Qui aurait cru que la grève que nous avons menée ne serait finalement pas l’événement qui aura suscité chez nous, enseignants de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), le plus d’indignation ? La FAE refait les manchettes, mais cette fois, à notre grand découragement, ce n’est pas pour de meilleures conditions d’enseignement ni de meilleures conditions d’apprentissage et ce n’est surtout pas pour remplir un mandat que nous lui avons confié.

Alors que nous avons fait cinq semaines de grève sans salaire, que nous avons eu recours aux banques alimentaires pour la première de nos vies, que nous avons accepté les explications fournies sur l’absence d’un fonds de grève, nous sommes outrés d’apprendre cette semaine que la FAE a l’intention de financer la contestation de la Loi sur la laïcité de l’État devant la Cour suprême, et ce, sans même consulter ses membres. Déjà 1,2 million de dollars dépensés et d’autres encore à venir. Il s’agit de sommes colossales provenant de nos cotisations syndicales et personne ne daigne nous demander si nous sommes d’accord avec cette dépense !

Si nous sommes choqués, nous ne sommes malheureusement pas surpris par cette déficience démocratique au sein de la FAE. En effet, la FAE est passée maîtresse dans l’art de peu ou mal consulter ses membres, voir de ne pas les consulter du tout, sur les questions de fond.

Pour preuve, en apprenant le 28 décembre dernier qu’une entente de principe était survenue aux tables de négociations sectorielles, nous apprenions du même coup que la FAE et ses syndicats affiliés avaient décidé de nous tenir dans l’ignorance de son contenu jusqu’au vote. Nous ne pouvions prendre connaissance de l’entente par nous-mêmes, car celle-ci devait nous être « expliquée » sans quoi nous n’arriverions pas à la comprendre. (Comme quoi, il n’y a pas que le gouvernement qui puisse faire preuve de mépris). Il ne fallait absolument pas que l’entente soit partagée et diffusée. Cela aurait laissé trop de place à des questionnements, à des commentaires et à des opinions qui n’auraient pu être recadrés ou mis en contexte par « les bonnes personnes ».

En somme, si la FAE ne pouvait pas contrôler le débat, il était préférable qu’il n’y ait pas de débat. « Viser toujours plus haut », pour l’école, oui ; pour la démocratie, on repassera.

Finalement, nous aurons eu un traitement inéquitable : certains membres finiront par recevoir ladite documentation le soir du vote, d’autres de trois à six jours avant. Ensuite, apprenant les conditions inacceptables dans lesquelles les collègues de l’Alliance des professeurs de Montréal avaient voté au petit matin, des membres du SEO, affilié à la FAE, ont demandé que soit modifiée la formule de vote. Ils souhaitaient que l’assemblée en soirée explique l’entente, mais que le vote se fasse électroniquement au cours des 24 heures qui suivraient. « Impossible », leur a-t-on répondu. « Cela contrevient à la Loi sur le travail » , se sont-ils fait dire.

Quelle ne fut pas leur surprise et leur indignation en apprenant, quelques jours plus tard, que les collègues du Syndicat des enseignants Haute-Yamaska, aussi affiliés à la FAE, avaient pu tenir leur vote sur une période de trois jours suivant leur assemblée ! Voulant faire amende honorable, la FAE mène présentement un sondage sur notre appréciation du déroulement de la dernière négociation. Sur les 205 cases à cocher pour y répondre, aucune question ne porte sur le processus de diffusion, d’explication et de prise de vote sur l’entente. On en conclut que la FAE ne pose pas les questions dont elle ne souhaite pas entendre les réponses.

Puis, cette semaine, une autre question à laquelle la FAE ne souhaite pas connaître notre avis a fait surface : souhaitons-nous que nos cotisations syndicales servent à financer un combat juridique en Cour suprême pour contester le recours à la disposition de dérogation évoquée dans Loi sur la laïcité de l’État ? Rappelons que la FAE a déjà contesté ladite loi en Cour d’appel et a perdu. Dans son jugement, le juge a rappelé à la FAE que le rôle de la cour n’est pas de « contrer le populisme » ni de « faire preuve d’audace », mais de vérifier la validité constitutionnelle des lois.

Si la FAE tente de lutter contre le populisme, qu’elle prêche par l’exemple et cesse de s’approprier notre force mobilisatrice et nos fonds pour légitimer un combat juridique auquel nous ne souscrivons pas. Qu’elle-même fasse preuve d’audace en consultant ses membres quant à leur volonté à faire invalider la disposition de dérogation en Cour suprême. Une clause légale et légitime qui, rappelons-le, est l’aménagement minimal dont dispose le Québec pour exercer sa souveraineté parlementaire au sein d’une constitution qui lui a été imposée sans son consentement. Mais bon, imposer sans consentement sa volonté, il semblerait que c’est aussi le credo de la FAE. On mérite mieux.

