A partir des dernières données disponibles, tour d’horizon de la situation socio-économique et des inégalités en Nouvelle-Calédonie, cet archipel situé à 17 000 kilomètres de la France métropolitaine et mal connu de la plupart des Français.

Depuis l’adoption par le Sénat d’un projet de loi de réforme du corps électoral, de fortes mobilisations et émeutes ébranlent la Nouvelle-Calédonie. Sept morts ont été recensés jusqu’ici, et l’état d’urgence a été décrété du 15 au 28 mai. Si le déclencheur des révoltes est bien la réforme constitutionnelle que l’Etat souhaite imposer au mépris de l’histoire récente, s’y ajoutent des inégalités sociales et économiques profondes. Quel portrait économique et social peut-on alors dresser de la société néo-calédonienne ?

L’enjeu démographique est au cœur de la réforme du corps électoral que souhaite imposer Paris. Depuis 2007, le corps électoral pour les élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie est gelé à l’année 1998. Cela, afin de garantir à la population autochtone une certaine représentativité lors de ces élections locales, sur un territoire historiquement considéré par la France comme une colonie de peuplement…

Depuis l’adoption par le Sénat d’un projet de loi de réforme du corps électoral, de fortes mobilisations et émeutes ébranlent la Nouvelle-Calédonie. Sept morts ont été recensés jusqu’ici, et l’état d’urgence a été décrété du 15 au 28 mai. Si le déclencheur des révoltes est bien la réforme constitutionnelle que l’Etat souhaite imposer au mépris de l’histoire récente, s’y ajoutent des inégalités sociales et économiques profondes. Quel portrait économique et social peut-on alors dresser de la société néo-calédonienne ?

L’enjeu démographique est au cœur de la réforme du corps électoral que souhaite imposer Paris. Depuis 2007, le corps électoral pour les élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie est gelé à l’année 1998. Cela, afin de garantir à la population autochtone une certaine représentativité lors de ces élections locales, sur un territoire historiquement considéré par la France comme une colonie de peuplement.

Résultat : en 2023, environ 20 % des citoyens inscrits sur la liste électorale générale ne l’étaient pas sur la liste spéciale pour les élections provinciales. Avec le projet de réforme constitutionnelle, le gouvernement souhaite revenir en partie sur cette situation, au grand dam des indépendantistes et du compromis en vigueur jusque-là.

La Nouvelle-Calédonie comptait au dernier recensement (2019) 271 400 habitants, dont 41 % de Kanak et 24 % d’Européens (cela fait référence à la communauté d’appartenance déclarée lors du recensement).

Les Kanak représentent 41 % de la population calédonienne

Evolution de la répartition de la population par communauté, en nombre et en %

nouvelle-caledonie_pop_communaute.png

Source : Institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie (Isee)

Quelles sont les conditions de vie sur l’archipel ? Par rapport à la France métropolitaine et aux départements d’outre-mer, le niveau de vie médian en Nouvelle-Calédonie est près de quatre fois supérieur à celui de Mayotte, et de 14 % à celui de la Guyane, selon les données de l’Institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie (Isee). Il est en revanche entre 15 % et 20 % inférieur à ceux des autres DOM, et de 46 % inférieur à celui de la France métropolitaine.

Concernant les populations les plus modestes (les 20 % de la population les plus pauvres), hormis Mayotte, les niveaux de vie sont plus bas en Nouvelle-Calédonie et en Guyane que dans les autres départements d’outre-mer. Pour les 30 % des individus les plus aisés, en revanche, les niveaux de vie sont semblables à ceux des autres DOM.

Le niveau de vie moyen en Nouvelle-Calédonie est proche de celui de la Guyane

Niveaux de vie par déciles, corrigés selon la parité de pouvoir d’achat, sur différents territoires, en francs Pacifique (F. CFP)

nouvelle-caledonie_niveau_vie.png

Source : Isee

Toujours selon l’Isee, les prix en Nouvelle-Calédonie sont plus élevés de plus d’un tiers qu’en France métropolitaine en moyenne. Un ménage métropolitain qui conserverait ses habitudes de consommation en Nouvelle-Calédonie augmenterait ses dépenses de 43 %. Inversement, un ménage calédonien moyen dépense 21 % de plus sur le territoire que s’il consommait le même panier en France métropolitaine.

Les écarts de prix s’expliquent avant tout par les produits alimentaires qui sont 78 % plus chers en Nouvelle-Calédonie, par le logement (30 % plus cher) et par les services d’hôtellerie-restauration (+ 77 %). Seuls les transports et les « autres biens et services » sont près de 10 % moins coûteux qu’en France métropolitaine.

Cet écart de prix tend à diminuer, mais reste plus marqué qu’entre la France métropolitaine et les DOM.

