Sur tout le territoire, 2 300 centres socio-culturels organisent des activités destinées en particulier aux publics fragilisés. Faute de financements suffisants, ils peinent de plus en plus à remplir leurs missions.

A Cenon, dans la banlieue de Bordeaux, le centre social et culturel La Colline est implanté depuis 50 ans au cœur d'un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV). Apprentissage du français, accompagnement à la parentalité, aide aux devoirs, prévention, animations en pieds d'immeuble, sorties culturelles, ateliers cuisine… Les activités menées avec les habitants sont nombreuses…

A Cenon, dans la banlieue de Bordeaux, le centre social et culturel La Colline est implanté depuis 50 ans au cœur d’un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV). Apprentissage du français, accompagnement à la parentalité, aide aux devoirs, prévention, animations en pieds d’immeuble, sorties culturelles, ateliers cuisine… Les activités menées avec les habitants sont nombreuses.

« Nous travaillons au plus proche des familles, sur le long terme, de l’enfance à l’âge adulte », explique sa directrice Isabelle Lhermite. « Pour beaucoup, nous sommes comme une deuxième famille », ajoute son président, Denis Matet.

Tout cela est possible grâce à l’engagement d’une cinquantaine de bénévoles et, désormais, de 12 salariés équivalent temps plein. Car, en 2023, pour des raisons financières, le centre a dû faire le choix « douloureux » de licencier une assistante de direction. « Et nous ne sommes pas à l’abri de devoir reprendre une telle décision en 2024. »

Un centre social est une structure agréée par la Caisse des allocations familiales (CAF) qui assure un projet d’animation avec des activités sociales, éducatives, culturelles et familiales, portant une attention particulière aux familles et publics fragilisés. Il y en a plus de 2 300 partout en France, la plupart sous forme associative.

Réduction de voilure

Comme La Colline, nombre d’entre eux n’arrivent plus à joindre les deux bouts. « Les subventions de fonctionnement stagnent – ce qui équivaut dans un contexte d’inflation à une diminution – et le contexte social se complique », explique Eléonore Laroyenne, directrice du pôle ressources et vie interne de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF).

Selon un sondage réalisé par la Fédération auprès de ses 1 523 adhérents, 67 % indiquent ne plus pouvoir répondre à certaines missions sociales, 52 % parlent de réduction ou d’arrêt d’activité, et 29 % prévoient de ne pas renouveler certains postes en 2024.

« Électricité, chauffage, carburant… Tout a augmenté », se désole Jean-Jacques Soreau, président du centre social de Conlie, dans la Sarthe.

« On a longtemps considéré les associations comme préservées du néolibéralisme. Il n’en n’est rien » – Matthieu Hély, sociologue

Sa structure, située en zone rurale, organise notamment des activités de loisir et éducatives pour les enfants, des sorties, un chantier d’insertion, une ressourcerie, mais aussi une distribution alimentaire sous forme d’épicerie solidaire. Qui ne désemplit pas. Le bénévole y observe une présence accrue « de jeunes et de personnes âgées ».

Les difficultés des centres sociaux ne datent pas d’hier, mais la revalorisation des salaires, après la révision de la convention collective des centres sociaux, effective depuis janvier 2024, est la goutte d’eau qui a fait déborder les comptes. Surtout là où les collectivités ne peuvent pas compenser.

« Les élus nous disent qu’ils comprennent nos besoins, mais qu’ils ont moins de dotations », rapporte Jean-Jacques Soreau.

« Notre maire est très impliqué, mais la commune est étranglée. Nous avons d’excellentes relations avec le département, mais ses entrées d’argent, via les droits de mutation (taxes sur les transactions immobilières, ndlr) sont en baisse », expose Denis Matet.

Une « quatrième fonction publique qui ne dit pas son nom »

Concernant les aides de l’État, c’est surtout la multiplication des appels à projets qui pèse sur ces structures.

« Nous répondons à une quarantaine d’appels à projet par an, ce qui représente un travail considérable en termes de fiches de présentations, de bilan qualitatifs et quantitatifs etc... Tout le temps que nous passons à chercher des financements, nous ne le passons pas avec les habitants », regrette Isabelle Lhermite.

Au contraire de ces aides à court terme, il faudrait plus de « financements structurants », affirme Eléonore Laroyenne. Ces problématiques sont à l’image de celles qui traversent l’ensemble du secteur associatif, à la peine.

