Les négociations entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux pourraient aboutir dans les prochaines semaines. L’économiste de la santé Brigitte Dormont revient sur leur dimension économique et politique.

Les négociations conventionnelles entre les syndicats de médecins libéraux et l’assurance maladie doivent aboutir début avril. A quoi peut-on s’attendre ?

Brigitte Dormont : Il y a eu plusieurs annonces : l’augmentation de la consultation de 26,50 euros à 30 euros, la mise en place d’une consultation longue du médecin traitant à 60 euros pour les patients âgés de 80 ans ou plus, ou en situation de handicap, la valorisation des actes réalisés le soir dans le cadre de la permanence des soins de santé…

Il y a un an, fin février 2023, les négociations entre l’assurance maladie et les médecins libéraux s’étaient soldées par un échec. Après quatre mois de discussions, les deux parties n’étaient pas parvenues à s’entendre sur une nouvelle convention. Conclue pour cinq ans, la convention médicale définit les obligations des médecins et les modalités de leur rémunération par l’assurance maladie.

Après l’échec de 2023, un règlement arbitral – une convention minimale rédigée par un tiers – avait été adopté. Prolongeant la dernière convention en vigueur, celle de 2016, il prévoyait une revalorisation du tarif de la consultation (de 25 à 26,50 euros chez le généraliste, et de 30 à 31,50 euros chez le spécialiste) et l’aide à l’emploi d’assistants médicaux.

A l’automne dernier, de nouvelles discussions ont été ouvertes, pour tenter, de nouveau, de trouver un accord entre les syndicats de médecins libéraux et l’assurance maladie.

Les choses ont-elles fondamentalement changé ? Que serait une bonne convention médicale ? Quel rapport entre ces discussions et la crise de l’hôpital public ? Entretien avec l’économiste de la santé, Brigitte Dormont.

Les négociations conventionnelles entre les syndicats de médecins libéraux et l’assurance maladie doivent aboutir début avril. A quoi peut-on s’attendre ?

Brigitte Dormont : Il y a eu plusieurs annonces : l’augmentation de la consultation de 26,50 euros à 30 euros, la mise en place d’une consultation longue du médecin traitant à 60 euros pour les patients âgés de 80 ans ou plus, ou en situation de handicap, la valorisation des actes réalisés le soir dans le cadre de la permanence des soins de santé…

En échange, l’assurance maladie attend des engagements des médecins : des économies sur les prescriptions, car la dépense de médicament coûte cher, et une responsabilité collective sur la permanence des soins.

Plusieurs éléments doivent être gardés en tête. D’abord, la coexistence dans ces négociations d’une dimension économique et d’une dimension politique. Sur le plan économique, il y a des mécanismes sur lesquels il y a consensus chez les économistes de la santé et les responsables du système de soins. Pour le dire simplement, on sait en gros ce qu’il faut faire ; j’y reviendrai.

Sur le plan politique, la situation est beaucoup plus délicate. Les négociations conventionnelles encouragent une logique d’affrontement qui s’oppose aux avancées.

Ensuite, tous les acteurs n’ont pas les mêmes intérêts. Si cela n’aboutit pas, ce sera un échec pour l’assurance maladie, mais aussi pour les médecins les plus radicaux, qui demandaient initialement une revalorisation de la consultation à 50 euros.

A l’inverse, Bercy, qui veut faire 10 milliards d’euros d’économies cette année dont 70 millions sur la santé, a intérêt à court terme à ce que les négociations traînent ou même échouent.

« Il faudrait refuser que la discussion se focalise sur le tarif de la consultation »

Enfin, on fait comme si ces négociations couvraient tous les médecins. Mais nombre de sujets ne concernent que les généralistes : les forfaits, l’engagement du médecin traitant. Or les négociations sont aussi menées par les spécialistes. Les problèmes qui ont trait à leur activité – les dépassements d’honoraires par exemple – sont peu présents dans les discussions.

Les négociations conventionnelles font penser aux conflits en agriculture : comme les agriculteurs, les médecins sont très hétérogènes dans leurs pratiques et leurs aspirations. Dans le secteur agricole, le gouvernement se satisfait trop souvent d’un accord avec les représentants des grands exploitants de la Beauce. Ici l’assurance maladie doit jouer finement pour résoudre plusieurs sujets conflictuels sur plusieurs fronts.

Que faudrait-il faire sur le plan économique ?