En Nouvelle-Calédonie, des prix supérieurs de plus d’un tiers à ceux de la France métropolitaine

Ecart de prix entre les territoires ultramarins et la France métropolitaine en 2010, 2015 et 2022, en %

nouvelle-caledonie_prix.png

Source : Isee

Les inégales socio-économiques restent élevées. Le niveau de vie médian des ménages non Kanak atteint 234 200 francs Pacifique (F.CFP) soit 1 953 euros par mois, ce qui est deux fois plus élevé que celui des ménages Kanak (116 800 F.CFP, soit 974 euros par mois).

Le niveau de vie médian des non-Kanak est deux fois plus élevé que celui des Kanak

Distribution du niveau de vie en 2019 par communauté d’appartenance, en francs Pacifique (F. CFP)

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Source : Isee

Le taux de pauvreté est de 19 %, une fois pris en compte les effets de la redistribution et de l’autoconsommation, qui contribue à réduire la pauvreté. Le taux de pauvreté des Kanak est de 33 % contre 9 % pour les non-Kanak. Il est calculé à partir d’un seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian. En France métropolitaine, le taux de pauvreté à 50 % du revenu médian est de 8 % (et de 14,5 % avec un seuil de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian).

Moins diplômés et moins rémunérés

D’après l’Institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie (Isee), l’écart dans le taux de pauvreté entre Kanak et non-Kanak s’explique par un effet de structure : en moyenne, les ménages Kanak sont de plus grande taille et comportent plus de personnes inactives. Il s’explique aussi par des inégalités dans l’accès à l’emploi rémunéré : les Kanaks occupent des professions moins rémunératrices que les non-Kanak.

Les Kanak occupent 40 % des emplois salariés dans le secteur privé. Ils sont plus souvent ouvriers ou employés de bureau (89 %) que les non-Kanak (72 %). A l’inverse, ils sont sous-représentés dans les postes d’encadrement (3 % de cadres Kanak dans le privé contre 13 % de non-Kanak) et même dans les postes à niveau intermédiaire (8 % contre 15 %).

Dans le secteur public, les écarts s’accroissent. Les Kanak n’occupent plus que trois emplois sur dix. Ils sont toujours majoritairement sur des postes d’exécution (56 % contre 23 % pour les non-Kanak), mais occupent toutefois bien plus souvent que dans le privé des fonctions intermédiaires (30 %) ou d’encadrement (13 %). Cependant, ils restent nettement moins représentés à ces niveaux d’emploi que les actifs des autres communautés. Dans la fonction publique, plus d’un tiers des agents publics Kanak sont contractuels (36 %), contre 22 % des agents des autres communautés.

Les Kanak occupent très majoritairement des postes d’exécution moins bien rémunérés

Répartition dans l’emploi des Kanak et non-Kanak, par catégorie socio-professionnelle, en %

Source : Isee

Les Kanak sont aussi plus souvent au chômage ou dans le halo du chômage (15 %) que les non-Kanak (8 %). Les femmes et les jeunes sont moins en emploi et plus souvent au chômage ou dans le halo que les hommes et les plus de 30 ans.

Or dans la population Kanak, les femmes sont plus nombreuses que les hommes (52 % contre 48 %) alors que cette proportion est de 50 % dans le reste de la population. De même, les moins de 30 ans sont plus nombreux parmi les Kanak (30 %) que chez les non-Kanak (24 %).

Le taux de chômage des Kanak, près du double de celui de non-Kanak

Evolution du taux de chômage en Nouvelle-Calédonie, par communauté, en %

Source : Isee

L’emploi et le chômage sont aussi fortement corrélés au niveau de diplôme. La population Kanak reste globalement moins qualifiée : 49 % des 15-64 ans n’ont aucun diplôme qualifiant, contre 33 % pour les non-Kanak. A l’opposé, 6 % ont un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 28 % dans le reste de la population.

Les Kanak sont moins diplômés que le reste de la population calédonienne

Répartition du nombre de personnes diplômées par niveau de diplôme et communauté, en %

Source : Isee

Côté logement, l’habitat est très majoritairement composé de maisons (67 %) et d’appartements (30 %). On est donc très loin, pour ceux qui se poseraient la question, d’un habitat ultra-précaire comme à Mayotte, où quatre logements sur dix sont en tôle.

L’habitat ultra-précaire reste marginal en Nouvelle-Calédonie

Répartition des résidences principales selon le type de construction, en %

Source : Isee

Il est beaucoup question du nickel dans la crise actuelle. Ce minerai stratégique, qui entre dans la composition des batteries électriques et de l’acier inoxydable, a toujours été un enjeu important dans les discussions entre les indépendantistes et l’Etat français. En vertu de la « doctrine nickel », il appartient au territoire de Nouvelle-Calédonie, mais la filière a toujours été régulièrement subventionnée par l’Etat français.

La Nouvelle-Calédonie est le quatrième producteur mondial de nickel et la filière emploie 25 % des actifs. Le nickel représente 14 % de la valeur ajoutée du PIB néo-calédonien en 2022.

