La campagne des élections européennes a marqué l’entrée de la politique énergétique du continent dans une phase d’incertitudes quant au volontarisme des politiques publiques pour assurer la transition.

En France, les droites ont adopté une position d’hostilité aux énergies renouvelables, notamment contre le développement des parcs éoliens, et le gouvernement envoie des signaux ambivalents.

Michel Gioria, délégué général de la fédération professionnelle France renouvelables, qui se définit comme « l’association porte-parole des énergies renouvelables électriques », établit l’état du développement de ces énergies dans le pays et décrit la nature des oppositions à affronter. S’il reste optimiste pour l’avenir, il désigne les objectifs à atteindre impérativement….

La campagne des élections européennes a marqué l’entrée de la politique énergétique du continent dans une phase d’incertitudes quant au volontarisme des politiques publiques pour assurer la transition.

En France, les droites ont adopté une position d’hostilité aux énergies renouvelables, notamment contre le développement des parcs éoliens, et le gouvernement envoie des signaux ambivalents.

Michel Gioria, délégué général de la fédération professionnelle France renouvelables, qui se définit comme « l’association porte-parole des énergies renouvelables électriques », établit l’état du développement de ces énergies dans le pays et décrit la nature des oppositions à affronter. S’il reste optimiste pour l’avenir, il désigne les objectifs à atteindre impérativement.

Alors que les élections européennes sont marquées par une remise en cause de l’ambition écologique, où en est la France dans son développement des énergies renouvelables ?

Michel Gioria : Elle continue d’avoir un retard structurel par rapport à ses objectifs, même si, enfin, elle accélère et rattrape aujourd’hui en partie le temps perdu. S’agissant du photovoltaïque, il fallait selon l’actuelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)1 atteindre au 31 décembre 2023 une puissance installée totale de 18 GW. Nous y sommes.

Pour l’éolien terrestre, le parc actuel est de 22 GW. L’objectif fin 2023 était de 24 GW. Nous devrions y parvenir mi-2025. Enfin, les 3,5 GW d’éolien en mer attendus l’an dernier seront en service plutôt fin 2026. Pour l’avenir, la trajectoire va être révisée à la hausse, conformément aux objectifs européens décidés sous la précédente mandature et qu’il faut à présent mettre en œuvre.

La concertation est encore en cours et la nouvelle PPE, qui couvrira la période 2024-2035, devrait être signée à la fin de l’année. Le texte en discussion vise 70 à 100 GW de photovoltaïque en 2035, 40 à 45 GW d’éolien terrestre et 18 GW d’éolien marin.

Atteindre un tel niveau implique pour toutes les filières que ce qui était hier une année record devienne aujourd’hui un minimum. Il va falloir installer chaque année au moins 5 à 7 GW à terre et 2 GW en mer. Cela veut dire sortir de la logique passée du « stop-and-go » et adopter une politique constante et ferme.

Avant d’aborder le sujet du pilotage par l’Etat, est-ce que ces objectifs se heurtent à des obstacles industriels et économiques ?

M. G : Du côté de la production, les filières éoliennes et photovoltaïque sont en mesure de répondre à la demande, dès lors que les feux verts administratifs sont donnés. Sur un plan économique, ces moyens décarbonés offrent les coûts les plus bas et deviennent même compétitifs vis-à-vis des fossiles. Autant dans le nucléaire, les retards de calendrier sont le fait de problèmes industriels, autant dans les renouvelables, ils sont aujourd’hui liés au cadre administratif.

Par ailleurs, les freins au niveau des réseaux électriques sont en passe d’être levés. Les progrès sont impressionnants. Par exemple Enedis a réalisé 200 000 raccordements d’installations photovoltaïques en 2023, un quadruplement en trois ans. Et vise les 250 000 cette année.

« Pour répondre aux besoins futurs, le nouveau schéma décennal de développement du réseau représente une avancée majeure »

Pour répondre aux besoins futurs, le nouveau schéma décennal de développement du réseau (SDDR), en cours d’élaboration, représente une avancée majeure. Selon ce texte, les gestionnaires de réseau, Enedis et RTE, vont devoir accroître et adapter leurs capacités avant même que les futurs projets éoliens et photovoltaïques ne sortent de terre.

Le but est d’anticiper les travaux sur le réseau pour que la mise en service d’un parc démarre aussitôt qu’il est construit. C’est une révolution qui va faire gagner beaucoup de temps. Et que nos voisins regardent avec envie.

