Texte collectif.

La France adhère de longue date aux textes internationaux protégeant et promouvant les droits de l’enfant. Au premier rang de ces textes figure la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) signée par la France en 1990. Cependant, notre pays ne s’est engagé dans l’amélioration du statut et du traitement des plus jeunes au niveau politique qu’assez récemment et de façon très limitée (la loi du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des « violences éducatives ordinaires » n’ayant pas été suivie d’une volonté politique garantissant son application).

Les enfants demeurent de nos jours, en France et dans le monde, une catégorie de population opprimée, et même, la plus opprimée de toutes. Ils subissent plusieurs types de violence. Des violences extrêmes ‒ viols, infanticides, sévices (en France, un enfant est tué tous les cinq jours et un enfant est agressé sexuellement toutes les trois minutes [1]) ‒ comme des violences ordinaires dont nous peinons à prendre conscience ou que nous minimisons, voire valorisons comme étant nécessaires à l’éducation (fessées, punitions, humiliations, cris).

Cette violence sur les enfants est systémique. Si les enfants font l’expérience radicale de la domination dans leur quotidien, c’est qu’il existe des dominants et des dominantes. Il convient de les nommer : les adultes. Il existe un rapport de force radical, un rapport social de domination entre forts et faibles, entre adultes et enfants, entre sujets politiques « majeurs » et « mineurs ».

Nous assistons actuellement à l’émergence d’une préoccupation croissante à l’égard des violences que subissent les enfants. Elle provient de la société civile, d’associations, de collectifs, de professionnel·les, de chercheur·euses et de parents. Cette conscience accrue du statut et du traitement réservés aux plus jeunes a produit un lexique abondant pour nommer les phénomènes mis au jour. Nous souhaitons proposer ici quelques éléments éclairant ce lexique en construction afin de mieux lutter contre l’oppression des plus jeunes et les souffrances qu’elle engendre chez elles et eux.

Âgisme : désigne la discrimination des personnes en fonction de leur âge réel ou supposé. L’âgisme concerne donc les enfants, même s’il a tendance à désigner plus souvent les discriminations envers les personnes plus âgées. D’un bout à l’autre de la vie, l’âge est considéré comme une variable exclusivement naturelle qui légitime et banalise le dénigrement, l’exclusion, la négligence de tout ou partie d’une catégorie d’âge.

Adultisme : désigne un système de valeurs et d’oppression dans lequel les plus jeunes occupent une place inférieure à celle des personnes considérées « adultes », ce qui se traduit notamment au plan juridique par le statut de « mineur ». Dans une société adultiste, l’adulte est défini comme un être achevé et autonome et l’enfant est considéré comme en développement et, de ce fait, incomplet, incompétent et incapable. L’adultisme contribue à la vulnérabilisation des personnes infantilisées au prétexte de leur éducation et de leur protection.

Domination adulte : désigne le rapport social de domination du groupe des adultes sur le groupe des personnes définies comme enfants ou mineures. Comme la domination masculine, la domination adulte s’exerce par différentes formes de violence physique, psychologique, sexuelle, juridique, économique, symbolique. En France, le militant Yves Bonnardel a écrit le premier livre sur la domination adulte, paru en 2015 [2].

Infantisme : traduction du mot anglais childism qu’a proposé la philosophe et psychanalyste Elisabeth Young-Bruehl [3]. Désigne un cas particulier de l’âgisme, à savoir la discrimination à l’encontre des plus jeunes. L’infantisme est fondé sur la croyance que les plus jeunes sont la propriété des plus âgés et qu’ils peuvent, voire qu’ils doivent, à ce titre, être contrôlés. 

Enfantisme et Enfantiste : construit sur le modèle de « féminisme », le terme « enfantisme » désigne les luttes en faveur des intérêts des enfants. L’enfantisme revendique une égalité de dignité et de respect entre enfants et adultes, l’abolition des rapports de domination adultiste et des conditions de vie décentes et sûres pour toutes les jeunes personnes. 

