voir son quotidien ponctué de différents verres d'alcool n'avait rien d'inhabituel, bien au contraire. Aujourd'hui pourtant, il semble que la consommation de boissons alcoolisées a moins la cote.

Et ce, particulièrement auprès des plus jeunes, comme en témoigne la montée en popularité du «Dry January», campagne de santé publique qui encourage à ne pas consommer d'alcool pendant le premier mois de l'année. Si le gouvernement, soucieux de ne pas se mettre à dos le secteur viticole, semble peu enclin à soutenir le défi de janvier, 29% des Français envisageaient de le relever cette année et 38% des 25-34 ans se disaient prêts à tenter l'expérience (sondage OpinionWay pour JNPR, une marque de spiritueux sans alcool).

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«L'alcool fait partie du quotidien de nombreux Français, notamment au sein des classes populaires, où il reste un moyen accessible de se détendre après des journées fatigantes. Malgré tout, la consommation d'alcool baisse depuis plusieurs décennies au sein de toutes les classes d'âge. On consomme aujourd'hui 2,5 fois moins que dans les années 1960», explique Ludovic Gaussot, maître de conférence en sociologie à l'université de Poitiers (Vienne) et coauteur entre autres du chapitre «Les jeunes “non-buveurs” au prisme du genre et de l'éducation familiale» du livre Boire: une affaire de sexe et d'âge (2015).

L'alcool est toujours responsable de 49.000 décès par an en France. «On a encore du mal à sortir de la norme sociale de la consommation d'alcool et les démarches des pouvoirs publics pour la limiter au sein de la population restent timorées, précise Ludovic Gaussot. Le changement vient essentiellement des consommateurs eux-mêmes.»

En effet, les habitudes évoluent donc bel et bien. Chose inattendue, ce sont les jeunes qui semblent majoritairement se détourner de la boisson. «Il y a dix ans, on pointait du doigt leurs excès, le........

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