Les médias canadiens sont invités à ne pas retenir leur souffle. La Loi sur les nouvelles en ligne pourrait n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. Ailleurs dans le monde, le trafic redirigé par les géants d’Internet vers les sites ou les applications de nouvelles est en chute libre. Renverser la tendance ne sera pas facile… mais pas impossible non plus.

En tout cas, le problème est généralisé. En un mot : les réseaux sociaux et les moteurs de recherche redirigent de moins en moins de gens vers les sites des grands médias, qu’ils soient écrits ou électroniques. C’est en tout cas ce qu’indiquent des statistiques à ce sujet que diffusait dernièrement l’analyste danois et expert des médias numériques Thomas Baekdal.

Selon ses données, en août 2023, par rapport à août 2020, de quatre à six fois moins d’utilisateurs de Facebook et de Twitter — entre-temps rebaptisé X — ont cliqué sur un lien qui les redirigeait vers un site d’information. C’est énorme !

« Les dirigeants des médias sociaux nous disent que l’information “ne vaut juste pas la peine”, alors ils modifient leurs algorithmes pour en minimiser la place, au profit d’autres types de contenus médiatiques sur lesquels le public passe plus de temps », analyse Thomas Baekdal.

À plein de niveaux, l’année 2020 a été, disons, spéciale. Au plus fort de la pandémie de COVID-19, bien des choses étaient tout sauf normales. Les médias en ont profité pour élargir de façon exceptionnelle leur lectorat, leur auditoire. Peut-on présumer que la baisse d’intérêt envers leurs contenus dénotée sur les réseaux sociaux dans les trois années suivantes est l’effet d’une « fatigue pandémique », et qu’un rebond éventuel est inévitable ?

Tout est possible. Thomas Baekdal a procédé à une seconde analyse, du côté de Google cette fois, portant sur le nombre des visites reçues par les sites d’information depuis 20 ans et qui proviennent du moteur de recherche de Google. Ce n’est pas encourageant.

Son constat : alors que Google redirigeait bon an mal an dans la plupart des pays d’Europe et d’Amérique du Nord sensiblement la même proportion d’internautes vers des nouvelles en ligne entre 2004 et 2016, depuis cette année-là, cette proportion subit un déclin généralisé, sauf quand se produit dans l’actualité un événement d’intérêt majeur.

L’analyste reprend à son compte la conclusion d’une enquête portant sur le même sujet et publiée aux États-Unis en juin dernier par le Reuters Institute. L’institut, une référence sur la question du rôle des médias dans la sphère publique américaine, estime que le public est généralement moins intéressé qu’avant par l’actualité. « Moins de la moitié (48 %) des gens sondés disent aujourd’hui être très ou extrêmement intéressés par l’actualité, en baisse alors qu’ils étaient 63 %, en 2017 », indiquait l’organisme américain il y a un an.

Autrement dit, s’il y a une fatigue du public envers les contenus d’information, les chiffres tirés de Google, de Facebook et d’ailleurs sur Internet tendent à indiquer qu’elle n’est pas seulement pandémique. C’est un problème qui existe depuis plus longtemps que les trois dernières années, et qui va au-delà des moteurs de recherche et des réseaux sociaux, avance l’analyste danois.

Une affirmation osée, venant d’un analyste expert de la transition numérique. Parce que la première chose que les experts en transition numérique disent généralement à leurs clients ou à leurs patrons, c’est de satisfaire en premier lieu… les moteurs de recherche et les réseaux sociaux.

Se conformer avant tout aux exigences de Google et de Facebook, c’est ce que la plupart des entreprises encouragées à effectuer un virage numérique se sont fait dire au Québec ces quinze dernières années. C’est d’ailleurs un argument avancé par le gouvernement dès 2020, au moment d’investir dans le lancement du Panier bleu : il permettra aux commerçants québécois de renforcer leur référencement.

Leur quoi ?

C’est la clé de voûte d’une stratégie en ligne réussie. C’est assez simple : pour qu’elle fonctionne, il faut qu’un site Web attire les internautes. Et comme la plupart des gens naviguent sur Internet à partir de Google ou de Facebook, le meilleur moyen d’attirer les internautes vers son site est d’optimiser son contenu pour qu’il soit mieux mis en vitrine par ces plateformes.

Optimiser son contenu pour séduire Google, c’est ce qu’on appelle du bon référencement.

Ironiquement, Facebook, l’autre géant du Web cité par Ottawa dans sa Loi sur les nouvelles en ligne comme profitant indûment du contenu produit par les sites d’information, doit une bonne partie de son succès commercial à la stratégie inverse : il empêche depuis ses débuts Google de pouvoir accéder à ses pages Web.

Ce n’est pas un hasard si on ne trouve à peu près jamais de liens vers Facebook dans les résultats d’une recherche sur Google. Facebook protège depuis ses débuts son actif le plus précieux : son contenu. Netflix ainsi qu’Apple et Disney protègent aussi très jalousement leurs contenus.

Rendre son produit exclusif est une stratégie de marketing qui a réussi à bien des grandes marques au fil des années. Il n’y a aucune raison que ce soit différent dans l’industrie des médias et de l’information.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - La Loi sur les nouvelles en ligne est déjà désuète - Alain Mckenna
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La Loi sur les nouvelles en ligne est déjà désuète

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13.11.2023

Les médias canadiens sont invités à ne pas retenir leur souffle. La Loi sur les nouvelles en ligne pourrait n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. Ailleurs dans le monde, le trafic redirigé par les géants d’Internet vers les sites ou les applications de nouvelles est en chute libre. Renverser la tendance ne sera pas facile… mais pas impossible non plus.

En tout cas, le problème est généralisé. En un mot : les réseaux sociaux et les moteurs de recherche redirigent de moins en moins de gens vers les sites des grands médias, qu’ils soient écrits ou électroniques. C’est en tout cas ce qu’indiquent des statistiques à ce sujet que diffusait dernièrement l’analyste danois et expert des médias numériques Thomas Baekdal.

Selon ses données, en août 2023, par rapport à août 2020, de quatre à six fois moins d’utilisateurs de Facebook et de Twitter — entre-temps rebaptisé X — ont cliqué sur un lien qui les redirigeait vers un site d’information. C’est énorme !

« Les dirigeants des médias sociaux nous disent que l’information “ne vaut juste pas la peine”, alors ils modifient leurs algorithmes pour en minimiser la place, au profit d’autres types de contenus médiatiques sur lesquels le public passe plus de temps », analyse Thomas Baekdal.

À plein de niveaux, l’année 2020 a été, disons, spéciale. Au plus fort de la pandémie de........

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