Les propos de la ministre de l’Education ont relancé le débat sur le séparatisme scolaire et le laxisme de l’Etat envers le privé, financé aux trois quarts par de l’argent public.

« Un vrai don du ciel, cette Amélie Oudéa-Castera, entend-on ces jours-ci s’esclaffer, goguenards, les défenseurs de l’école publique : elle fait le boulot à notre place ! » En effet, les propos décomplexés de la ministre de l’Education – à peine nommée – sur la recherche d’un entre-soi protecteur, doublés de ses mensonges sur la scolarité publique de ses enfants et le « paquet d’heures non remplacées », ont peut-être fait gagner à la critique de l’école privée davantage de force en quelques jours qu’au cours des 40 dernières années !

Du côté de chez Stan’, en revanche, on fait grise mine. N’aimant habituellement...

« Un vrai don du ciel, cette Amélie Oudéa-Castera, entend-on ces jours-ci s’esclaffer, goguenards, les défenseurs de l’école publique : elle fait le boulot à notre place ! » En effet, les propos décomplexés de la ministre de l’Education – à peine nommée – sur la recherche d’un entre-soi protecteur, doublés de ses mensonges sur la scolarité publique de ses enfants et le « paquet d’heures non remplacées », ont peut-être fait gagner à la critique de l’école privée davantage de force en quelques jours qu’au cours des 40 dernières années !

Du côté de chez Stan’, en revanche, on fait grise mine. N’aimant habituellement rien tant que la discrétion, le prestigieux établissement privé Stanislas a vu étalés au grand jour ses incroyables privilèges : dans un cadre somptueux et suréquipé (deux piscines et sept gymnases !), en plein cœur de Paris, il accueille des élèves triés sur le volet.

Parmi eux figure en bonne place la progéniture d’une partie des élites politique et économique du pays, à laquelle elle délivre une éducation imprégnée des valeurs d’un catholicisme de stricte obédience. Le tout… financé aux trois quarts environ par de l’argent public !

« Le meilleur des deux mondes »

Il est sans doute trop tôt pour dire quelle sera la portée exacte de « l’affaire AOC », mais elle aura en tout cas puissamment contribué à rendre cette situation intenable.

« Le modèle français est singulier, constate Youssef Souidi, chercheur au CNRS et à Paris Dauphine, spécialiste de la mixité sociale. A l’étranger, on trouve des modèles 100 % financés par le public, mais qui n’ont aucune autonomie dans le recrutement des élèves, comme la Belgique francophone. A l’inverse, dans d’autres pays, les établissements sont libres mais ne reçoivent pas de financement public, comme au Royaume-Uni. La France, pour le secteur privé, c’est un peu le meilleur des deux mondes ! »

Stanislas est toutefois une sorte de sapin de Noël cachant la forêt d’un enseignement privé (7 500 établissements, dont 7 000 pour le seul enseignement catholique) très divers, comptant son lot de lycées professionnels et de classes pour élèves en difficulté (Ulis, Segpa), même si aucun établissement n’y est classé en réseau d’éducation prioritaire. Par exemple, un dixième des collèges de l’école dite « libre » accueillent au moins 39,2 % d’élèves de milieu défavorisé, « soit à peu près la proportion moyenne des collégiens issus de milieu défavorisé », établissait en 2022 une étude du ministère de l’Education nationale.

La présence territoriale de l’enseignement privé est également très variable, allant de l’absence totale (aucun collège privé dans la Creuse) à l’omniprésence, comme en Bretagne. Dans l’académie de Rennes, 40 % des élèves des 1er et 2nd degrés sont scolarisés dans le privé. A Paris, cette proportion est de 30 %. Et au niveau national, elle atteint 16,9 %, soit un peu plus de 2 millions d’élèves, une proportion très stable depuis 40 ans.

Non-respect du principe de mixité

Malgré ces nuances, le fracas causé par l’affaire AOC trahit le sentiment partagé que les termes du contrat qui lie chaque établissement au service public d’éducation ne sont pas équilibrés. Cette association permet au premier d’être financé à hauteur de 73 % par la puissance publique.

L’Etat prend en charge essentiellement la rémunération des enseignants (8 milliards d’euros en 2022). Les collectivités locales, elles, sont contraintes par la loi de leur fournir une dotation de fonctionnement équivalente à celle des établissements publics dont elles ont la charge (écoles pour les municipalités, collèges pour les départements, lycées pour les régions). En échange, ce contrat crée un certain nombre d’obligations, dont celles de respecter les programmes de l’Education nationale et de veiller à la mixité sociale des publics scolarisés.

