Marianne : Qu’est-ce que les PFAS et en quoi sont-ils dangereux pour la santé ? Les industriels connaissent leur toxicité mais n’ont rien fait, dites-vous…

​​Arnaud Thierry :Les PFAS désignent un ensemble de substances chimiques que l’on ne trouve pas à l’état naturel. Il existe près de 12 000 composés dans cette famille plus connue sous le nom de polluants éternels. Leur point commun est leur composition : une chaîne d’atomes de carbone et de fluor qui leur confère toutes sortes de propriétés recherchées dans l’industrie.

Les PFAS sont stables sous de fortes chaleurs, imperméables, repoussent les graisses et ont des propriétés antitaches ou antiadhésives. On a tous à l’esprit le cas de certaines poêles de cuisson. Mais c’est un exemple parmi des centaines d’applications différentes : batteries, vêtements, fart pour le ski, cosmétiques, emballages, etc.

Le revers de ces qualités, c’est que ces composés ne se dégradent que très peu dans l’environnement. Ils s’infiltrent dans les sols, l’eau, l’air et les tissus organiques. Dit autrement, les PFAS sont à l’origine d’une pollution systémique et, dans certains cas, éternelle. Il est impossible d’échapper à une exposition croissante aux PFAS : plus on en produit, plus on est exposés. On a même retrouvé ces polluants dans le sang d’ours polaires.

Or, une fois dans l’organisme, leurs propriétés les mettent hors de portée de l’action des enzymes qui devraient favoriser leur élimination par notre corps. Cette exposition subie est extrêmement grave car les scientifiques considèrent que les PFAS représentent un sérieux risque pour la santé.

Les risques les plus documentés sont l’altération de la fertilité, des maladies thyroïdiennes, des taux élevés de cholestérol, des lésions au foie, des cancers du rein, des testicules, une réponse réduite aux vaccins ou encore de faibles poids à la naissance.

Nous sommes donc bel et bien face à un problème sanitaire d’une gravité et d’une portée inédite. La portée de ce scandale, et je mesure l’ampleur de la comparaison, est de l’ordre de celle du désastre du chlordécone ou des ravages de l’amiante.

Depuis quand la nocivité des PFAS est-elle connue ? En France, ne vit-on pas un moment de prise de conscience sur le sujet, depuis le film Dark Waters au récent documentaire de Camille Etienne en passant par celui de Vert de rage et le combat des associations dans la vallée de la Chimie ?

Nous assistons effectivement à une prise de conscience récente pour le grand public en France. Pour autant, il faut rappeler que le scandale a explosé aux États-Unis dès les années 1990, et que les industriels savaient depuis longtemps que ces substances étaient dangereuses. Le combat pionnier de l’avocat américain Robert Bilott contre le géant de la chimie Dupont a été fondateur.

Plus tard, le film Dark Waters, inspiré du combat de cet avocat, a popularisé davantage le sujet. L’Europe atteste pourtant d’un retard sur la question. L’émergence du sujet sur notre continent doit beaucoup au formidable travail de journalistes d’investigation. Les associations et les activistes ont aussi un rôle clé dans cette prise de conscience du grand public.

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Pour ma part, j’ai choisi de consacrer une part importante de mon mandat à ce combat contre les polluants éternels. J’ai avant tout cherché à lui donner une dimension politique. Je me suis beaucoup entouré. J’ai rencontré Robert Bilott, j’ai discuté avec les scientifiques, les collectifs mobilisés. Ce combat trouve un débouché parlementaire jeudi prochain, avec la discussion de ma proposition de loi visant à protéger la population des risques représentés par les PFAS.

Que contient votre loi ?

Avant d’entrer dans des considérations plus précises, permettez-moi d’énoncer un constat fondamental : il y a un peu plus de cinquante ans, ma proposition de loi n’aurait eu aucun sens. Comme je l’ai rappelé à mes collègues en commission : les PFAS ont été créés par quelques industriels après la Seconde Guerre mondiale. À l’échelle de notre histoire, les PFAS ne sont finalement qu’une étincelle. Rappeler ce constat est primordial pour aborder sereinement l’ensemble de ce sujet et ne pas fléchir face aux défenseurs du statu quo.

La première mesure que je propose d’adopter vise à limiter la pollution aux PFAS à la source en prenant des restrictions de leur utilisation échelonnées dans le temps selon la disponibilité des alternatives. En l’état des débats, il s’agirait de mettre fin à l’utilisation des PFAS dans les ustensiles de cuisine, les cosmétiques, le fart pour le ski et les vêtements dès 2026.

Ces produits génèrent à la fois une pollution aux PFAS importante lors de leur production et en même temps nous exposent directement car nous les utilisons au quotidien. Surtout, nous connaissons les alternatives sans PFAS pour ces produits.

