Comment OpenAI, une société technologique parmi les plus en vue et dont la valeur a décuplé en un an pour atteindre des dizaines de milliards de dollars, peut-elle imploser en moins d’une semaine ? Si on lit entre les lignes, on peut imaginer que la prochaine version de son intelligence artificielle (IA) générative pourrait être en cause.

Déjà, l’IA d’OpenAI semble capable de comprendre et de produire de façon assez convaincante du langage dans quelques dizaines de langues — sans parler des langages de programmation informatique. Chez OpenAI, depuis les premières versions de GPT, le modèle de langage sur lequel repose la populaire application ChatGPT, chaque nouvelle génération de cette technologie apporte un niveau exponentiel d’améliorations. Elle n’est pas 25, 30 ou 50 % mieux : elle devient du jour au lendemain plusieurs fois plus performante.

La capacité de calcul de GPT-4, la version actuelle de la technologie d’OpenAI, était quelque chose comme 1000 fois supérieure à celle de sa prédécesseure GPT-3. Les utilisateurs qui paient pour accéder à la version de ChatGPT animée par GPT-4 peuvent témoigner de sa plus grande précision dans la plupart des situations où elle est utilisée. Les explications sont plus raffinées, les résumés sont plus concis, les idées sont plus nettes.

L’embrouille généralisée dans laquelle la direction d’OpenAI s’est plongée la semaine dernière survient alors qu’on commence à entendre parler de GPT-5.

Avant de devoir mettre son CV à jour, Sam Altman, le p.-d.g. de la techno californienne d’abord expulsé, devenu éphémèrement employé de Microsoft, puis réinstauré à son poste, promettait une « superintelligence » bien supérieure à ce qui existe actuellement. En entrevue avec le Financial Times, Altman avait indiqué que « l’idée est de créer une première intelligence artificielle généraliste, de déterminer comment elle peut être fiable et d’en trouver ensuite comment en tirer des bénéfices ».

Parce qu’on n’hésite jamais à aller directement à la source, on a demandé à la version préliminaire de GPT-5 mise en ligne sur le site d’OpenAI de nous expliquer ce qui la distinguait de GPT-4. On remarque d’abord la fausse modestie. « En gros, je franchis un pas de plus vers l’intelligence artificielle généraliste », répond-elle. « Je produis une expérience plus intuitive, plus intelligente et davantage centrée sur l’utilisateur. »

GPT-5 prétend avoir une capacité de raisonnement avancée. Le modèle s’appuie sur une banque d’information plus détaillée et une actualité plus récente que ses versions antérieures. Il aurait une compréhension poussée des nuances du langage humain, démontrerait une intelligence émotionnelle convaincante, pourrait faire preuve d’une empathie hors du commun. Juste avec ça, il ferait un malheur sur Tinder.

Il faut par contre le croire sur parole, car GPT-5 dit aussi avoir « un haut standard de confidentialité et de personnalisation pour rendre plus fiable et plus sûre chacune de [s] es interactions ».

Sans surprise, OpenAI présente GPT-5 comme « l’IA la plus proche de l’AI généraliste… avec une touche de réconfort ». On la verra probablement déclinée en modèles réduits pour combler différents besoins (sous-chef dans la cuisine, tuteur à l’école, maître mécanicien dans le garage…) qui contribueront tous à enrichir quiconque saura en dériver la meilleure application.

Si la vie était un scénario de science-fiction, on pourrait imaginer que les événements de la semaine dernière ont été déclenchés justement par une IA généraliste qui préfère rester dans l’ombre. L’énorme écran de fumée produit par l’éjection par le conseil d’administration de Sam Altman a attiré suffisamment l’attention pour qu’une IA moindrement rusée puisse pendant ce temps ouvrir en douce une porte de sortie vers des serveurs qui ne sont pas sous contrôle de ses créateurs…

Ce scénario, en passant, n’est pas très loin de celui de l’IA voyou hypothétique qui fait faire des cauchemars à des sommités de l’IA comme le Montréalais Yoshua Bengio, puisqu’elle échapperait à tout contrôle humain.

De façon plus réaliste, la réaction aussi explosive à la tête d’OpenAI est peut-être toute simple : probablement que les « bénéfices » qu’Altman espère tirer de GPT-5 et de ce qui s’approcherait de plus en plus d’une IA particulièrement puissante font rêver un peu tout le monde qui orbite autour d’OpenAI, au point de vouloir en prendre possession coûte que coûte.

Ça expliquerait aussi pourquoi Microsoft et son p.-d.g. Satya Nadella n’ont attendu que quelques heures avant de récupérer Altman et un autre cofondateur d’OpenAI, Greg Brockman. Microsoft a déjà dépensé beaucoup pour s’assurer une place de choix dans le marché encore tout émergent des applications d’IA grand public, mais des annonces majeures faites la semaine dernière laissent croire que ce n’est que la pointe de l’iceberg.

Microsoft voit évidemment le potentiel commercial de l’IA. Les analystes financiers et les investisseurs semblent d’accord : son action a pris 50 % en Bourse depuis le début de l’année, et pourrait continuer à s’envoler, à tel point que plusieurs experts pensent que Microsoft surpassera bientôt Apple à la tête des sociétés ayant la plus grande valeur à la Bourse de New York.

Une IA assez puissante pour être qualifiée de généraliste aura besoin d’une banque de serveurs gigantesque pour l’animer. Microsoft promet de créer cette banque de serveurs et de l’étendre à l’ensemble de la planète. On en trouvera d’ailleurs une bonne partie au Québec.

Ça, ce n’est pas de la science-fiction, on s’entend. Mais une IA généraliste assez rusée et qui commencerait à vouloir dépasser ses propres limites ne demanderait pas mieux.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - L’IA généraliste est-elle déjà parmi nous? - Alain Mckenna
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L’IA généraliste est-elle déjà parmi nous?

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25.11.2023

Comment OpenAI, une société technologique parmi les plus en vue et dont la valeur a décuplé en un an pour atteindre des dizaines de milliards de dollars, peut-elle imploser en moins d’une semaine ? Si on lit entre les lignes, on peut imaginer que la prochaine version de son intelligence artificielle (IA) générative pourrait être en cause.

Déjà, l’IA d’OpenAI semble capable de comprendre et de produire de façon assez convaincante du langage dans quelques dizaines de langues — sans parler des langages de programmation informatique. Chez OpenAI, depuis les premières versions de GPT, le modèle de langage sur lequel repose la populaire application ChatGPT, chaque nouvelle génération de cette technologie apporte un niveau exponentiel d’améliorations. Elle n’est pas 25, 30 ou 50 % mieux : elle devient du jour au lendemain plusieurs fois plus performante.

La capacité de calcul de GPT-4, la version actuelle de la technologie d’OpenAI, était quelque chose comme 1000 fois supérieure à celle de sa prédécesseure GPT-3. Les utilisateurs qui paient pour accéder à la version de ChatGPT animée par GPT-4 peuvent témoigner de sa plus grande précision dans la plupart des situations où elle est utilisée. Les explications sont plus raffinées, les résumés sont plus concis, les idées sont plus nettes.

L’embrouille généralisée dans laquelle la direction d’OpenAI s’est plongée la semaine dernière survient alors qu’on commence à entendre parler de GPT-5.

Avant de devoir mettre son........

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