Ce principe de mixité, loin d’être un principe historique du service public d’éducation, n’a été inscrit dans la loi qu’en 2013. Mais depuis cette date, loin de s’améliorer, la situation s’est aggravée : la part des élèves issus de catégories « très favorisées » (cadres, chefs d’entreprise, enseignants…) au sein de l’enseignement privé, qui s’élevait déjà à 34,9 % en 2011 (19,9 % dans le public), est passée à 40,2 % en 2021 (20,4 % dans le public). Inversement, la part des catégories défavorisées (ouvriers, inactifs) est passée sur la même période de 19,9 % à 15,8 % (37,2 % dans le public).

Si l’on regarde le niveau social moyen des élèves de chaque collège en France, malgré l’indéniable diversité des situations, le constat qui prédomine est celui d’un net biais global de recrutement en faveur des classes aisées comparativement au public, ainsi que d’une moindre hétérogénéité des élèves, avec une frange importante d’établissements à la fois très élitistes et très homogènes.

Ce nuage de points positionne chacun des 6973 collèges français selon deux indices. En abscisses (axe horizontal), l’indice de position sociale résume le statut social moyen des élèves qu’il accueille : plus il est élevé (plus le collège est positionné à droite de l’axe), plus l’établissement recrute au sein des enfants de familles aisées. En ordonnées (axe vertical), l’indice d’hétérogénéité traduit la diversité des élèves : plus il est élevé (plus le collège est situé haut sur l’axe), plus l’établissement a un recrutement social diversifié.

Vous pouvez zoomer sur le graphique : tracer la zone à agrandir avec votre souris en maintenant le clic gauche enfoncé

Outre Paris, ces écarts sont particulièrement prononcés dans le Nord, le Rhône, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et les Outre-mer. Départements qui, note l’étude précitée, « se caractérisent soit par un fort degré d’inégalités économiques, soit par un taux de pauvreté important. La présence de territoires et collèges très défavorisés incite probablement, plus que dans d’autres départements, les familles plus favorisées à choisir les collèges privés comme alternative au collège de secteur ».

Sources : Cour des comptes, Depp

Ni transparence ni contrôle

Une situation d’autant plus difficile à justifier que rien n’est transparent.

« Actuellement, on ne sait pas comment expliquer la ségrégation croissante du secteur privé, car on ne connaît pas le vivier de candidats au départ, regrette Youssef Souidi. Est-ce la part des classes favorisées au sein des postulants qui a augmenté ? Sont-ce les établissements qui se sont montrés plus sélectifs ? La participation financière demandée aux familles a-t-elle augmenté de façon dissuasive pour les familles modestes ? »

Le même constat prévaut en matière budgétaire. « Ni l’Insee, ni l’Education nationale, ni la Cour des comptes ne sont en mesure de nous dire combien, globalement, l’enseignement privé coûte au contribuable », se désole Paul Vannier, député (LFI), qui, avec son collègue Christopher Weissberg (Renaissance), dirige une mission parlementaire d’information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat dont les conclusions seront rendues en mars.

D’après les auditions qu’il a menées, il estime ce coût total (dotations de l’Etat, des collectivités locales, subventions, niches fiscales…) entre 12 et 13 milliards d’euros. Ce qui laisse une belle marge d’erreur !

L’an dernier, enfin, la Cour des comptes s’était, elle, étonnée que l’Etat gestionnaire laisse autant la bride sur le cou des établissements privés. Le contrôle financier ? Les règles en la matière « ne sont ni connues, ni a fortiori appliquées par les différentes parties prenantes », constataient, interloqués, les sages de la rue Cambon. Le contrôle pédagogique ? « Minimaliste. » Le contrôle administratif ? « Organisé uniquement de manière ponctuelle », en cas de signalement d’un problème.

La Cour des comptes met la pression

Dans cette situation, estimait la Cour, « rien ne permet de conclure que les fonds publics sont correctement dépensés dans les établissements », alors même qu’ils bénéficient d’un financement à parité avec le public tout en recevant des élèves globalement plus favorisés.

C’est pourquoi le rapport plaidait pour une surpondération, dans le calcul des moyens attribués à chaque établissement (privé ou public), des élèves défavorisés ou en difficulté scolaire, afin de rendre ce calcul plus juste et d’encourager la mixité sociale.

« Rien ne permet de conclure que les fonds publics sont correctement dépensés dans les établissements » privés, selon la Cour des comptes

Mixité sociale qui, était-il précisé, doit s’accompagner « d’une mixité scolaire, démontrant la capacité des établissements à accompagner des élèves aux profils variés, sans cantonner l’ouverture à l’accueil des bons élèves issus de milieux défavorisés, ce qui ne ferait qu’aggraver les difficultés de l’enseignement public ». Une modulation des financements selon les efforts en matière de mixité, c’est également ce que compte proposer Paul Vannier dans une future proposition de loi – mais ce ne sera pas avant 2025 au mieux.

