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«Dans la charte du Hamas, qui vaut constitution en quelque sorte […], les juifs sont des chiens et des porcs. Je n'invente rien, vous la lisez [sic], vous la trouvez en deux clics, elle est sur le net. Par ailleurs, le judaïsme est qualifié de religion frelatée qu'il faut exterminer», déclarait le géopolitiste Frédéric Encel sur le plateau de «C dans l'air», sur France 5, le 10 octobre. Tandis que dans «Répliques», sur France Culture, l'historien Vincent Lemire insistait le 4 novembre sur le fait que le Hamas y acceptait l'existence d'un «nouveau consensus des frontières», celles qui existaient à la veille de la guerre des Six Jours (juin 1967) et pourraient constituer la base d'un État palestinien.

J'ai donc suivi le conseil de Frédéric Encel, cliqué, trouvé et lu non pas une, mais deux «chartes», car il y a deux textes: l'un qualifié de «charte», l'autre de «document», d'où, sans doute, l'impression de confusion que peuvent ressentir les auditeurs selon qu'il soit fait référence à la première, celle de 1988, ou au second, bien plus récent, datant de 2017. Frédéric Encel semble faire allusion à celle de 1988, quand Vincent Lemire s'intéresse à celui de 2017.

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Rédigée à peine un an après la création du Hamas, la «charte» de 1988, 228 pages en français, n'a pas fait l'objet d'une délibération des instances du mouvement et n'a pas été adoptée officiellement. Elle ne figure d'ailleurs pas sur le site du Hamas. Le texte, selon le chercheur Jean-François Legrain, aurait été rédigé par une seule personne, plus ou moins inconnue.

Il y est proclamé que «Allah est [le] but [du Hamas], le prophète son modèle, le Coran sa constitution et le djihad son chemin» (article 8) et affirmé que le «plan [du projet sioniste] se trouve dans “Les Protocoles des sages de Sion” [un texte inventé se présentant comme un plan de conquête du monde établi par les juifs et les francs-maçons, ndlr]» (art. 32). Je n'y ai trouvé aucune qualification des juifs en tant que «chiens» ou «porcs». De «nazis» en revanche, si.

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«Les leaders de Hamas se voyaient périodiquement dénier le droit à devenir des interlocuteurs, à cause d'une charte qu'ils ne citaient que fort rarement, écrivait, à propos du document de 1988, le chercheur Jean- François Legrain en 2020. Ses aspects antisémites, notamment, étaient dénoncés par nombre de cadres et proches du mouvement qui, depuis longtemps, appelaient à l'annulation de texte ou à sa réécriture.»

Il a fallu attendre 2017 pour qu'un tel écrit voie le jour. À la différence de celui de 1988, il a fait l'objet de discussions approfondies et d'une adoption officielle. Intitulé «Document sur les principes généraux et les politiques du mouvement Hamas», il ne cite même pas le texte de 1988. Ce n'en est pas une version amendée, contrairement à ce qu'il en est parfois dit.

Comme ces deux documents ne sont pas identiques, on considère parfois que la charte de 1988 est «caduque», un peu selon la formule utilisée par Yasser Arafat le 2 mai 1989 à propos de la charte de l'Organisation de la libération de la Palestine (OLP), qui stipulait «l'élimination de la présence sioniste et impérialiste» de Palestine (articles 15 et 22). Le président de l'OLP répondait alors à la requête de François Mitterrand, qui l'avait invité à «mettre au net» le texte. Mais le Hamas ne s'est jamais formellement désolidarisé de ce dernier.

Camille Mansour, doyen de la faculté de droit de l'université de Beir Zeit (Cisjordanie). | Institut des études palestiniennes

Le document de 2017 ne constitue pas une présentation des statuts officiels du mouvement, qui seraient contraignants. Il n'a pas de valeur juridique. Sa rédaction n'est d'ailleurs pas toujours très claire ni précise, elle est même parfois très ambigüe. Pour mieux la comprendre, j'ai contacté le Franco-Palestinien Camille Mansour.

Cofondateur de l'institut de droit de l'université de Beir Zeit (Cisjordanie), créé en coopération avec la France au début des années 1990, ce juriste explique la différence entre les deux textes par «la sophistication des auteurs de la déclaration de 2017, qui dépasse de loin le niveau de ceux qui ont rédigé le texte de 1988».

