Jeudi 25 janvier, le Conseil constitutionnel a décidé de censurer une bonne partie de la loi immigration, pourtant votée à la majorité du Parlement, inspirant de nombreuses critiques du rôle des « Sages ». Mais imaginons un pays où aucune Cour ne pourrait venir censurer le Parlement. Vous pensez peut-être à la Hongrie de Viktor Orban ? Non, même lui est soumis à un contrôle. Alors peut-être se rappelle-t-on des années Donald Trump, mais non là encore la Cour suprême est puissante, au point de restreindre l'accès à l'avortement contre l'avis d’une majorité d’Américains et du président pourtant élu. Mais alors, le pays dont on parle serait sans aucun doute un régime autoritaire où les dirigeants violeraient sans cesse les droits fondamentaux de ses citoyens, la Russie peut-être ? Non, le pays dont on parle, c'est la Suisse.

A LIRE AUSSI : Démocratie : la Suisse, ce pays qui n’a pas peur de ses citoyens

Le magazine libéral The Economist classe le pays haut dans la hiérarchie des pays les plus démocratiques du monde et pourtant, il n'y a aucune Cour suprême chargée de s'assurer que le Parlement ou le peuple respectent la Constitution. Et pour cause, c'est la Constitution elle-même qui le lui interdit ! C'est le fameux article 190 de la Constitution suisse qui dispose que « le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international ». En somme, le Tribunal fédéral peut donner son avis sur la constitutionnalité d’une loi mais il ne peut la censurer, ni s’opposer à une décision prise par référendum. En conclusion, les élus peuvent voter des lois contraires à la Constitution sans risquer la censure. À cela s’ajoute la possibilité pour le peuple suisse de modifier la Constitution s'il réunit 100 000 signatures et réussit à convaincre la majorité du peuple et une majorité des 26 cantons. On comprend alors que l’on est très éloigné des standards français où le Parlement vient de se faire censurer et où il n’est pas possible d’organiser de référendum sur l’immigration.

Mais alors, face à une telle faiblesse de la norme suprême, comment la Suisse peut-elle encore être une démocratie ? Depuis 150 ans, le pays est gouverné selon ce modèle et il n'a connu aucun coup d'État, aucune période autoritaire, ni même une dissolution ou une crise de régime. La clé du système repose dans la confiance dans la « sagesse populaire ». Le Parlement ne peut toucher la Constitution sans accord obligatoire du peuple. Il ne peut voter une loi sans risquer d'être censuré par lui : toute loi est soumise à référendum si 50 000 citoyens le demandent. On l'aura compris, le juge constitutionnel en Suisse, c'est le peuple. Son rôle sera d’ailleurs fondamental lorsqu’en 1935 un groupe fasciste réclame une réforme complète de la Constitution, avec des visées autoritaires. Le référendum est organisé et 72 % des électeurs s’y opposent. La démocratie est sauvée.

A LIRE AUSSI : Loi immigration : "Neuf juges peuvent donc balayer d’un revers de manche un énorme travail parlementaire"

Et le droit des étrangers alors ? Il est considérablement moins avantageux qu'en France et pourtant 2 millions d'étrangers vivent en Suisse, dans des conditions matérielles avantageuses par rapport à leur pays d'origine, bien que 80 % soient Européens. Peut-être que la France pourrait s'inspirer de ce droit ? Il a l'air de faire recette, au sens propre du terme car les Français travaillant en Suisse peuvent espérer un niveau de salaire au minimum équivalent à celui d’un médecin en France. Et s’inspirer de la démocratie helvétique ? Les Suisses s’en déclarent largement satisfaits. Un bon moyen peut-être de résoudre la crise démocratique que connaît la France.

QOSHE - Paul Cébille : "En Suisse, le juge constitutionnel, c'est le peuple" - Paul Cébille
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Paul Cébille : "En Suisse, le juge constitutionnel, c'est le peuple"

7 12
26.01.2024

Jeudi 25 janvier, le Conseil constitutionnel a décidé de censurer une bonne partie de la loi immigration, pourtant votée à la majorité du Parlement, inspirant de nombreuses critiques du rôle des « Sages ». Mais imaginons un pays où aucune Cour ne pourrait venir censurer le Parlement. Vous pensez peut-être à la Hongrie de Viktor Orban ? Non, même lui est soumis à un contrôle. Alors peut-être se rappelle-t-on des années Donald Trump, mais non là encore la Cour suprême est puissante, au point de restreindre l'accès à l'avortement contre l'avis d’une majorité d’Américains et du président pourtant élu. Mais alors, le pays dont on parle serait sans aucun doute un régime autoritaire où les dirigeants violeraient sans cesse les droits fondamentaux de ses citoyens, la Russie peut-être ? Non, le pays dont on parle, c'est la Suisse.

A LIRE AUSSI : Démocratie : la Suisse, ce pays qui n’a pas peur de ses........

© Marianne


Get it on Google Play