L’agriculture est en crise, ici comme partout dans le monde. Les sols partent en poussière, dégradés par des décennies d’exploitation intensive, la biodiversité a été décimée et ne joue plus son rôle dans les écosystèmes. Au nord comme au sud, la concurrence internationale n’aura fait que des perdants. Les femmes et les hommes qui se dévouent à produire notre nourriture n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Plusieurs craquent, certains s’enlèvent la vie, d’autres mettent la clé sous la porte. Combien de fermes perdons-nous chaque mois ?

La recherche incessante du moindre coût a un coût humain, social et environnemental que nous devons payer collectivement. Des aides d’urgence seront nécessaires pour permettre aux agriculteurs de compenser leurs pertes, voire d’éviter la faillite, mais nous nous devons surtout d’agir en amont.

C’est dans cet esprit, Monsieur le Ministre Lamontagne, que vous avez lancé le Plan d’agriculture durable (PAD). Une mesure attendue et nécessaire visant à rétribuer les bonnes pratiques pour régénérer nos sols, les rendre plus productifs et plus résilients, et contribuer ainsi à notre sécurité alimentaire.

Les montants alloués à ce plan sont cependant loin d’être à la hauteur des défis actuels. Qui plus est, l’aide étant calculée à l’hectare, elle laisse en plan les maraîchers opérant sur de petites surfaces. Ils n’ont droit à rien, même quand ils cochent toutes les cases des bonnes pratiques, voire les dépassent.

C’est le cas de deux fermes emblématiques dont j’aimerais vous faire connaître les réalisations… avant qu’elles ne disparaissent. Je parle des Bontés de la vallée et de la ferme Cadet Roussel, deux entreprises de Montérégie dont les propriétaires, au bout du rouleau, envisagent de tout abandonner.

Cadet Roussel est une ferme en biodynamie établie depuis 1974. Elle a été la première ferme de famille d’Équiterre en 1995 et, en 2010, la première fiducie d’utilité sociale agricole au Québec ; la vocation agroécologique du fond de terre s’en trouve protégée à perpétuité. Les propriétaires Anne et Arnaud ont reçu en 2023 une médaille de l’Ordre national du mérite agricole. Une médaille, mais pas un sou.

La ferme maraîchère Les bontés de la vallée est considérée par ses pairs comme un modèle de ferme biologique en agriculture régénératrice. Depuis 15 ans, Mélina et François en ont fait un paradis de biodiversité, aménageant des corridors sauvages, plantant des milliers d’arbres tout autour des parcelles, réintroduisant même une vingtaine d’essences indigènes à fruits et à noix.

Ces fermiers et fermières sont plus que des producteurs de « denrées alimentaires », ils et elles sont des gardiens du sol et du vivant, des protecteurs des eaux souterraines et de surface ; leurs sols, véritables puits de carbone, tempèrent le climat. Ils et elles nous forcent aussi à réfléchir au rapport humain-nature, à réimaginer le métier d’agriculteur. Les écarter constitue une injustice et une grande perte pour nous tous alors qu’ils tracent la voie de l’agriculture de demain et en ont jusqu’ici assumé personnellement les frais.

Vous venez d’annoncer l’ajout de 34 millions de dollars au PAD. Ne serait-il pas temps de créer un volet destiné à soutenir les petites exploitations et à reconnaître le travail immense accompli par les plus innovantes d’entre elles ?

Équiterre et la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique ont aussi maintes fois proposé d’autres formes de soutien, comme une politique d’aide aux hôpitaux, CHSLD, CPE et écoles afin qu’ils y servent des aliments sains tout en offrant de nouveaux débouchés aux maraîchers biologiques locaux.

Ce ne sont pas les idées qui manquent, mais la volonté politique, le sentiment d’urgence, une vision large et audacieuse. Nous sommes témoins de l’échec du modèle agricole du XXe siècle où une prospérité apparente a été possible au détriment de l’environnement, d’autres nations et des générations futures. Il faut, ensemble, repenser la manière dont nous produisons notre nourriture, faire de l’agroécologie notre grand projet collectif.

Les humains inspirants derrière Les bontés de la vallée et Cadet Roussel aiment passionnément leur travail, mais n’en peuvent plus de porter sur leurs seules épaules une responsabilité qu’ils exercent pour le bien de tous. Ils tentent une (ultime ?) saison en appelant à la formation d’une communauté de soutien qui fasse sienne la mission de la ferme, qui s’affirme comme coresponsable de ces petits bouts de terre et partie prenante « d’un projet nourricier qui a du sens ».

En a-t-il pour vous, Monsieur le Ministre ?

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QOSHE - Une agriculture en quête de sens et de reconnaissance - Carole Poliquin
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Une agriculture en quête de sens et de reconnaissance

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16.03.2024

L’agriculture est en crise, ici comme partout dans le monde. Les sols partent en poussière, dégradés par des décennies d’exploitation intensive, la biodiversité a été décimée et ne joue plus son rôle dans les écosystèmes. Au nord comme au sud, la concurrence internationale n’aura fait que des perdants. Les femmes et les hommes qui se dévouent à produire notre nourriture n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Plusieurs craquent, certains s’enlèvent la vie, d’autres mettent la clé sous la porte. Combien de fermes perdons-nous chaque mois ?

La recherche incessante du moindre coût a un coût humain, social et environnemental que nous devons payer collectivement. Des aides d’urgence seront nécessaires pour permettre aux agriculteurs de compenser leurs pertes, voire d’éviter la faillite, mais nous nous devons surtout d’agir en amont.

C’est dans cet esprit, Monsieur le Ministre Lamontagne, que vous avez lancé le Plan d’agriculture durable (PAD). Une mesure attendue et nécessaire visant à rétribuer les bonnes pratiques pour régénérer nos sols, les rendre plus productifs et plus résilients, et contribuer ainsi à notre sécurité alimentaire.

Les montants alloués à ce plan sont cependant loin d’être à la hauteur des défis actuels. Qui plus........

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