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Que faut-il retenir du document de 2017? D'abord, que le Hamas s'y présente comme un «mouvement palestinien islamique de libération nationale et de résistance» poursuivant deux objectifs: libérer la Palestine et s'opposer au «projet sioniste». Est mentionnée une «résistance armée» (art. 25) contre un projet «raciste, agressif, colonialiste et expansionniste» (art. 14 ), une lutte «contre les sionistes qui occupent la Palestine», mais non «contre les juifs en raison de leur religion» (art. 16).

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L'objectif final est la libération totale de la Palestine, «terre du peuple palestinien arabe» dont les «frontières» s'étendent de la Méditerranée à la Jordanie (art. 2), ainsi que le retour de tous les réfugiés sur les terres qu'ils occupaient avant 1948 ou 1967. Toutes les solutions antérieures sont condamnées, aussi bien la Déclaration Balfour (1917) ou la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies (1967) que les accords d'Oslo et tous les arrangements qui ont suivi. «Aucune partie de la terre de Palestine ne devra faire l'objet de compromis ou de concessions», est-il écrit (art. 20).

Le droit d'existence d'Israël n'est donc pas reconnu. Cependant, poursuit l'article 20 du document de 2017, «sans revenir sur son rejet de l'entité sioniste [...], le Hamas considère la création d'un État palestinien entièrement souverain et indépendant, avec Jérusalem comme capitale, selon les limites du 4 juin 1967, avec le retour des réfugiés et des déplacés vers les maisons d'où ils ont été expulsés, comme une formule de consensus national».

Sophie Ramis et Valentin Rakovsky / AFP

Ce passage essentiel est très ambigu, car il considère les «frontières» de 1948 comme l'objectif du mouvement, et les «limites» de 1967 comme pouvant caractériser l'«État» palestinien objet du «consensus national». Ce faisant, il semble admettre implicitement, mais pas officiellement, la survivance de l'État israélien, dès lors que l'État palestinien sera reconnu sur une partie seulement du territoire de la Palestine. «Le document de 2017 constitue un grand changement dans l'orientation politique du mouvement, souligne Camille Mansour. Dans celui de 1988, on ne trouve aucune référence à l'établissement d'un État (que ce soit sur toute la Palestine mandataire, ou sur la Cisjordanie et Gaza).»

Auteur d'un livre, Le Grand Aveuglement, qui exposait dès 2009 le rôle d'Israël dans l'irrésistible ascension de l'islam radical, l'ancien correspondant de France 2 à Jérusalem Charles Enderlin, pour qui «le Hamas est une organisation fondamentaliste dont l'objectif est d'islamiser la région», pense qu'il ne faut pas tomber dans le piège tendu par celui-ci: «La pseudo charte de 2017 est destinée aux Occidentaux, estime-t-il. Il n'est pas question de reconnaissance d'Israël, cela permet seulement aux pro-Hamas de dire que la charte a été amendée.» Pour s'en assurer, il suffit, selon lui, d'écouter les prêches dans les mosquées tenues par le Hamas.

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Camille Mansour possède une autre grille de lecture. «Il ne faut pas du tout minimiser la signification de cette coexistence de deux principes apparemment contradictoires [État palestinien sur la Cisjordanie et Jérusalem vs libération de toute la Palestine mandataire (art. 20), ndlr]. Cela exprime le passage graduel d'un programme à un autre.»

«On remarque la même gradation, la même évolution textuelle dans les programmes de l'OLP: on énonce le principe 1. dans toute sa solennité; puis, quelques années plus tard, on annonce un principe 2., tout en l'accompagnant d'une version modérée du principe 1.; enfin, après encore quelques années, on proclame le principe 2. avec solennité et on n'insère plus le principe 1.», explique ce juriste, qui dirige actuellement le projet d'une «encyclopédie interactive de la question palestinienne» en anglais et en arabe –pas encore en français, faute de financement–, dans le cadre de l'Institut des études palestiniennes.

Surfant sur l'incapacité –et la corruption– de l'OLP et de l'Autorité palestinienne, le Hamas cherchait, en 2017, à redonner de la profondeur à ses politiques pour élargir sa base, suggérait le chercheur Jean-François Legrain en 2020. D'où «l'absence de références religieuses explicites […] [et] la mention de la résistance armée comme choix stratégique». Cependant, «le document ne semble laisser aucune place à la négociation, seule la lutte armée pouvant mener à la libération». Toujours, sans doute, dans la volonté du Hamas de séduire au-delà de sa base, le caractère démocratique du futur État palestinien est prévu (art. 30), avec «des élections libres et équitables», le respect des droits des Palestiniens et un rôle «fondamental» assuré aux femmes (art. 34).