Nous exigeons que la FAE se retire de ce débat juridique tant qu’elle n’aura pas consulté en bonne et due forme l’ensemble des membres sur cette question précise.

* Ont cosigné ce texte : Claude Tousignant, enseignant membre du SERL ; Michèle Nadeau-Allard, enseignante membre du SEBL ; Maude Boyer, enseignante membre du SEOM ; Hélène Frankland, enseignante membre de l’Alliance des professeurs de Montréal ; Hela Trabelsi, enseignante membre du SEO ; Kamal Messaoudene, enseignant membre du SEO ; Daniel Turmel, enseignant membre du SEO ; Geneviève Robertson, enseignante membre du SEO ; Serge Alfaro, enseignant membre du SEO ; Nathalie Sarazin, enseignante membre du SEO ; Carol-Ann Simmons, enseignante membre du SEO ; Geneviève Savage, enseignante membre du SEO ; Sara Morin, enseignante membre du SEO ; Claudia Cloutier-Provencher, enseignante membre du SEO ; Patricia Duquette, enseignante membre du SEO ; Cristèle Piché, enseignante membre du SEO ; Huguette Gauvreau Robertson, enseignante membre du SEO ; Janie Houle, enseignante membre du SEO ; Nadine Beaudry, enseignante membre du SEO ; Janique Lachance, enseignante membre du SEO ; Christine Dufour, enseignante membre du SEO ; Katleen Roberge, enseignante membre du SEO ; Marie-Chantal Gagnon, enseignante membre du SEO ; Sarah Lestage, enseignante membre du SEO ; Karim Roy, enseignant membre du SEO ; Julie Bouchard, enseignante membre du SEO ; Nicole Beaupré, enseignante membre du SEO ; Marie-Chantale Gervais, enseignante membre du SEO ; Romain Vanhooren, enseignant membre du SEO ; Manon Juneau, enseignante membre de l’Alliance des professeurs de Montréal ; Félix Pinel, enseignant membre de l’Alliance des professeurs de Montréal ; Armand Dubois Ranjbaran, enseignant membre de l’Alliance des professeurs de Montréal ; Daniel Tremblay, enseignant membre de l’Alliance des professeurs de Montréal ; Catherine Poitras-Quiniou, enseignante membre de l’Alliance des professeurs de Montréal ; Marie-Christine Lavoie, enseignante membre de l’Alliance des professeurs de Montréal ; Jonathan Lépine, enseignant membre du SEBL ; Jean-Nicolas Néron, enseignant membre du SEBL ; Marc-André Dupuis, enseignant membre du SEBL ; Patrick Legault, enseignant membre du SEOM.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

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Les profs méritent mieux… de la part de leur syndicat

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06.05.2024

Qui aurait cru que la grève que nous avons menée ne serait finalement pas l’événement qui aura suscité chez nous, enseignants de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), le plus d’indignation ? La FAE refait les manchettes, mais cette fois, à notre grand découragement, ce n’est pas pour de meilleures conditions d’enseignement ni de meilleures conditions d’apprentissage et ce n’est surtout pas pour remplir un mandat que nous lui avons confié.

Alors que nous avons fait cinq semaines de grève sans salaire, que nous avons eu recours aux banques alimentaires pour la première de nos vies, que nous avons accepté les explications fournies sur l’absence d’un fonds de grève, nous sommes outrés d’apprendre cette semaine que la FAE a l’intention de financer la contestation de la Loi sur la laïcité de l’État devant la Cour suprême, et ce, sans même consulter ses membres. Déjà 1,2 million de dollars dépensés et d’autres encore à venir. Il s’agit de sommes colossales provenant de nos cotisations syndicales et personne ne daigne nous demander si nous sommes d’accord avec cette dépense !

Si nous sommes choqués, nous ne sommes malheureusement pas surpris par cette déficience démocratique au sein de la FAE. En effet, la FAE est passée maîtresse dans l’art de peu ou mal consulter ses membres, voir de ne pas les consulter du tout, sur les questions de fond.

Pour preuve, en apprenant le 28 décembre dernier qu’une entente de principe était survenue aux tables de négociations sectorielles, nous apprenions du même coup que la FAE et ses syndicats affiliés avaient décidé de nous tenir dans l’ignorance de son contenu jusqu’au vote. Nous ne pouvions prendre connaissance de l’entente par nous-mêmes, car celle-ci devait nous être « expliquée » sans quoi nous n’arriverions pas à la comprendre. (Comme quoi, il n’y a pas que le gouvernement qui puisse........

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