Certains pays européens sont en effet confrontés aujourd’hui à un problème de sous-capacité de leurs réseaux. Les parcs qui voient le jour peinent de plus en plus à être raccordés et, en attendant, ne produisent pas. On le voit en Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas ou en Grèce. L’an dernier, l’Allemagne a dépensé 4 milliards d’euros pour indemniser les exploitants contraints d’attendre pour produire.

En ce qui concerne l’éolien en mer, l’Etat vient d’adresser un message fort. Votre syndicat est-il satisfait ?

M. G : Le 2 mai dernier, les ministres de l’Economie et de l’Industrie ont envoyé un signal positif. Ils ont confirmé l’objectif intermédiaire de 18 GW de puissance en 2035 et surtout précisé que les nouveaux appels d’offres pour atteindre ce niveau dans dix ans devraient être attribués fin 2026, c’est-à-dire avant la prochaine présidentielle.

Auparavant, les services de l’Etat évoquaient une attribution après cette échéance et nous étions très inquiets. Quel industriel voudrait se risquer à répondre aujourd’hui à un appel d’offres qui pourrait être remis en cause demain pour cause d’élections ?

Cette bonne nouvelle ne lève toutefois pas les incertitudes sur ce calendrier. La législation française a fixé en 2019 que la réalisation des études de gisement et d’impact préalables à un projet éolien offshore est, s’agissant du domaine maritime, de la responsabilité de l’Etat.

Les industriels ont besoin de ces études pour construire leurs réponses aux futurs appels d’offres, mais, en l’état actuel des moyens disponibles et du cahier des charges, il existe de sérieux doutes sur la capacité des services de l’Etat à les fournir à temps. C’est un sujet aussi essentiel que méconnu.

Qu’en est-il des installations terrestres ? Elles sont encore plus attaquées que l’offshore. Comment accélérer et tenir ensuite le rythme ?

M. G : Il y a deux mesures prioritaires. La première serait d’instaurer la modulation tarifaire sur les appels d’offres. Les professionnels le réclament depuis des années. La concentration de l’éolien dans le Nord et le Grand Est et du photovoltaïque dans le Sud-Est est liée à un régime d’appels d’offres uniforme. Les projets se massent dans les zones où ils sont les plus rentables et tendent à les saturer.

Offrir des garanties de rémunération plus élevées dans les zones à plus faible potentiel permettrait de développer de nouvelles installations de manière équilibrée sur le territoire et réduirait les oppositions. Ce chantier est économique.

« Il faut que les services de l’Etat deviennent des facilitateurs, quand ils se comportent aujourd’hui trop souvent en censeurs »

L’autre chantier est politique. Il faut que les services de l’Etat en charge d’instruire et d’autoriser les projets deviennent des facilitateurs, quand ils se comportent aujourd’hui trop souvent en censeurs.

Dans de nombreux cas, les agents instructeurs ou les préfets rendent un avis négatif sur un projet pourtant conforme, car ils ont peur de s’attirer des ennuis face aux oppositions locales. Ils le font d’autant plus facilement qu’ils savent que ce projet conforme sera en fin de compte validé par le juge administratif. Sauf que ce passage par le contentieux fait perdre beaucoup de temps et d’argent.

Cette situation est caricaturale. En septembre 2022, face à la crise énergétique, le gouvernement avait adressé une circulaire aux préfets pour qu’ils accélèrent l’instruction des projets.

Début 2024, nous avons effectivement constaté un doublement du nombre de projets éoliens instruits par les services déconcentrés de l’Etat. Cependant, le nombre de projets autorisés, lui, n’a pas augmenté. Il a même un peu reculé. Pire, entre 2022 et 2023, le nombre de projets refusés a triplé.

Entre montée des droites opposées aux éoliennes et raison énergétique et climatique, comment navigue le gouvernement ?

M. G : La forte mobilisation de la droite et de l’extrême droite sur ces sujets depuis la présidentielle de 2017 oriente de plus en plus la décision politique. A la rentrée 2021, le chef de l’Etat, qui briguait un second mandat, a même failli annoncer un moratoire sur l’éolien terrestre, pour des raisons électoralistes. Après ce moment critique, la publication fin 2021 du rapport de RTE sur les trajectoires de décarbonation a permis d’objectiver le débat.