La filière nickel représente 14 % de la valeur ajoutée du PIB néo-calédonien

Répartition de la valeur ajoutée dans le PIB calédonien par secteur en 2022, en %

nouvelle-caledonie_nickel2.png

Source : Isee, Comptes économiques, Cerom

Alors que le nickel néo-calédonien pourrait théoriquement servir à sécuriser les approvisionnements européens, il est en réalité largement exporté en Asie, pour la production d’acier inoxydable.

L’Inspection générale des finances (IGF) rappelle dans un rapport de juillet 2023 que le secteur fait face à des difficultés conjoncturelles et structurelles. Sur le plan conjoncturel, le cours du nickel sur le marché mondial a été divisé quasiment par deux en 2023 du fait notamment de la concurrence de l’Indonésie, numéro 1 mondial qui produit désormais la moitié du nickel mondial, en étant fortement subventionné par la Chine.

Sur le plan structurel, la Nouvelle-Calédonie fait face à des coûts de production élevés, en raison des dépenses énergétiques (deux fois plus élevées que celles de l’Indonésie) et des dépenses de main-d’œuvre, qui sont ceux d’un pays de l’OCDE et sont donc cinq fois plus élevées qu’en Indonésie.

Les trois grandes entreprises de nickel calédonien sont déficitaires année après année. A court terme, elles dépendent donc de financements publics et privés pour poursuivre leur activité. Dans un scénario catastrophe de défaillance simultanée des trois usines, le chômage sur le territoire augmenterait d’environ 50 %, souligne l’IGF.

A long terme, de profondes transformations de la filière doivent être mises en œuvre. Mais cela n’empêchera pas un avenir incertain : le résultat des entreprises est très dépendant du cours du nickel, et celui-ci demeure très volatil.

Le nickel, un métal au cours très volatile

Evolution du cours du nickel à la bourse de Londres (London Stock Exchange), en dollars par livre (USD/lb)

Source : Isee

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10 graphiques pour comprendre la crise en Nouvelle-Calédonie

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29.05.2024

A partir des dernières données disponibles, tour d’horizon de la situation socio-économique et des inégalités en Nouvelle-Calédonie, cet archipel situé à 17 000 kilomètres de la France métropolitaine et mal connu de la plupart des Français.

Depuis l’adoption par le Sénat d’un projet de loi de réforme du corps électoral, de fortes mobilisations et émeutes ébranlent la Nouvelle-Calédonie. Sept morts ont été recensés jusqu’ici, et l’état d’urgence a été décrété du 15 au 28 mai. Si le déclencheur des révoltes est bien la réforme constitutionnelle que l’Etat souhaite imposer au mépris de l’histoire récente, s’y ajoutent des inégalités sociales et économiques profondes. Quel portrait économique et social peut-on alors dresser de la société néo-calédonienne ?

L’enjeu démographique est au cœur de la réforme du corps électoral que souhaite imposer Paris. Depuis 2007, le corps électoral pour les élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie est gelé à l’année 1998. Cela, afin de garantir à la population autochtone une certaine représentativité lors de ces élections locales, sur un territoire historiquement considéré par la France comme une colonie de peuplement…

Depuis l’adoption par le Sénat d’un projet de loi de réforme du corps électoral, de fortes mobilisations et émeutes ébranlent la Nouvelle-Calédonie. Sept morts ont été recensés jusqu’ici, et l’état d’urgence a été décrété du 15 au 28 mai. Si le déclencheur des révoltes est bien la réforme constitutionnelle que l’Etat souhaite imposer au mépris de l’histoire récente, s’y ajoutent des inégalités sociales et économiques profondes. Quel portrait économique et social peut-on alors dresser de la société néo-calédonienne ?

L’enjeu démographique est au cœur de la réforme du corps électoral que souhaite imposer Paris. Depuis 2007, le corps électoral pour les élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie est gelé à l’année 1998. Cela, afin de garantir à la population autochtone une certaine représentativité lors de ces élections locales, sur un territoire historiquement considéré par la France comme une colonie de peuplement.

Résultat : en 2023, environ 20 % des citoyens inscrits sur la liste électorale générale ne l’étaient pas sur la liste spéciale pour les élections provinciales. Avec le projet de réforme constitutionnelle, le gouvernement souhaite revenir en partie sur cette situation, au grand dam des indépendantistes et du compromis en vigueur jusque-là.

La Nouvelle-Calédonie comptait au dernier recensement (2019) 271 400 habitants, dont 41 % de Kanak et 24 % d’Européens (cela fait référence à la communauté d’appartenance déclarée lors du recensement).

Les Kanak représentent 41 % de la population calédonienne

Evolution de la répartition de la population par communauté, en nombre et en %

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Source : Institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie (Isee)

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Quelles sont les conditions de vie sur l’archipel ? Par rapport à la France métropolitaine et aux départements d’outre-mer, le niveau de vie médian en Nouvelle-Calédonie est près de quatre fois supérieur à celui de Mayotte, et de 14 % à celui de la Guyane,........

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