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La deuxième mesure concerne le contrôle de l’eau potable. Je propose de rechercher systématiquement la présence de PFAS. C’est une question de transparence pour nos concitoyens chez qui l’inquiétude grandit. C’est aussi un moyen d’identifier rapidement les territoires sur lesquels l’effort de dépollution devra être déployé en priorité.

La dernière mesure vise à appliquer le principe pollueur-payeur. La pollution aux PFAS va représenter un mur d’investissement, notamment pour les collectivités qui devront traiter leur eau potable. Il faut exiger que les industriels à l’origine de cette pollution contribuent financièrement à la dépollution.

Comment jaugez-vous le positionnement des acteurs industriels et de la majorité face à votre loi ? Êtes confiant quant au fait qu’elle soit votée le 4 avril ?

Les industriels ne freinent pas tous des quatre fers pour s’opposer à la réglementation. Beaucoup ont compris l’ampleur du problème, ont vu que le sujet est devenu une préoccupation massive, notamment aux États-Unis. Beaucoup savent également combien cette pollution aux PFAS est dangereuse pour la population comme pour l’environnement. Plusieurs secteurs soutiennent notre démarche et sont en réalité préparés à la transition vers des produits sans PFAS.

Vous dire que tous sont résolus à sortir rapidement des polluants éternels serait distordre la réalité : bien sûr, certains acteurs sont plus réticents. Les alternatives sont souvent plus coûteuses. Ce que je veux leur dire aujourd’hui c’est que cette loi est une première initiative en France mais qu’elle n’est pas isolée. L’Union européenne aussi prévoit à terme d’agir contre les PFAS.

Anticiper, se préparer à cette réglementation qui interviendra inéluctablement, c’est en réalité prendre un avantage décisif. Si nos industries apprennent à faire sans ces polluants, elles prendront les devants de marchés qui excluront progressivement les PFAS.

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Dans ce contexte, en tant que parlementaires, notre responsabilité est grande. J’espère que mes collègues sauront reconnaître avec ce texte la raison première de leur noble mission : protéger nos concitoyens, sans céder, jamais, aux sirènes des tenants de l’inaction. Les débats en commission ont permis d’arriver à une copie votée par tous les groupes politiques car j’ai toujours été dans une démarche d’écoute vis-à-vis des préoccupations des uns et des autres. C’est donc un texte équilibré qui pose les premières marches dans la lutte contre ce scandale sanitaire. Je compte sur le soutien renouvelé de mes collègues en séance publique.

QOSHE - Nicolas Thierry, député écolo élu à Bordeaux : "Le scandale des PFAS est comparable à celui de l’amiante" - Etienne Campion
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Nicolas Thierry, député écolo élu à Bordeaux : "Le scandale des PFAS est comparable à celui de l’amiante"

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02.04.2024

Marianne : Qu’est-ce que les PFAS et en quoi sont-ils dangereux pour la santé ? Les industriels connaissent leur toxicité mais n’ont rien fait, dites-vous…

​​Arnaud Thierry :Les PFAS désignent un ensemble de substances chimiques que l’on ne trouve pas à l’état naturel. Il existe près de 12 000 composés dans cette famille plus connue sous le nom de polluants éternels. Leur point commun est leur composition : une chaîne d’atomes de carbone et de fluor qui leur confère toutes sortes de propriétés recherchées dans l’industrie.

Les PFAS sont stables sous de fortes chaleurs, imperméables, repoussent les graisses et ont des propriétés antitaches ou antiadhésives. On a tous à l’esprit le cas de certaines poêles de cuisson. Mais c’est un exemple parmi des centaines d’applications différentes : batteries, vêtements, fart pour le ski, cosmétiques, emballages, etc.

Le revers de ces qualités, c’est que ces composés ne se dégradent que très peu dans l’environnement. Ils s’infiltrent dans les sols, l’eau, l’air et les tissus organiques. Dit autrement, les PFAS sont à l’origine d’une pollution systémique et, dans certains cas, éternelle. Il est impossible d’échapper à une exposition croissante aux PFAS : plus on en produit, plus on est exposés. On a même retrouvé ces polluants dans le sang d’ours polaires.

Or, une fois dans l’organisme, leurs propriétés les mettent hors de portée de l’action des enzymes qui devraient favoriser leur élimination par notre corps. Cette exposition subie est extrêmement grave car les scientifiques considèrent que les PFAS représentent un sérieux risque pour la santé.

Les risques les plus documentés sont l’altération de la fertilité, des maladies thyroïdiennes, des taux élevés de cholestérol, des lésions au foie, des cancers du rein, des testicules, une réponse réduite aux vaccins ou encore de faibles poids à la naissance.

Nous sommes donc bel et bien face à un problème sanitaire d’une gravité........

© Marianne


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