« On a longtemps considéré les associations comme préservées du néolibéralisme. Il n’en n’est rien », observe Matthieu Hély. Professeur de sociologie à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, il a coordonné avec Maud Simonet l’ouvrage collectif Monde associatif et néolibéralisme (PUF, 2023).

Selon lui, avec l’essor du néolibéralisme, l’Etat a progressivement, depuis plusieurs décennies, fait évoluer les financements des associations vers plus d’appels d’offres mettant les structures en concurrence, et vers un soutien indirect via la défiscalisation des dons.

Résultat, les salariés de l’associatif sont aujourd’hui, comme une « quatrième fonction publique qui ne dit pas son nom », avec des conditions de travail dégradées.

Un soutien unanime, des actions attendues

La détresse des centres sociaux sera-t-elle entendue ? Le 31 janvier dernier, ils ont organisé partout en France des manifestations. Près de 12 000 personnes y ont participé.

Le 7 mars, à l’invitation de la FCSF, la plupart des partenaires financiers des centres sociaux, c’est-à-dire l’Etat, les associations d’élus locaux et organismes sociaux (Caisse nationale des allocations familiales, Caisse nationale d’assurance retraite, Caisse centrale de la mutualité sociale agricole1) se sont réunis au Conseil économique et social environnemental, à Paris.

Tous ont affiché leur soutien. Certains ont promis un effort financier. La ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, s’est notamment engagée sur un « accompagnement financier exceptionnel dans les semaines à venir ».

Ces partenaires se sont aussi accordés sur la nécessité d’ouvrir un chantier de réflexion autour du modèle socio-économique des centres sociaux. Car une aide d’urgence ne suffira pas.

Pour être agréés par les CAF, les centres sociaux doivent respecter un certain nombre de critères, dont le premier est « la démarche participative », rappelle Eléonore Laroyenne :

« Le projet d’animation doit être élaboré avec les habitants et l’accessibilité doit être garantie pour tous, ce qui explique l’efficacité des centres sociaux. Les villes et les départements s’appuient beaucoup sur nos structures. »

Dans un contexte de fragilité des services publics, ils se retrouvent en première ligne. « Pendant le Covid, les centres sociaux ont fait le relais avec les écoles. Ils ont assuré des distributions alimentaires. Pendant les émeutes, cet été, les maires ont pu s’appuyer sur les travailleurs sociaux », appuie Isabelle Lhermite.

« Ne pas nous accompagner, ce serait faire de mauvaises économies », conclut la directrice de La Colline.

QOSHE - A sec financièrement, les centres sociaux au bord de la rupture - Héloïse Leussier
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A sec financièrement, les centres sociaux au bord de la rupture

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23.04.2024

Sur tout le territoire, 2 300 centres socio-culturels organisent des activités destinées en particulier aux publics fragilisés. Faute de financements suffisants, ils peinent de plus en plus à remplir leurs missions.

A Cenon, dans la banlieue de Bordeaux, le centre social et culturel La Colline est implanté depuis 50 ans au cœur d'un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV). Apprentissage du français, accompagnement à la parentalité, aide aux devoirs, prévention, animations en pieds d'immeuble, sorties culturelles, ateliers cuisine… Les activités menées avec les habitants sont nombreuses…

A Cenon, dans la banlieue de Bordeaux, le centre social et culturel La Colline est implanté depuis 50 ans au cœur d’un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV). Apprentissage du français, accompagnement à la parentalité, aide aux devoirs, prévention, animations en pieds d’immeuble, sorties culturelles, ateliers cuisine… Les activités menées avec les habitants sont nombreuses.

« Nous travaillons au plus proche des familles, sur le long terme, de l’enfance à l’âge adulte », explique sa directrice Isabelle Lhermite. « Pour beaucoup, nous sommes comme une deuxième famille », ajoute son président, Denis Matet.

Tout cela est possible grâce à l’engagement d’une cinquantaine de bénévoles et, désormais, de 12 salariés équivalent temps plein. Car, en 2023, pour des raisons financières, le centre a dû faire le choix « douloureux » de licencier une assistante de direction. « Et nous ne sommes pas à l’abri de devoir reprendre une telle décision en 2024. »

Un centre social est une structure agréée par la Caisse des allocations familiales (CAF) qui assure un projet d’animation avec des activités sociales, éducatives, culturelles et familiales, portant une attention particulière aux familles et publics fragilisés. Il........

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