S’il la juge bonne en principe, Youssef Souidi reste toutefois sceptique sur la faisabilité d’une telle mesure : « Cela suppose de définir pour chaque établissement un niveau cible de mixité, car celle-ci doit s’apprécier au regard de son environnement social. Mais à quelle échelle : le quartier ? L’arrondissement ? La ville ? En fonction d’un temps de transport maximum ? Le point de comparaison pertinent n’est pas évident à trouver. »

Lui plaiderait plutôt, au moins dans un premier temps, pour davantage de transparence au niveau des procédures de recrutement :

« On pourrait imaginer un site sur le modèle de Parcoursup, où les établissements présenteraient leur projet éducatif et indiqueraient le montant de la contribution demandée aux familles. Cela permettrait également de savoir qui a postulé et qui a été recruté, et donc d’avoir une vision beaucoup plus fine de la situation, sans remettre en cause le libre choix des familles… ni celui des établissements. »

Difficile donc, face à tous ces constats et propositions, de brandir sérieusement le spectre de la guerre des « deux écoles » pour mieux vanter leur paisible coexistence, comme l’a fait Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier, et inviter à laisser les choses en l’état : les champs d’action sont immenses.

« La première étape serait peut-être de poser cette question simple : quel est l’objectif du secteur privé ?, suggère Youssef Souidi. En 1959, au moment de la loi Debré, l’enjeu était clair, il s’agissait de permettre à ceux qui préféraient confier leur enfant à l’école catholique de le faire. Mais aujourd’hui ? En l’absence d’objectif explicite, il est difficile de savoir si l’argent que la puissance publique met dans le privé est bien ou mal utilisé. »

Voilà en tout cas un beau sujet de réflexion pour Amélie Oudéa-Castera – si, toutefois, elle parvient à s’extirper du scandale.

QOSHE - Ecole privée : à quand la fin des privilèges ? - Xavier Molénat
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Ecole privée : à quand la fin des privilèges ?

11 0
23.01.2024

Les propos de la ministre de l’Education ont relancé le débat sur le séparatisme scolaire et le laxisme de l’Etat envers le privé, financé aux trois quarts par de l’argent public.

« Un vrai don du ciel, cette Amélie Oudéa-Castera, entend-on ces jours-ci s’esclaffer, goguenards, les défenseurs de l’école publique : elle fait le boulot à notre place ! » En effet, les propos décomplexés de la ministre de l’Education – à peine nommée – sur la recherche d’un entre-soi protecteur, doublés de ses mensonges sur la scolarité publique de ses enfants et le « paquet d’heures non remplacées », ont peut-être fait gagner à la critique de l’école privée davantage de force en quelques jours qu’au cours des 40 dernières années !

Du côté de chez Stan’, en revanche, on fait grise mine. N’aimant habituellement...

« Un vrai don du ciel, cette Amélie Oudéa-Castera, entend-on ces jours-ci s’esclaffer, goguenards, les défenseurs de l’école publique : elle fait le boulot à notre place ! » En effet, les propos décomplexés de la ministre de l’Education – à peine nommée – sur la recherche d’un entre-soi protecteur, doublés de ses mensonges sur la scolarité publique de ses enfants et le « paquet d’heures non remplacées », ont peut-être fait gagner à la critique de l’école privée davantage de force en quelques jours qu’au cours des 40 dernières années !

Du côté de chez Stan’, en revanche, on fait grise mine. N’aimant habituellement rien tant que la discrétion, le prestigieux établissement privé Stanislas a vu étalés au grand jour ses incroyables privilèges : dans un cadre somptueux et suréquipé (deux piscines et sept gymnases !), en plein cœur de Paris, il accueille des élèves triés sur le volet.

Parmi eux figure en bonne place la progéniture d’une partie des élites politique et économique du pays, à laquelle elle délivre une éducation imprégnée des valeurs d’un catholicisme de stricte obédience. Le tout… financé aux trois quarts environ par de l’argent public !

« Le meilleur des deux mondes »

Il est sans doute trop tôt pour dire quelle sera la portée exacte de « l’affaire AOC », mais elle aura en tout cas puissamment contribué à rendre cette situation intenable.

« Le modèle français est singulier, constate Youssef Souidi, chercheur au CNRS et à Paris Dauphine, spécialiste de la mixité sociale. A l’étranger, on trouve des modèles 100 % financés par le public, mais qui n’ont aucune autonomie dans le recrutement des élèves, comme la Belgique francophone. A l’inverse, dans d’autres pays, les établissements sont libres mais ne reçoivent pas de financement public, comme au Royaume-Uni. La France, pour le secteur privé, c’est un peu le meilleur des deux mondes ! »

Stanislas est toutefois une sorte de sapin de Noël cachant la forêt d’un enseignement privé (7 500 établissements, dont 7 000 pour le seul enseignement catholique) très divers, comptant son lot........

© Alternatives Économiques


Get it on Google Play