Misopédie : réactualisé par l’historien de la violence éducative Olivier Maurel [4] sur le principe de « misogynie », ce terme désigne le mépris que les adultes manifestent au quotidien envers les enfants, leurs comportements, moqués ou qualifiés de « caprices » ou « bêtises », et leurs capacités physiques, intellectuelles, émotionnelles, dévalorisées et minimisées. 

Violence éducative ordinaire (ou VEO) : désigne l’ensemble des comportements des éducateurices ‒ parents ou autres ‒ qui, souvent au nom du « bien de l’enfant » (comme l’a montré la philosophe et psychanalyste Alice Miller [5]), portent atteinte à l’intégrité physique et psychique, aux droits fondamentaux, aux intérêts et à la dignité des jeunes personnes. La violence éducative désigne ainsi un type de violence qui s’exerce en contexte éducatif. Les comportements relevant de la violence éducative consistent en violences physiques, violences verbales et violences psychologiques comme insulter, rabaisser, humilier, dénigrer, faire de l’enfant un bouc émissaire, le menacer, le terroriser, le ridiculiser ou ne pas répondre à ses besoins.

Il est important que ces termes élaborés dans la militance et la recherche deviennent désormais des mots du quotidien, comme le sont devenus « racisme » ou « féminisme ». Nommer les violences est le premier pas vers la fin des injustices et des dominations, dont celles subies par les enfants.

Signataires :

Gabriel Allegret, auteur et doctorant sur les rapports d’âge.

Cécile Kovacshazy, maîtresse de conférences HDR sur les processus de domination.

Daliborka Milovanovic, philosophe, chercheuse indépendante et éditrice.

Daniel Delanoë, psychiatre et anthropologue.

Notes :

[1] Rapport annuel de l’UNICEF 2022. Rapport de la CIIVISE 2023.

[2] Y. Bonnardel. La Domination adulte : l’oppression des mineurs. 2015. Le Hêtre Myriadis.

[3] E. Young-Bruehl, Childism: Confronting Prejudice Against Children. 2012. Yale University Press.

[4] O. Maurel, Oui, la nature humaine est bonne. 2009. Robert Laffont.

[5] A. Miller, C’est pour ton bien : Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant, 1984. Aubier.

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Les mots pour dire la domination adulte et les violences faites aux enfants

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12.02.2024

Texte collectif.

La France adhère de longue date aux textes internationaux protégeant et promouvant les droits de l’enfant. Au premier rang de ces textes figure la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) signée par la France en 1990. Cependant, notre pays ne s’est engagé dans l’amélioration du statut et du traitement des plus jeunes au niveau politique qu’assez récemment et de façon très limitée (la loi du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des « violences éducatives ordinaires » n’ayant pas été suivie d’une volonté politique garantissant son application).

Les enfants demeurent de nos jours, en France et dans le monde, une catégorie de population opprimée, et même, la plus opprimée de toutes. Ils subissent plusieurs types de violence. Des violences extrêmes ‒ viols, infanticides, sévices (en France, un enfant est tué tous les cinq jours et un enfant est agressé sexuellement toutes les trois minutes [1]) ‒ comme des violences ordinaires dont nous peinons à prendre conscience ou que nous minimisons, voire valorisons comme étant nécessaires à l’éducation (fessées, punitions, humiliations, cris).

Cette violence sur les enfants est systémique. Si les enfants font l’expérience radicale de la domination dans leur quotidien, c’est qu’il existe des dominants et des dominantes. Il convient de les nommer : les adultes. Il existe un rapport de force radical, un rapport social de domination entre forts et faibles, entre adultes et enfants, entre sujets politiques « majeurs » et « mineurs ».

Nous assistons actuellement à l’émergence d’une préoccupation croissante à l’égard des violences que........

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