J’y ai pensé tout le temps des Fêtes, à ce que j’allais vous (ou nous) souhaiter pour l’année qui vient. C’est peut-être seulement pour cela que l’inspiration ne venait pas au fond, parce que je l’attendais trop. Je la traquais au travers des réceptions de famille, des virus qui gâchent tout et des soirées cinéma-rétro-bouillon-de-poulet-dans-le-salon. Tous ceux et celles qui écrivent, enfin, tous ceux et celles qui créent, le savent bien : l’inspiration est un animal sauvage qui, dès qu’il nous repère, juchés tout en haut de nos miradors, se met à nous fuir avec une adresse qui n’aura d’égale que cette joie que nous éprouverons peut-être, s’il accepte enfin de revenir vers nous, après que nous aurons baissé les armes !

N’empêche, elle me tournait dans la tête, cette liste, mobilisant mes pensées, déjà, dans cet état d’entre-deux du petit matin, juste avant le premier café, quand je ne sais pas encore si j’accepte que la nuit soit bel et bien terminée. Je me demandais de quoi nous avions besoin collectivement, à l’aube d’une année de plus à traverser cette époque étrange où l’enthousiasme est souvent suspect, pour peu que nous prétendions aussi à une certaine lucidité sur l’état des choses.

Oui, la nécessité de jumeler en soi espérance, révolte nécessaire et conscience de ses privilèges convie une présence au monde de plus en plus complexe à soutenir, il me semble. Que fait-on alors quand on y est toujours, dans ce monde, et que le petit carré décisionnel qui nous revient, en tant que citoyen, nous paraît rapetisser toujours un peu plus autour de nous, devenant presque collé à notre peau, renforçant cette vision individualisante des choses ?

Tandis que notre sentiment de responsabilité s’accroît face à ce qui se trame dans le monde, nous sommes aussi, paradoxalement, de plus en plus souvent saisis par notre impuissance à transformer ce qui nous semble s’enclencher bien au-dessus de nos petites personnes.

Comment, alors, marcher quand même, porter l’espoir pour nos enfants, renouveler surtout une forme d’optimisme qui ne serait ni niais ni aveugle, mais seulement planté vers le possible qui habite nos avenirs ? Que peut-on souhaiter au collectif, quand nous sommes si au courant de ce qui se fait souffrant dans l’individualité de nos cabinets de psys ?

Toujours en réfléchissant à mes voeux pour vous, ce cul-de-sac de la pensée me trouvait et achevait mon élan, me laissant desséchée de mon désir de dire.

Mais ce matin, au réveil, dans cet entre-lieu où le soleil aveuglant de la rationalité n’avait pas encore eu le temps de chasser les brumes magiques du rêve, une fois l’animal sauvage reconnu dans son aspect sauvage, une fois mes armes baissées et le mirador abandonné, la liste de mes voeux m’est revenue transformée, tout habillée de mots nouveaux, faite de désirs, bien loin du matérialisme à la limite de l’écoeurement qu’il me semble avoir encore bien ressenti pendant ces festivités. La voici donc pour vous, ma liste de mots nimbés d’un flou souhaité, conservé, honoré dans ce qu’il laissera de place à votre imaginaire.

Pour 2024, je nous souhaite une grande dose de doute, une réhabilitation de cet état précis de l’entre-deux qui vous habite peut-être vous aussi, au petit matin, quelque part entre la nuit et le jour, à la lisière des mondes du rêve et du réel, là où logent ces choses difficilement classables quoiqu’essentielles au vivre, telles que l’intuition, la sensibilité, le sentiment.

Pour parler le langage de mon ami Jung — oui, pardonnez-moi, je commence encore l’année avec lui —, je nous souhaite plus d’anima pour la prochaine année.

L’anima, chez Jung, c’est l’âme, simplement. C’est la part de soi qui nous raconte quelque chose de nos intériorités, mais non dans une vision retournée sur soi-même, fermée aux autres, individualiste ou égoïque, non. L’anima, c’est l’appel de notre intériorité qui, toujours, nous mènera à une plus grande ouverture vers le monde.

