À la faveur des Fêtes, l’équipe éditoriale poursuit sa réflexion sur les défis individuels et collectifs qui façonneront notre monde des prochaines années sous l’angle des solutions, dans la mesure du possible. Aujourd’hui : l’éducation.

L’année 2023 s’achève sur les grands déchirements du monde de l’éducation, qu’on ne réussit à aborder apparemment qu’en déclinant la longue liste de problèmes qui s’y collent. Point enfin l’espoir d’une reprise des classes dès janvier, après des jours laborieux où les enseignants ont troqué la classe pour la rue. Souhaitons pour la prochaine année qu’on puisse guérir l’éducation du mal insidieux qui l’afflige, soit de n’être plus scrutée qu’à l’aune de ses problèmes plutôt que de ses immenses forces.

Valoriser l’école, n’est-ce pas tenter d’abord d’en parler en des termes élogieux ? Au tout début de la liste des victoires, célébrons le simple fait que les enfants du Québec ne comptent pas parmi les 250 millions de petits non scolarisés errant sur le globe. L’UNESCO, dont la directrice générale, Audrey Azoulay, décrète que « l’éducation est en état d’urgence », voit hélas ce nombre augmenter, en grande partie en raison de l’exclusion massive des filles et des jeunes femmes de l’éducation en Afghanistan. Alors que les bombes plombent certains quartiers scolaires sur la planète, le droit à l’éducation demeure un privilège mal évalué ici-bas.

Pourquoi avons-nous tellement mal à notre école ? Le gouvernement de François Legault promet une révolution avec son projet de loi 23, adopté alors que les syndiqués de l’éducation militaient dehors pour de meilleures conditions de travail. Dans ce projet de réforme des structures, on voit surtout poindre une immense soif de centralisation. Sur le plancher des écoles, les enseignants décrivent un quotidien quasi impossible à affronter, avec des classes composées de profils tellement différents qu’on peine à tous les satisfaire. La dernière politique de l’adaptation scolaire, lancée par l’ex-ministre de l’Éducation François Legault en 1999, a-t-elle livré tous ses fruits ? Avons-nous usé le concept de l’intégration à tout prix, dont le principe d’insertion dans les classes ordinaires des élèves handicapés et en difficulté d’apprentissage reste noble, mais ne passe plus le test de la réalité ? C’est une question magistrale à laquelle le Québec va devoir répondre.

Le monde de l’école est en constante évolution, à l’image même de la société. Le profil des enfants a changé, forcément. Désormais, les élèves foulent le pas de leurs classes habités tôt en âge par des troubles anxieux. Ils avalent tellement de temps d’écran à la maison que leur besoin de bouger est grand et leur capacité à demeurer attentifs est limitée. Alors que jadis ils s’adaptaient aux besoins et aux demandes des adultes, désormais, on les modèle plutôt selon une formule où c’est l’environnement qui se moule à leurs besoins. Ce groupe d’enfants bien de son temps a changé, mais l’école a-t-elle réussi à suivre la cadence ?

Ce contexte exigeant milite pour qu’on choisisse de manière méticuleuse les professionnels qui aideront nos enfants à devenir citoyens, non seulement en les accompagnant dans la réussite scolaire, mais aussi en forgeant leur pensée critique et en favorisant leur développement personnel. Or, la pénurie d’enseignants nous forcera à pratiquer la « flexibilité », nouveau maître-mot en éducation, et à assouplir les exigences. Le Québec fait piètre figure en matière de collecte de données et de suivi d’indicateurs, mais, pour une aventure aussi cruciale que l’éducation de ses futurs citoyens, il ne peut plus naviguer à vue et opérer comme si l’école était un laboratoire. Nous espérons que demain apportera une maîtrise solide des indicateurs de l’éducation.

Avec l’avènement de l’intelligence artificielle (IA) générative, l’école s’apprête à embrasser une autre révolution. Il serait dommage que l’IA soit perçue comme une menace alors que, bien encadrée, elle pourrait s’avérer une alliée solide, facilitatrice du travail des enseignants et directions d’école. Deux conditions sont toutefois nécessaires à cette utilisation positive, soit une maîtrise solide de la part du ministère et, surtout, de la formation. Entre autres enseignements de la pandémie, on retiendra le désert technologique de certaines écoles et le retard éhonté du réseau public en ce secteur pourtant aussi crucial que nécessaire. L’école ne pourra pas arriver désarmée devant l’IA, dont les rouages sont susceptibles d’être maîtrisés par les élèves bien avant les maîtres.

Les défis de l’éducation sont parmi les plus grandioses et les plus exaltants. Quand il s’agit de faire grandir des esprits, on ne devrait aborder les enjeux qu’avec une certaine ivresse, celle qui concourt à fabriquer le Québec de demain. Mais la démesure des problèmes a enterré, dirait-on, les petits miracles opérés chaque jour au détour d’une classe. L’école nourricière a besoin qu’on s’attarde à ses bons coups, qui sont légion. Sans occulter tous les pans qui sont à parfaire, l’éducation pourrait redevenir au Québec le dessein prioritaire, celui qui mérite toutes les attentions et tous les égards qui lui reviennent. C’est une aventure à laquelle la société tout entière devrait participer, car en vérité, il n’y a pas projet social plus fondamental.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

QOSHE - L’école, sous son meilleur jour - Marie-Andrée Chouinard
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L’école, sous son meilleur jour

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30.12.2023

À la faveur des Fêtes, l’équipe éditoriale poursuit sa réflexion sur les défis individuels et collectifs qui façonneront notre monde des prochaines années sous l’angle des solutions, dans la mesure du possible. Aujourd’hui : l’éducation.

L’année 2023 s’achève sur les grands déchirements du monde de l’éducation, qu’on ne réussit à aborder apparemment qu’en déclinant la longue liste de problèmes qui s’y collent. Point enfin l’espoir d’une reprise des classes dès janvier, après des jours laborieux où les enseignants ont troqué la classe pour la rue. Souhaitons pour la prochaine année qu’on puisse guérir l’éducation du mal insidieux qui l’afflige, soit de n’être plus scrutée qu’à l’aune de ses problèmes plutôt que de ses immenses forces.

Valoriser l’école, n’est-ce pas tenter d’abord d’en parler en des termes élogieux ? Au tout début de la liste des victoires, célébrons le simple fait que les enfants du Québec ne comptent pas parmi les 250 millions de petits non scolarisés errant sur le globe. L’UNESCO, dont la directrice générale, Audrey Azoulay, décrète que « l’éducation est en état d’urgence », voit hélas ce nombre augmenter, en grande partie en raison de l’exclusion massive des filles et des jeunes femmes de l’éducation en Afghanistan. Alors que les bombes plombent certains quartiers scolaires sur la planète, le droit à l’éducation demeure........

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