Cette étude a montré que, même en s’appuyant sur le nucléaire au maximum de ce qui est industriellement imaginable, il est impossible d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 sans un déploiement massif des énergies renouvelables, y compris l’éolien terrestre.

Fort de cette caution scientifique, le Président a présenté à Belfort en février 2022 une stratégie énergétique très ambitieuse sur le nucléaire, mais qui affirme aussi la nécessité de développer les renouvelables.

Certes, ce discours a révisé à la baisse les objectifs de moyen et long terme assignés à l’éolien terrestre. Mais par la suite, l’exercice de la planification écologique a conclu que pour être en ligne avec l’engagement européen pour 2030, il fallait au contraire accélérer, ce qu’acte finalement le projet de nouvelle PPE pour les horizons 2030 et 2035. A voir si le gouvernement, cette fois, tiendra ferme face à aux oppositions politiques.

Peut-on espérer que la stratégie française énergie-climat pour atteindre l’objectif européen pour 2030 soit rapidement stabilisée au niveau du Parlement ? Tout ne peut pas être décidé par l’exécutif.

M. G : Le gouvernement n’a pas de majorité absolue au Parlement ni de stratégie pour construire une alliance solide autour de la transition énergétique. Face aux oppositions, il fait tout pour éviter de déclencher un nouvel incendie. La période électorale actuelle n’est donc surtout pas, pour lui, le moment de remettre sur la table la politique énergétique, alors que c’est un enjeu central pour la sécurité européenne.

Après les élections, l’été sera occupé par les Jeux olympiques, et l’automne par le débat budgétaire. Une fenêtre parlementaire s’ouvre en 2025, mais elle est étroite. Il faudra absolument conclure la discussion sur la stratégie énergétique à moyen et long terme avant 2026, sauf à risquer un nouveau retard pour cause de bataille des municipales.

Par rapport à l’opposition aux installations renouvelables au sol, la France est-elle un pays d’exception ?

M. G : C’est ce qu’on a longtemps cru. Nos homologues des pays voisins nous regardaient avec un brin de moquerie et de commisération. Ils pensaient que, chez eux, il y avait une base sociale solide en faveur des énergies renouvelables. Or, leurs projets subissent aujourd’hui une mobilisation très virulente de la droite et de l’extrême droite. Le choc est d’autant plus fort qu’ils n’y étaient pas préparés.

« Développer les énergies renouvelables, c’est bien, mais cela n’a de sens que si l’on fait reculer en même temps les fossiles »

Comment analysez-vous ce retour de bâton ?

M. G : Développer les énergies renouvelables, c’est bien, mais cela n’a de sens que si l’on fait reculer en même temps les fossiles. L’extrême urgence climatique nous fait redécouvrir cette évidence, qui évidemment ne fait pas plaisir à tout le monde.

Sortir des fossiles, c’est toucher à de puissants intérêts économiques et c’est bouleverser nos modes de vie. Cela implique un accompagnement de ceux qui seront pénalisés, et ce sujet est toujours resté négligé. D’où les tensions et les crispations que nous connaissons aujourd’hui.

Finalement, le contrat social vis-à-vis des énergies renouvelables manque de clarté. S’il était acté que leur objectif fondamental est de faire reculer les fossiles, alors il faudrait s’accorder sur des questions aussi essentielles que : « comment on s’organise pour sortir du pétrole, du gaz et du charbon ? », « à quelle vitesse dans quels secteurs ? », « avec quel accompagnement social pour qui ? ».

Si chacun d’entre nous pouvait répondre à ces questions et se dire « cette éolienne, ce parc solaire, c’est de l’argent qui ne part pas dans les Etats pétroliers et qui reste chez moi », que resterait-il des oppositions ?

Quelle est votre part de responsabilité ?

M. G : Par construction, les acteurs des énergies renouvelables ont peu de contact direct avec les usagers finaux et leurs préoccupations. Leur seul client, en tout cas jusqu’à récemment, c’était EDF OA2. Sauf pour les entreprises qui sont des fournisseurs d’électricité, le principal sujet de nos adhérents, ce sont les autorisations de projets, les raccordements, les garanties de rémunération…

De ce fait, alors que nos filières sont au cœur de la transition vers un monde sans fossiles, nous ne nous préoccupons pas assez des enjeux de société.

