Alors que le narrateur avait onze mois, ses parents n’ont pas survécu à un naufrage. Le cœur brisé par cet abandon tragique, il s’enferme dans un gouffre de souffrances. Sa sensibilité, son affectivité restent paralysées, les émotions lui semblent interdites. Même s’il tourne le dos à l’océan, « l’assassin de (ses) parents », il se soumet à son malheur. A vingt-six ans, le choc d’un tableau de Turner, Le naufrage (1805), le réveille. Il entreprend alors une enquête dans le petit port breton où le drame s’est produit. Considéré comme un intrus gênant, il se heurte au silence de tous. La rencontre de Manon, restauratrice de vitraux, changera sa vie. Ces deux êtres en fuite se retrouvent. Elle l’initie à la nage, à la planche et à la navigation. Il apprivoise ainsi cette mer si redoutée. Peu à peu, les nœuds se desserrent, ses rigidités s’assouplissent, son corps et son âme se libèrent. Il découvre enfin les sensations enfouies en lui jusque-là. Il s’émerveille des portes ouvertes sur les rêves et les mystères de l’océan. L’aventure solitaire du large, devenue indispensable, le confrontera à une tempête terrible. Et elle lui dévoilera par le chemin de la contemplation une harmonie intérieure grâce à une victoire sur lui-même et la possibilité d’un bonheur lumineux.

Les secrets des personnages sont révélés au fur et à mesure des principaux rebondissements dans ce récit rythmé par sa construction rigoureuse.

Manon, superbe dans son rôle de « passeuse de lumière », réconcilie le narrateur avec la mer et occupe le vide de son cœur, laissé par l’abandon involontaire de ses parents.

Les habitants du village breton sont fort bien incarnés. Le poids de la culpabilité emplit les silences gênés et les regards de biais : comment cacher les fautes passées, « l’aveuglement passif, l’indifférence molle, la lâcheté ordinaire » ? Et pourtant ce livre rend un hommage vibrant aux gens de la mer, qui cachent leur générosité de sauveteurs derrière leur attitude bourrue. Leurs dialogues sont pris sur le vif.

Des pages magnifiques et poétiques : le monde de la mer est célébré dans toutes ses facettes. La natation et la navigation sont décrites avec réalisme, les gestes précis soulignent l’osmose indispensable entre le nageur ou le marin et cet élément aussi séduisant que dangereux.

De nombreux termes techniques, utilisés pour le bateau, pourraient embarrasser certains lecteurs.

Après un roman puissant sur les derniers jours de Diên Biên Phu, Arnaud de La Grange nous propose un hymne à la mer, une des ses passions. Ici, ce titre si bien choisi, La promesse du large, emmène le protagoniste sur la voie de la paix avec lui-même. Il parviendra à rompre avec les fantômes du passé pour renaître à la liberté et à la beauté.

« Je veux seulement tirer au large, plus loin, plus seul, plus heureux … La mer me semble plus proche que la terre de notre condition humaine. Changeante, jamais figée. Comme nous, condamnés à devenir sans cesse sans être jamais vraiment.» p. 183

« La poésie semble être écrite pour la mer. » p. 188

« Le large m’a mené à mes terres intérieures. Le silence y permet d’entendre le murmure assourdi de l’âme. Longtemps j’avais goûté les joies noires. Aujourd’hui, je les veux lumineuses, des joies victorieuses. » p. 209

Né en 1965, Arnaud de La Grange est journaliste et écrivain. Grand reporter pendant de longues années, il est aujourd’hui Correspondant du Figaro à Londres. Il a publié des essais et deux romans : Les vents noirs, Prix Jules Verne 2018 et Le huitième soir, Prix Roger Nimier 2019 et Prix Erwan Bergot 2019.

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Arnaud de La Grange : "La promesse du large", une ode à la beauté de la mer

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18.04.2024

Alors que le narrateur avait onze mois, ses parents n’ont pas survécu à un naufrage. Le cœur brisé par cet abandon tragique, il s’enferme dans un gouffre de souffrances. Sa sensibilité, son affectivité restent paralysées, les émotions lui semblent interdites. Même s’il tourne le dos à l’océan, « l’assassin de (ses) parents », il se soumet à son malheur. A vingt-six ans, le choc d’un tableau de Turner, Le naufrage (1805), le réveille. Il entreprend alors une enquête dans le petit port breton où le drame s’est produit. Considéré comme un intrus gênant, il se heurte au silence de tous. La rencontre de Manon, restauratrice de vitraux, changera sa vie. Ces deux êtres en fuite se retrouvent. Elle l’initie à la nage, à la planche et à la navigation. Il apprivoise ainsi cette mer si redoutée. Peu à peu, les nœuds se desserrent, ses rigidités s’assouplissent, son corps et son âme se libèrent. Il........

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