Camille Mansour suggère que le document de 2017 «représente bien le point de vue du mouvement, ses tiraillements aussi. Si le Hamas sort politiquement indemne de la présente guerre, le document est susceptible d'évoluer dans une direction plus modérée encore, poursuit-il. Dans le cas contraire, il y aura une régression, sans un retour, cependant, au texte de 1988».

Quelles que soient les motivations derrière ce texte, il existe. Il pourrait, l'heure venue, constituer une base pour des négociations. Israël cherchera peut-être à procéder à l'élimination d'un maximum de responsables du Hamas. Mais la direction politique du mouvement n'est pas à Gaza, elle réside pour l'essentiel au Qatar pour l'essentiel et pourrait donc survivre à l'écrasement de la branche militaire. Doit-on exclure leur participation –ou en tout cas la participation d'une scission du Hamas, par exemple– à un traité de paix incluant l'établissement d'un État palestinien et la reconnaissance d'Israël?

Inaudible aujourd'hui, cette perspective ne peut être complètement écartée. «Au-delà du texte, les dirigeants du Hamas veulent éviter l'erreur de l'OLP dans les accords d'Oslo: reconnaître l'État d'Israël avant d'avoir obtenu, en échange, l'établissement de l'État palestinien en Cisjordanie et à Jérusalem, et se retrouver sans aucun atout dans la négociation», explique Camille Mansour, levant ainsi le voile sur l'ambiguïté et la contradiction des termes de 2017. Ce juriste sait de quoi il parle: il fut l'un des négociateurs des accords israélo-palestiniens dits «d'Oslo», dont Israël et les Palestiniens paient aujourd'hui très, très cher l'échec.

QOSHE - On a lu pour vous la charte du Hamas, voici ce qu'elle contient - Ariane Bonzon
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On a lu pour vous la charte du Hamas, voici ce qu'elle contient

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17.11.2023

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«Dans la charte du Hamas, qui vaut constitution en quelque sorte […], les juifs sont des chiens et des porcs. Je n'invente rien, vous la lisez [sic], vous la trouvez en deux clics, elle est sur le net. Par ailleurs, le judaïsme est qualifié de religion frelatée qu'il faut exterminer», déclarait le géopolitiste Frédéric Encel sur le plateau de «C dans l'air», sur France 5, le 10 octobre. Tandis que dans «Répliques», sur France Culture, l'historien Vincent Lemire insistait le 4 novembre sur le fait que le Hamas y acceptait l'existence d'un «nouveau consensus des frontières», celles qui existaient à la veille de la guerre des Six Jours (juin 1967) et pourraient constituer la base d'un État palestinien.

J'ai donc suivi le conseil de Frédéric Encel, cliqué, trouvé et lu non pas une, mais deux «chartes», car il y a deux textes: l'un qualifié de «charte», l'autre de «document», d'où, sans doute, l'impression de confusion que peuvent ressentir les auditeurs selon qu'il soit fait référence à la première, celle de 1988, ou au second, bien plus récent, datant de 2017. Frédéric Encel semble faire allusion à celle de 1988, quand Vincent Lemire s'intéresse à celui de 2017.

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Rédigée à peine un an après la création du Hamas, la «charte» de 1988, 228 pages en français, n'a pas fait l'objet d'une délibération des instances du mouvement et n'a pas été adoptée officiellement. Elle ne figure d'ailleurs pas sur le site du Hamas. Le texte, selon le chercheur Jean-François Legrain, aurait été rédigé par une seule personne, plus ou moins inconnue.

Il y est proclamé que «Allah est [le] but [du Hamas], le prophète son modèle, le Coran sa constitution et le djihad son chemin» (article 8) et affirmé que le «plan [du projet sioniste] se trouve dans “Les Protocoles des sages de Sion” [un texte inventé se présentant comme un plan de conquête du monde établi par les juifs et les francs-maçons, ndlr]» (art. 32). Je n'y ai trouvé aucune qualification des juifs en tant que «chiens» ou «porcs». De «nazis» en revanche, si.

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«Les leaders de Hamas se voyaient périodiquement dénier le droit à devenir des interlocuteurs, à cause d'une charte qu'ils ne citaient que fort rarement, écrivait, à propos du document de 1988, le chercheur Jean- François Legrain en 2020. Ses aspects antisémites, notamment, étaient dénoncés par nombre de cadres et proches du mouvement qui, depuis longtemps, appelaient à l'annulation de texte ou à sa réécriture.»

Il a fallu attendre 2017 pour qu'un tel écrit voie le........

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