Les Britanniques, très vulnérables à la hausse des taux d’intérêt, sont contraints de se détourner des emprunts immobiliers. Or, le pays, qui a toujours sacralisé la propriété, protège très peu ses locataires.

Le piège des taux variables se referme sur les emprunteurs britanniques. Fin 2023, sur quelque 7,5 millions de détenteurs de crédits immobiliers, 88 000 sont en retard dans le remboursement de leurs échéances, soit une augmentation de 7 % par rapport à la période avril-juin 2023, alertait l’association de services bancaires britannique UK Finances, le 9 novembre.

Les ménages britanniques sont en effet particulièrement vulnérables à la hausse des taux d’intérêt directeurs de leur banque centrale en raison de la prédominance des emprunts à taux variables dans le pays. Or, depuis fin 2021, la Banque d’Angleterre (BoE) a relevé pas moins de 14 fois...

Le piège des taux variables se referme sur les emprunteurs britanniques. Fin 2023, sur quelque 7,5 millions de détenteurs de crédits immobiliers, 88 000 sont en retard dans le remboursement de leurs échéances, soit une augmentation de 7 % par rapport à la période avril-juin 2023, alertait l’association de services bancaires britannique UK Finances, le 9 novembre.

Les ménages britanniques sont en effet particulièrement vulnérables à la hausse des taux d’intérêt directeurs de leur banque centrale en raison de la prédominance des emprunts à taux variables dans le pays. Or, depuis fin 2021, la Banque d’Angleterre (BoE) a relevé pas moins de 14 fois ces taux pour lutter contre l’inflation. Ils ont atteint un niveau inégalé depuis 15 ans (5,25 %, contre encore 0,25 % fin 2021) tandis que l’inflation, après avoir culminé à 11,1 % en octobre 2022, est redescendue à 4,6 % en novembre 2023.

Une majorité de taux variables

Ce resserrement a un impact direct sur les ménages britanniques qui ont donc contracté pour la très grande majorité des emprunts immobiliers à taux variables, à la différence de la France où plus de 90 % de ces prêts sont à taux fixe. Plus précisément, 13 % des emprunteurs britanniques empruntent à taux variable exclusivement, et 85 % sont à taux fixe pendant les premières années de leur crédit – généralement 2 à 5 ans – avant de basculer dans un second temps sur un système de taux variable. Ils doivent alors refinancer leur crédit au taux pratiqué au même moment sur le marché.

« Le passage d’un taux fixe à taux variable est un véritable choc, alerte Christian Hilber, professeur de géographie économique à la London School of Economics. Mais c’est un processus lent et tous les emprunteurs ne l’ont pas encore subi. »

Le taux variable est en effet une aubaine lorsque les taux d’intérêt sont bas. Mais celui-ci devient un fardeau lorsqu’ils culminent, comme aujourd’hui, à 5,25 %. Ainsi, un acheteur qui avait contracté un prêt à taux variable pour un bien immobilier d’une valeur de 261 500 euros en janvier 2018, devait rembourser à l’époque 789 euros par mois. Aujourd’hui, le remboursement s’élève à 1 210 euros, calcule l’agence immobilière britannique Hamptons.

Pour l’heure, la hausse des taux d’intérêt ne génère pas d’augmentation des ventes de biens immobiliers, « comme cela fut le cas lors de la crise de 2008, où les ventes avaient flambé sous la pression de l’augmentation des emprunts, rappelle Aneisha Beveridge, responsable de recherche à l’agence Hamptons. Nous constatons même une accalmie, car les salaires augmentent désormais en moyenne plus vite que l’inflation ». La hausse des prix pèse en revanche sur les acheteurs potentiels, qui renoncent à investir.