« Nous ne nous préoccupons pas assez des enjeux de société. C’est un point sur lequel nous devons absolument avancer »

C’est un point sur lequel nous devons absolument avancer. Il faut que les acteurs du changement que nous sommes s’impliquent davantage dans ce qui est une transformation de l’économie et de la société. D’autant plus qu’en face, les conservatismes sont extrêmement puissants et organisés.

Aujourd’hui, notre fédération professionnelle se jette peu à peu dans la mêlée. Mais justement parce que nous sommes une organisation professionnelle, l’exercice est, pour nous, compliqué.

Nous ne pouvons pas dire que nous ne défendons pas nos intérêts. Mais nous ne pouvons pas laisser dire que la société n’a pas intérêt à accélérer très fortement sur l’éolien et le solaire.

QOSHE - « La forte mobilisation des droites contre les éoliennes oriente de plus en plus la décision politique » - Recueilli Par Antoine De Ravignan
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« La forte mobilisation des droites contre les éoliennes oriente de plus en plus la décision politique »

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07.06.2024

La campagne des élections européennes a marqué l’entrée de la politique énergétique du continent dans une phase d’incertitudes quant au volontarisme des politiques publiques pour assurer la transition.

En France, les droites ont adopté une position d’hostilité aux énergies renouvelables, notamment contre le développement des parcs éoliens, et le gouvernement envoie des signaux ambivalents.

Michel Gioria, délégué général de la fédération professionnelle France renouvelables, qui se définit comme « l’association porte-parole des énergies renouvelables électriques », établit l’état du développement de ces énergies dans le pays et décrit la nature des oppositions à affronter. S’il reste optimiste pour l’avenir, il désigne les objectifs à atteindre impérativement….

La campagne des élections européennes a marqué l’entrée de la politique énergétique du continent dans une phase d’incertitudes quant au volontarisme des politiques publiques pour assurer la transition.

En France, les droites ont adopté une position d’hostilité aux énergies renouvelables, notamment contre le développement des parcs éoliens, et le gouvernement envoie des signaux ambivalents.

Michel Gioria, délégué général de la fédération professionnelle France renouvelables, qui se définit comme « l’association porte-parole des énergies renouvelables électriques », établit l’état du développement de ces énergies dans le pays et décrit la nature des oppositions à affronter. S’il reste optimiste pour l’avenir, il désigne les objectifs à atteindre impérativement.

Alors que les élections européennes sont marquées par une remise en cause de l’ambition écologique, où en est la France dans son développement des énergies renouvelables ?

Michel Gioria : Elle continue d’avoir un retard structurel par rapport à ses objectifs, même si, enfin, elle accélère et rattrape aujourd’hui en partie le temps perdu. S’agissant du photovoltaïque, il fallait selon l’actuelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)1 atteindre au 31 décembre 2023 une puissance installée totale de 18 GW. Nous y sommes.

Pour l’éolien terrestre, le parc actuel est de 22 GW. L’objectif fin 2023 était de 24 GW. Nous devrions y parvenir mi-2025. Enfin, les 3,5 GW d’éolien en mer attendus l’an dernier seront en service plutôt fin 2026. Pour l’avenir, la trajectoire va être révisée à la hausse, conformément aux objectifs européens décidés sous la précédente mandature et qu’il faut à présent mettre en œuvre.

La concertation est encore en cours et la nouvelle PPE, qui couvrira la période 2024-2035, devrait être signée à la fin de l’année. Le texte en discussion vise 70 à 100 GW de photovoltaïque en 2035, 40 à 45 GW d’éolien terrestre et 18 GW d’éolien marin.

Atteindre un tel niveau implique pour toutes les filières que ce qui était hier une année record devienne aujourd’hui un minimum. Il va falloir installer chaque année au moins 5 à 7 GW à terre et 2 GW en mer. Cela veut dire sortir de la logique passée du « stop-and-go » et adopter une politique constante et ferme.

Avant d’aborder le sujet du pilotage par l’Etat, est-ce que ces objectifs se heurtent à des obstacles industriels et économiques ?

M. G : Du côté de la production, les filières éoliennes et photovoltaïque sont en mesure de répondre à la demande, dès lors que les feux verts administratifs sont donnés. Sur un plan économique, ces moyens décarbonés offrent les coûts les plus bas et deviennent même compétitifs vis-à-vis........

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