B. D. : Il faudrait refuser que la discussion se focalise sur le tarif de la consultation. Les revenus des médecins généralistes sont actuellement constitués à 81 % de paiement à l’acte, majoritairement des consultations et visites, et à 19 % de forfaits. Il faut diminuer la part du paiement à l’acte qui ne permet pas de réguler la dépense publique.

En médecine de ville, celle-ci est tributaire de deux variables, le tarif et le nombre de consultations. L’assurance maladie fixe un tarif, mais n’a aucun moyen de maîtriser le nombre de consultations qui dépend à la fois des besoins des patients et des réponses des médecins. Elle n’a donc ni les moyens de conduire l’offre de soins, ni de levier de régulation budgétaire.

Or que montre la théorie économique ? Si le paiement à l’acte prédomine, à partir d’un certain niveau de revenu, les augmentations de tarif peuvent conduire les médecins à travailler moins. L’intuition est simple : une fois atteint un certain niveau de vie, l’arbitrage va pencher en faveur des loisirs plutôt que des revenus.

Plusieurs études confirment pour la France cette possibilité de baisse d’activité des médecins. Même si les syndicats réclament un « choc d’attractivité », augmenter le tarif de la consultation est donc assez risqué dans le contexte actuel de raréfaction des médecins.

Que faudrait-il faire alors ?

B. D. : Il faudrait geler le tarif de la consultation et faire toutes les augmentations sous la forme de forfaits.

L’assurance maladie n’a pas emprunté ce chemin. Elle a accepté une revalorisation de l’acte, qui reste l’armature de la rémunération des médecins. Avec quelles conséquences ?

B. D. : De 25 euros, la consultation est passée à 26,50 euros en novembre dernier à la suite du règlement arbitral, et l’assurance maladie a donné son accord pour 30 euros si cette convention est signée. Par rapport à la convention précédente qui a introduit la consultation à 25 euros en mai 2017, ce serait une revalorisation de 20 % pour une inflation de 17,8 % sur la même période.

« D’autres acteurs du système de soins ont des besoins très importants mais moins de poids politique. Dans le contexte de raréfaction de l’offre de soins, les médecins sont en position de force »

Précisons que les généralistes se plaignent d’être trop peu rémunérés. Or, si l’on ajoute aux 25 euros par consultation leurs rémunérations forfaitaires et la prise en charge de leurs cotisations sociales, ils touchent en réalité l’équivalent de 33 euros par consultation (voir les comptes de la santé p. 57).

Que signifie cette augmentation de 20 % pour les finances publiques ? Les honoraires des généralistes s’élevaient à 8,3 milliards d’euros en 2022, toujours selon la Drees (p. 55). La revalorisation envisagée représenterait donc beaucoup plus d’un milliard d’euros sur une année. C’est considérable, et on comprend que Bercy préférerait que la négociation s’enlise.

Justement, de nouvelles franchises entrent en vigueur sur les boîtes de médicaments, les transports sanitaires et certains actes médicaux, à partir de fin mars et en juin. Les malades vont-ils financer les augmentations de leurs médecins ?

B. D. : Le rapprochement est saisissant ! Les franchises sont censées rapporter 800 millions d’euros selon le gouvernement.

L’assurance maladie demande néanmoins des contreparties aux médecins. N’est-ce pas une bonne chose ?

B. D. : A partir du moment où elle accepte de négocier sur le paiement à l’acte, il y a un risque que l’offre de soins diminue, ce que l’assurance maladie cherche à limiter en demandant des contreparties. C’est exactement là-dessus que les précédentes négociations ont échoué en 2023.

Les contreparties sont un pis-aller, une approche réglementaire pour empêcher les médecins de travailler moins, dans le cadre du paiement à l’acte. Il faut voir si l’assurance maladie a concrètement les moyens de faire respecter ces contreparties.

Les économistes pensent que l’approche réglementaire assortie de contrôles et de sanctions éventuelles est toujours moins efficace et juste que la liberté de choix assortie de bonnes incitations. C’est pourquoi il serait bien plus pertinent de ne pas augmenter le tarif de la consultation mais les forfaits.

C’est la même chose pour la consultation médecin traitant à 60 euros pour les patients âgés de 80 ans. La Cnam met une contrainte quantitative d’une consultation par an et par patient ! Il serait beaucoup plus transparent de mettre un forfait.

