Marianne : L’envoi de troupes occidentales au sol en Ukraine ne doit pas « être exclu » à l'avenir, a affirmé Emmanuel Macron, estimant néanmoins qu'il n'y avait « pas de consensus » à ce stade pour cette hypothèse. « Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre », a-t-il expliqué. Que vous inspire ce changement de cap diplomatique ?

Jean de Gliniasty :La situation est actuellement très tendue sur le front ukrainien et la supériorité russe sur le terrain s’affirme dans presque tous les domaines : obus, équipements, avions… La pression est constante et de nouveaux gains russes sont probables à un moment où l’aide américaine est toujours bloquée et où l’Union européenne a quasiment épuisé ses stocks disponibles à court terme.

On peut supposer qu’en transgressant le tabou de la présence de troupes d’un pays de l’Otan sur le sol ukrainien, le président Macron compte sur un effet de dissuasion en évoquant un risque d’escalade, premier pas vers une guerre généralisée. Il renverse la table en quelque sorte en espérant inciter les Russes à la prudence. Mais cette déclaration intervient dans un contexte de surenchère et de concurrence entre la France et l’Allemagne pour savoir qui en fera plus pour l’Ukraine.

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L’institut de Kiel souligne que la France n’est qu’au 14e rang des donateurs (ce qui est faux si on prend en compte la part française des financements européens), le chancelier Scholz aligne ses sept milliards alors que la France n’en annonce que trois, le président Macron évoque les casques et les sacs de couchage envoyés dans un premier temps par Berlin. Pourtant, une concertation franco-allemande est plus que jamais nécessaire sur ce dossier, bien sûr pour aider l’Ukraine à tenir en attendant que l’aide parvienne (obus, avions…) mais aussi pour préparer une solution diplomatique qui serait dans l’intérêt de l’Europe.

Force est de constater que la France est isolée quand elle envisage la possibilité d’envoyer des troupes au sol. Ni les États-Unis, ni l’Allemagne (qui bloque toujours la livraison de missiles Taurus à longue portée), ni l’Otan qui dément être en guerre avec la Russie, ni la Pologne pourtant en pointe pour l’aide à l’Ukraine, ne lui emboîtent le pas. Seuls les Britanniques, dans une certaine mesure, et bien sûr les Ukrainiens se réjouissent de ces déclarations. Il faut souhaiter qu’elles restent sans lendemain.

Comment la Russie peut-elle réagir ? Y a-t-il un risque d’escalade ?

Le Kremlin, par la voie de son porte-parole Peskov, a souligné que ces déclarations étaient un « nouvel élément très important », qui n’était pas dans l’intérêt des Européens et que dans le cas d’une telle présence de troupes au sol d’un pays de l’Otan, le conflit entre l’Otan et la Russie serait, non pas probable, mais inévitable. Il a noté, pour s’en réjouir, qu’il n’y avait pas de consensus au sein de l’Otan, sur ce point.

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Je doute pour ma part que ces propos du président français changent quoi que ce soit dans la détermination russe de pousser leur avantage actuel en Ukraine. Au contraire les Russes veulent sans doute profiter de la situation actuelle pour marquer des points avant qu’un nouveau flot d’aide occidentale n’arrive en Ukraine et pour aborder en position de force à la fin de l’année le nouveau président américain, quel qu’il soit.

Plus globalement, ces propos n’incarnent-ils pas une forme de lâcher prise stratégique, sinon émotionnel, du camp occidental, quand on voit que Joe Biden a traité Poutine de « fils de pute » ?

Les Américains peuvent se permettre beaucoup de choses surtout dans un contexte électoral, et de toute façon c’est avec eux que les Russes traiteront s’ils doivent le faire, et non avec les Européens qu’ils considèrent comme subordonnés. L’architecture de paix et de sécurité en Europe, un moment envisagée par le président Macron, sera en fait un sous-produit des décisions américaines surtout si Trump est élu.

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Alors que le soutien à l’Ukraine s’affaiblit dans les opinions européennes et américaines, la dimension émotionnelle du conflit ukrainien, bien normale, s’estompe, et la géopolitique reprend ses droits. Il faut espérer que la France et l’Union Européenne pourront faire valoir leur point de vue le moment venu.

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Ukraine : "Il faut que les déclarations de Macron sur la présence de troupes au sol restent sans lendemain"

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27.02.2024

Marianne : L’envoi de troupes occidentales au sol en Ukraine ne doit pas « être exclu » à l'avenir, a affirmé Emmanuel Macron, estimant néanmoins qu'il n'y avait « pas de consensus » à ce stade pour cette hypothèse. « Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre », a-t-il expliqué. Que vous inspire ce changement de cap diplomatique ?

Jean de Gliniasty :La situation est actuellement très tendue sur le front ukrainien et la supériorité russe sur le terrain s’affirme dans presque tous les domaines : obus, équipements, avions… La pression est constante et de nouveaux gains russes sont probables à un moment où l’aide américaine est toujours bloquée et où l’Union européenne a quasiment épuisé ses stocks disponibles à court terme.

On peut supposer qu’en transgressant le tabou de la présence de troupes d’un pays de l’Otan sur le sol ukrainien, le président Macron compte sur un effet de dissuasion en évoquant un risque d’escalade, premier pas vers une guerre généralisée. Il renverse la table en quelque sorte en espérant inciter les Russes à la prudence. Mais cette déclaration intervient dans un........

© Marianne


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