Un peu comme Alice, qui suit le lapin blanc jusque dessous le monde terrestre, vers un monde étrange et merveilleux, je nous souhaite de cultiv­er la curiosité de ce qui nous échappe en nous, de ce qui nous surprend, de ce qui n’était pas prévu à l’horaire. Je nous souhaite de rencontrer des dizaines de lapins blancs, qui nous guideraient sans trop qu’on s’en rende compte vers des mondes intérieurs encore insoupçonnés, peu connus de nous, qui nous feraient élargir la cartographie de nos territoires personnels. Je nous souhaite d’oser, comme la courageuse Alice, prendre le thé avec nos fous intérieurs, modifier les perceptions que nous avons de nous-mêmes, faire le voyage qui nous permettrait de nous transformer, pour devenir quelqu’un de plus au courant de ce qu’il porte en lui, et qui, de ce fait, sera forcément plus ouvert, moins jugeant, plus apte au vivre-ensemble.

Parce que chaque personne qui défriche son âme, qui accepte les jeux de miroirs, qui tolère de ne pas figer sa perception d’elle à seulement ce qui lui convient de penser, est une personne plus ouverte à rencontrer l’altérité, à apprendre de l’autre, en se protégeant moins, en se sentant moins menacée. Je nous souhaite donc plus de curiosité, moins de rigidité, plus de « je-ne-sais-pas », moins d’opinions tranchées et tranchantes sur l’autre. Je nous souhaite aussi d’accepter le mystère de l’autre comme une invitation au voyage, à voir ce que nous détestons, ce que nous méprisons chez l’autre comme un reflet perverti de ce qu’on n’arrive peut-être pas complètement à honorer en soi.

Je nous souhaite une collectivité qui se souderait autrement qu’en s’unissant contre les mêmes ennemis, qui se rejoindrait aussi sans aplanir les singularités de chacun et chacune.

Je nous souhaite de défricher chacun notre petit carré de jardin, en acceptant de creuser profondément vers notre âme, pour aller, peut-être, rejoindre des racines d’humanité partagée, qui formeraient un réseau interrelié loin sous la terre. C’est de cette radicalité, peut-être, que nous aurons besoin pour la suite du monde, celle qui honore pleinement l’étymologie du mot : radicalité, du mot racine.

Et vous, que vous/nous souhaitez-vous pour cette année ? Écrivez-moi à nplaat@ledevevoir.com.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Voeux de psy dans une époque radicale - Nathalie Plaat
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Voeux de psy dans une époque radicale

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08.01.2024

J’y ai pensé tout le temps des Fêtes, à ce que j’allais vous (ou nous) souhaiter pour l’année qui vient. C’est peut-être seulement pour cela que l’inspiration ne venait pas au fond, parce que je l’attendais trop. Je la traquais au travers des réceptions de famille, des virus qui gâchent tout et des soirées cinéma-rétro-bouillon-de-poulet-dans-le-salon. Tous ceux et celles qui écrivent, enfin, tous ceux et celles qui créent, le savent bien : l’inspiration est un animal sauvage qui, dès qu’il nous repère, juchés tout en haut de nos miradors, se met à nous fuir avec une adresse qui n’aura d’égale que cette joie que nous éprouverons peut-être, s’il accepte enfin de revenir vers nous, après que nous aurons baissé les armes !

N’empêche, elle me tournait dans la tête, cette liste, mobilisant mes pensées, déjà, dans cet état d’entre-deux du petit matin, juste avant le premier café, quand je ne sais pas encore si j’accepte que la nuit soit bel et bien terminée. Je me demandais de quoi nous avions besoin collectivement, à l’aube d’une année de plus à traverser cette époque étrange où l’enthousiasme est souvent suspect, pour peu que nous prétendions aussi à une certaine lucidité sur l’état des choses.

Oui, la nécessité de jumeler en soi espérance, révolte nécessaire et conscience de ses privilèges convie une présence au monde de plus en plus complexe à soutenir, il me semble. Que fait-on alors quand on y est toujours, dans ce monde, et que le petit carré décisionnel qui nous revient, en tant que citoyen, nous paraît rapetisser toujours un peu plus autour de nous, devenant presque collé à notre........

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