Pendant que les médecins libéraux crient au loup, l’hôpital public se meurt. Donne-t-on plus à ceux qui parlent le plus fort ?

B. D. : C’est l’un des aspects du problème. D’autres acteurs du système de soins ont des besoins très importants mais moins de poids politique. Et dans le contexte de raréfaction de l’offre de soins courants, les médecins sont en position de force. La démographie médicale est orientée à la baisse, ce qui peut jouer en leur faveur, mais elle va repartir à la hausse peu avant 2030.

Entre l’hôpital public et la médecine de ville, il y a des vases communicants dans les dépenses, par le biais de l’Ondam [Objectif national des dépenses d’assurance maladie : le budget de l’assurance maladie, voté chaque année au Parlement à l’automne, NDLR].

« Contenir la dépense en ville et gagner en efficience pour la médecine de premier recours représente un enjeu considérable pour notre système de soins »

Pour les gouvernants, il est facile techniquement de maîtriser la dépense de l’hôpital à cause de la tarification à l’activité (T2A) qui fonctionne avec un « point flottant » : les pouvoirs publics baissent les tarifs si l’activité augmente trop, de façon à contenir l’enveloppe globale des dépenses.

Tout au long des années 2010, cette parfaite maîtrise de la dépense hospitalière a permis d’éponger les déficits sur les dépenses de ville hors contrôle. Ces dernières croissent plus vite que ce qui est permis par l’Ondam de ville, voté chaque automne.

Comme la dépense de ville n’est pas maîtrisée, les gouvernants serrent les budgets hospitaliers, de façon à rester dans l’Ondam global. Contenir la dépense en ville et gagner en efficience pour la médecine de premier recours représente donc un enjeu considérable pour notre système de soins, à la fois pour que les besoins de la population soient couverts, et pour que l’hôpital public ne soit plus étranglé financièrement.

QOSHE - « Les augmentations de tarif pourraient conduire certains médecins à travailler moins » - Recueilli Par Céline Mouzon
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« Les augmentations de tarif pourraient conduire certains médecins à travailler moins »

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02.04.2024

Les négociations entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux pourraient aboutir dans les prochaines semaines. L’économiste de la santé Brigitte Dormont revient sur leur dimension économique et politique.

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Brigitte Dormont : Il y a eu plusieurs annonces : l’augmentation de la consultation de 26,50 euros à 30 euros, la mise en place d’une consultation longue du médecin traitant à 60 euros pour les patients âgés de 80 ans ou plus, ou en situation de handicap, la valorisation des actes réalisés le soir dans le cadre de la permanence des soins de santé…

Il y a un an, fin février 2023, les négociations entre l’assurance maladie et les médecins libéraux s’étaient soldées par un échec. Après quatre mois de discussions, les deux parties n’étaient pas parvenues à s’entendre sur une nouvelle convention. Conclue pour cinq ans, la convention médicale définit les obligations des médecins et les modalités de leur rémunération par l’assurance maladie.

Après l’échec de 2023, un règlement arbitral – une convention minimale rédigée par un tiers – avait été adopté. Prolongeant la dernière convention en vigueur, celle de 2016, il prévoyait une revalorisation du tarif de la consultation (de 25 à 26,50 euros chez le généraliste, et de 30 à 31,50 euros chez le spécialiste) et l’aide à l’emploi d’assistants médicaux.

A l’automne dernier, de nouvelles discussions ont été ouvertes, pour tenter, de nouveau, de trouver un accord entre les syndicats de médecins libéraux et l’assurance maladie.

Les choses ont-elles fondamentalement changé ? Que serait une bonne convention médicale ? Quel rapport entre ces discussions et la crise de l’hôpital public ? Entretien avec l’économiste de la santé, Brigitte Dormont.

Les négociations conventionnelles entre les syndicats de médecins libéraux et l’assurance maladie doivent aboutir début avril. A quoi peut-on s’attendre ?

Brigitte Dormont : Il y a eu plusieurs annonces : l’augmentation de la consultation de 26,50 euros à 30 euros, la mise en place d’une consultation longue du médecin traitant à 60 euros pour les patients âgés de 80 ans ou plus, ou en situation de handicap, la valorisation des actes réalisés le soir dans le cadre de la permanence des soins de santé…

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Plusieurs éléments doivent être gardés en tête. D’abord, la coexistence dans ces négociations d’une dimension économique et........

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