C’est une statistique aussi ahurissante que difficile à saisir. Toutes les 16 heures, une personne dans le monde meurt en raison d’un automobiliste si pressé d’arriver à destination qu’il voit rouge. Une rage au volant évidemment amplifiée par des systèmes de transport inadéquats et une culture automobile complètement absurde.

Elle est très absurde, oui, cette industrie automobile, où rien n’est plus important que la puissance brute. En effet, on voit bien qu’il n’y a pas seulement la puissance de brute à bord de véhicules où les conducteurs sentent assez la moutarde leur monter au nez pour provoquer un peu plus d’un accident mortel par jour.

Il y a deux semaines se tenait à Tokyo une exposition internationale axée sur la mobilité durable, une nouvelle façon d’appeler les salons de l’auto maintenant que les salons de l’auto sont presque morts. Profitant de cette vitrine internationale tokyoïte, les représentants de grands constructeurs internationaux ont fait passer le message suivant : les cibles d’électrification sont trop élevées ! Il faudrait les réduire ! Les repousser ! Les abolir !

Les consommateurs, disent-ils, ne veulent pas des véhicules électriques. Regardez comme la demande s’essouffle et comme les ventes ralentissent ! C’est en tout cas ce que disent les patrons des grands constructeurs, même s’ils ont tort. Ils ont mis en marché ces derniers mois des véhicules dont le moteur produit 500 chevaux ou plus et dont le prix de détail est supérieur à 100 000 $, et ils s’étonnent ces jours-ci que les acheteurs se présentent chez leurs concessionnaires en moins grand nombre que ce qu’ils prévoyaient.

Dans la foulée, ces mêmes grands constructeurs ont dévoilé des véhicules concepts — des esquisses auxquelles on donne une forme physique réelle le temps de quelques expositions automobiles — préfigurant de nouveaux modèles à venir.

Parmi ces concepts : une supervoiture électrique de 1300 chevaux signée Nissan. Parce que sans puissance, le virage électrique n’est rien, on le sait bien. Et Nissan, dont la haute direction s’est embourbée dans des scandales internes qui lui ont fait prendre un retard énorme dans ses plans d’électrification, pense que ressusciter la flamme qui brûle dans le coeur des amateurs de sa sportive GT-R est le meilleur moyen de dire : « nous revoilà ! ».

Attendez, il y a mieux.

Toyota aussi avait des véhicules concepts à dévoiler à Tokyo. On ne peut pas leur reprocher grand-chose, étant donné qu’on n’a vu que leur carrosserie. Mais dans la foulée, ses dirigeants ont indiqué qu’ils avaient mis au point une nouvelle boîte de transmission manuelle qui pourrait être vendue en option sur ses futurs véhicules électriques. Honda aussi a récemment breveté un système similaire de passage manuel des rapports applicable sur un moteur électrique.

Le hic étant que les moteurs électriques sont généralement installés directement sur l’essieu des véhicules qu’ils animent. Une boîte de transmission ne leur est d’aucune utilité. On ne saurait même pas sur quoi la brancher !

En outre, les modèles à boîte manuelle ne représentent depuis quelques années que 3 % de tous les véhicules à essence vendus en Amérique du Nord.

Mais une sportive manuelle à six rapports, ça envoie une image. C’est un signal. Ça signifie qu’on prend la conduite à coeur : on ne conduit pas, on pilote.

Parlez-moi de ça, une voiture électrique de 1300 chevaux à boîte manuelle six rapports !

Ça n’a pas pris de temps, il y a cinq ans, quand on a commencé à parler des voitures autonomes pour qu’on pose rapidement des questions hautement philosophiques du genre : « Oui, mais les voitures autonomes devraient-elles faire le choix moral entre percuter une mère et son bébé ou percuter un mur et risquer de tuer ses quatre occupants ? »

Question légitime. Qui occulte des questions autrement plus terre à terre comme : devrait-on imposer aux constructeurs l’installation à bord de leurs véhicules d’un système de surveillance du conducteur qui l’empêcherait de perdre la boule ?

C’est le genre de surveillance qu’une intelligence artificielle (IA) peut faire, sans avoir à défier René Descartes ni à passer un test de Turing. Et, déjà, la quincaillerie existe. Plusieurs constructeurs ont déjà installé des caméras qui analysent le comportement du conducteur pour l’alerter s’il est distrait ou s’il fait mine de s’endormir.

L’organisme qui a publié l’information sur les morts provoquées par la rage au volant, appelée Geonode, pense que la prochaine génération de ces technologies inclura la reconnaissance des émotions négatives, justement pour prévenir les cas de rage au volant. Quand les choses sont présentées comme ça, on a plutôt hâte que l’IA fasse son entrée dans les automobiles, puisqu’elle pourrait être plus intelligente que les humains dans des situations où les émotions prennent le dessus sur la raison.

Et ça aussi, c’est quand même assez absurde. Il faudra demander à une IA de gérer les émotions, à bord de véhicules trop coûteux, trop gros et trop puissants, de gens incapables de se contenir à l’approche d’un feu rouge trop rouge, d’un véhicule lent trop lent, ou d’un cycliste trop… trop quoi, au juste ?

À bien y penser, la voiture n’est peut-être pas le bon endroit pour l’IA. La direction des grands constructeurs semble plus appropriée…

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - La rage au volant tue plus d’une personne par jour - Alain Mckenna
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

La rage au volant tue plus d’une personne par jour

6 0
06.11.2023

C’est une statistique aussi ahurissante que difficile à saisir. Toutes les 16 heures, une personne dans le monde meurt en raison d’un automobiliste si pressé d’arriver à destination qu’il voit rouge. Une rage au volant évidemment amplifiée par des systèmes de transport inadéquats et une culture automobile complètement absurde.

Elle est très absurde, oui, cette industrie automobile, où rien n’est plus important que la puissance brute. En effet, on voit bien qu’il n’y a pas seulement la puissance de brute à bord de véhicules où les conducteurs sentent assez la moutarde leur monter au nez pour provoquer un peu plus d’un accident mortel par jour.

Il y a deux semaines se tenait à Tokyo une exposition internationale axée sur la mobilité durable, une nouvelle façon d’appeler les salons de l’auto maintenant que les salons de l’auto sont presque morts. Profitant de cette vitrine internationale tokyoïte, les représentants de grands constructeurs internationaux ont fait passer le message suivant : les cibles d’électrification sont trop élevées ! Il faudrait les réduire ! Les repousser ! Les abolir !

Les consommateurs, disent-ils, ne veulent pas des véhicules électriques. Regardez comme la demande s’essouffle et comme les ventes ralentissent ! C’est en tout cas ce que disent les patrons des grands constructeurs, même s’ils ont tort. Ils ont mis en marché ces derniers mois des........

© Le Devoir


Get it on Google Play