Hausse des expulsions locatives

Déjà en 2017, un livre blanc sur l’immobilier publié par le ministère du Logement soulignait que le taux de propriétaires chez les 25-34 ans avait chuté de 59 % à 37 % en dix ans. Ce mouvement risque de s’accentuer. « 13 millions de citoyens sont locataires au Royaume-Uni et le nombre est en constante augmentation », rappelle Conor O’Shea, de l’association de défense des locataires Generation Rent, qui appelle à un changement législatif urgent pour protéger ces derniers, car ils le sont très peu au Royaume-Uni.

« Il n’y a pas de contrôle des loyers, donc quand les contrats de location résidentielle arrivent à leur fin, les propriétaires ont la possibilité de les augmenter », explique Christian Hilber.

Parallèlement, les avis d’expulsions « sans faute commise », ont flambé de 38 % à l’été 2023 en comparaison avec l’été 2022. Couramment utilisé par les propriétaires pour mettre fin à un contrat de location, cet article 21 du Housing Act de 1988 – loi promulguée sous le gouvernement conservateur et libéral de Margaret Thatcher – permet d’expulser un résident sans fournir de justification. Seul un préavis de deux mois minimum doit être respecté.

Le taux de propriétaires chez les 25-34 ans avait chuté de 59 % à 37 % entre 2007 et 2017

Et encore, ce chiffre ne tient compte que des avis d’expulsion contestés devant les tribunaux. Or, « la plupart des locataires ont peur de se lancer dans des procédures judiciaires longues et coûteuses qu’ils ont peu de chances de gagner », déplore Paul Shanks, de l’organisation Renters Reform Coalition, une organisation de représentation des locataires. « Les expulsions sont désormais hors de contrôle et n’importe quelle catégorie sociale peut être affectée car aucun motif n’est requis pour l’expulsion : le propriétaire peut vouloir vendre, augmenter le loyer ou simplement avoir un litige avec le locataire. »

Jodie, salariée du National Health Service (NHS, service de santé publique britannique), fait partie de ces locataires désabusés. Elle a reçu deux avis d’expulsion en 14 mois, dans sa ville de résidence à Canterbury (Kent) sans avoir d’impayé. « J’ai dû quitter mon premier logement en 2022 après trois ans. J’ai reçu une simple lettre par la poste notifiant mon expulsion d’ici deux mois et je n’ai même pas vu le propriétaire. »

Jodie, qui n’a pas les moyens d’acheter, a ensuite partagé une maison pendant un an avec trois colocataires :

« Nous avons eu exactement la même notification d’expulsion par courrier, au bout d’un an. J’ai peur que cela me pénalise dans mes futures recherches de locations : les propriétaires me demandent systématiquement si j’ai déjà été expulsée. »

La propriété, au détriment du logement social

Jodie a pu être hébergée temporairement dans l’appartement de son petit ami. Mais nombre d’autres locataires expulsés doivent se tourner vers les collectivités locales pour se reloger. En conséquence, la facture pour les collectivités anglaise est elle aussi salée. Le coût des logements temporaires qu’elles fournissent à leurs citoyens, que ce soit dans des logements privés, des auberges, refuges et chambres d’hôtes s’est élevée à 757 millions d’euros entre avril 2022 et mars 2023 contre 674 millions d’euros entre avril 2021 et mars 2022, selon le ministère de l’Égalité des chances, du Logement et des Communautés.

Le nombre de ménages contraints de vivre dans des hébergements temporaires a augmenté de 10 % en un an

« Le nombre de ménages contraints de vivre dans des hébergements temporaires a augmenté de 10 % en un an, et s’élève désormais à 104 000 dans le pays. Or les logements sociaux manquent », détaille Paul Shanks.

Les gouvernements britanniques ont toujours poussé les citoyens à investir dans la pierre, quitte à délaisser le parc social. C’était l’ambition du « right to buy » (en anglais, droit à l’achat), introduit dans le Housing Act de 1980 sous Margaret Thatcher, qui permet aux locataires de racheter leurs logements sociaux auprès de leurs autorités locales, en bénéficiant d’une forte réduction. Cette mesure est toujours en vigueur au Royaume-Uni, sauf en Ecosse et au Pays de Galles où elle a été abolie récemment.

Très populaire, elle a néanmoins eu pour effet de réduire considérablement le nombre de logements sociaux. De 1980 à 2018, ce sont 1,9 million de logements HLM qui ont été vendus en Angleterre et 2,6 millions au Royaume-Uni, soit la moitié du parc social initial. La construction de nouveaux logements sociaux n’a pas permis de renouveler le stock. D’après la Fédération nationale du logement, l’Angleterre aurait besoin de mettre en location 90 000 nouveaux logements sociaux chaque année, mais n’en construit que 5 000, faute de budget suffisant.

« Les conservateurs ont toujours voulu privilégier leur électorat, majoritairement propriétaire », résume Conor O’Shea qui accueille avec prudence la proposition de nouvelle réforme du logement, présentée en mai par le gouvernement conservateur de Rishi Sunak. Ce projet de loi prévoit notamment d’abolir le principe d’expulsion sans motif. « La réforme ne fait rien pour réguler la hausse des loyers, par exemple », constate-t-il toutefois.

Le texte est actuellement en troisième lecture au parlement et ne pourrait devenir une loi effective qu’à l’automne 2024, estiment les associations de défense des locataires. En attendant, ces dernières redoutent le pire pour les prochains mois, dans un pays où la trêve hivernale n’existe pas.

QOSHE - Au Royaume-Uni, les ménages écrasés par le marché de l’immobilier - Elisa Perrigueur
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Au Royaume-Uni, les ménages écrasés par le marché de l’immobilier

6 6
29.12.2023

Les Britanniques, très vulnérables à la hausse des taux d’intérêt, sont contraints de se détourner des emprunts immobiliers. Or, le pays, qui a toujours sacralisé la propriété, protège très peu ses locataires.

Le piège des taux variables se referme sur les emprunteurs britanniques. Fin 2023, sur quelque 7,5 millions de détenteurs de crédits immobiliers, 88 000 sont en retard dans le remboursement de leurs échéances, soit une augmentation de 7 % par rapport à la période avril-juin 2023, alertait l’association de services bancaires britannique UK Finances, le 9 novembre.

Les ménages britanniques sont en effet particulièrement vulnérables à la hausse des taux d’intérêt directeurs de leur banque centrale en raison de la prédominance des emprunts à taux variables dans le pays. Or, depuis fin 2021, la Banque d’Angleterre (BoE) a relevé pas moins de 14 fois...

Le piège des taux variables se referme sur les emprunteurs britanniques. Fin 2023, sur quelque 7,5 millions de détenteurs de crédits immobiliers, 88 000 sont en retard dans le remboursement de leurs échéances, soit une augmentation de 7 % par rapport à la période avril-juin 2023, alertait l’association de services bancaires britannique UK Finances, le 9 novembre.

Les ménages britanniques sont en effet particulièrement vulnérables à la hausse des taux d’intérêt directeurs de leur banque centrale en raison de la prédominance des emprunts à taux variables dans le pays. Or, depuis fin 2021, la Banque d’Angleterre (BoE) a relevé pas moins de 14 fois ces taux pour lutter contre l’inflation. Ils ont atteint un niveau inégalé depuis 15 ans (5,25 %, contre encore 0,25 % fin 2021) tandis que l’inflation, après avoir culminé à 11,1 % en octobre 2022, est redescendue à 4,6 % en novembre 2023.

Une majorité de taux variables

Ce resserrement a un impact direct sur les ménages britanniques qui ont donc contracté pour la très grande majorité des emprunts immobiliers à taux variables, à la différence de la France où plus de 90 % de ces prêts sont à taux fixe. Plus précisément, 13 % des emprunteurs britanniques empruntent à taux variable exclusivement, et 85 % sont à taux fixe pendant les premières années de leur crédit – généralement 2 à 5 ans – avant de basculer dans un second temps sur un........

© Alternatives Économiques


Get it on Google Play