Quelle valeur pour l’écologie dans les comptes nationaux ?
Alors que la COP 30 s’est ouverte à Belem dans une ambiance d’incertitudes quant à la possibilité de faire progresser les engagements des États pour lutter contre le changement du climat et de violente hostilité de l’administration américaine envers tout accord, en France, le Conseil d’analyse économique (CAE) et le Sénat expriment, chacun de leur côté, leur engagement en faveur d’un autre modèle de croissance. Une Note d’analyse du CAE[1] et un rapport de la Délégation à la prospective du Sénat[2] viennent d’être publiés à l’appui de cette problématique. Un vent nouveau soufflerait-il ? Ou bien s’agit-il d’une répétition d’approches et de discours maintes fois exposés ?[3]
Combien vaut la forêt ?
C’est la question que pose le CAE. Il s’agit ici de sa valeur économique hors celle de la production de bois de chauffage, de construction, d’ameublement, de pâte à papier, etc. Ce serait, au-delà de la précédente, celle des productions non marchandes, des services écosystémiques rendus par les forêts, notamment la séquestration du carbone, et autres externalités positives, tel que le divertissement.
Cela fait maintenant près de cinquante ans que cette problématique de calculer la valeur économique de ce qui n’est pas économique est passée au crible d’une critique impitoyable. Mais rien n’y fait. Imperturbablement, les économistes dits de l’environnement, formés à l’idéologie néoclassique de la valeur, continuent à produire rapports sur rapports qui répètent inlassablement les mêmes apories. Et, au nom d’une prétendue « valeur économique totale », ils additionnent ce qui ne peut être additionné, après avoir converti au même dénominateur monétaire des éléments incommensurables aux marchandises, au sens strict de cet adjectif, et même inestimables[4].
Le diagnostic est ainsi posé par le CAE : « Les comptes satellites de l’environnement appliqués à la forêt offrent à ce titre un outil précieux : ils constituent aujourd’hui la seule initiative reliant comptabilité environnementale et comptabilité économique. Toutefois, leur champ reste limité. Certaines externalités positives majeures, comme la biodiversité, la régulation de l’eau ou de la qualité de l’air, n’y sont pas prises en compte. La séquestration de carbone y est bien mesurée en quantités physiques, mais n’est pas valorisée économiquement. Dans ces comptes, comme dans les comptes de patrimoine de l’Insee, la valeur de la forêt se réduit ainsi à sa dimension marchande, liée à la sylviculture et à l’exploitation forestière. » (p. 6).
La question est alors selon le CAE : « Comment valoriser le puits de carbone forestier ? » (p. 7), et plus précisément : « Quelle valeur accorder à une tonne de carbone persistante dans l’atmosphère ? » (p. 7), de telle façon que les services écosystémiques de la forêt soient intégrés dans les comptes nationaux, et pas seulement en termes physiques, mais aussi en termes monétaires. C’est d’autant plus important, dit le CAE avec raison, que la capacité d’absorption du carbone par les forêts risque de s’amenuiser au point de rendre celles-ci émettrices nettes de gaz à effet de serre (GES) en 2050.
Le fondement de la méthode d’évaluation ou de « valorisation » de cette capacité d’absorption est une analyse en termes de coûts/bénéfices. L’analyse comparant coûts et bénéfices de l’action en faveur du climat, et par conséquent ici en faveur de la forêt, comporte trois variantes (encadré 3, p. 9). Le résultat de la première serait donné par la valeur actualisée des dommages évités grâce à une baisse des émissions, qui elle-même équivaudrait au consentement marginal à payer pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La deuxième variante vise à ne pas dépasser un plafond d’émissions correspondant à une « valeur d’action pour le climat » mesurée par le coût marginal d’abattement des émissions. Toute action coûtant moins que cette valeur serait entreprise. La troisième variante repose sur la prise en compte des prix sur les marchés corrigés par les taxes ou le prix de quotas d’émissions de GES.
Le point commun entre ces approches est que, explicitement ou implicitement, il s’agit toujours de mesurer la valeur d’un élément naturel (ici, la forêt) par la valeur de sa dégradation, et cette dernière par le coût économique de la réparation, si tant est que celle-ci soit possible. On va donc de réduction en réduction non pas des émissions de GES, mais de la conception même de la nature. Bien qu’ils s’en défendent, les économistes de l’environnement – ceux plus ou moins influencées par la méthodologie néoclassique – en reviennent toujours à une évaluation marchande de substitution[5]. Ainsi serait résolue l’incommensurabilité des « valeurs » et leur sommation deviendrait réalisable : la « valeur ajoutée totale » (p. 8, 9, 10, 11) – donc économique – de la forêt se décomposerait en : la « valeur ajoutée marchande du secteur forêt-bois » (28 %), la « valeur ajoutée liée au service de séquestration et de régulation des forêts » (40 %), et « la valeur ajoutée des services culturels et récréatifs des forêts » (32 %) (figure 4, p. 10). Plus anciennement, d’autres études avaient donné une valeur monétaire à la photosynthèse réalisée par les forêts françaises en multipliant la quantité de carbone captée par le prix de la tonne sur le marché des permis d’émissions européen[6].
Le CAE peut alors calculer la « valeur sociale de séquestration forestière » comme étant le prix du « coût social du carbone » multiplié par un coefficient de 0,4 qui « rend compte de la non-permanence du stockage forestier » (p. 8). Au total, « Les services de régulation et de soutien et les services récréatifs représentent les 2/3 de la valeur ajoutée totale du secteur forêt-bois, qui s’élève à 11,2 Md€ en 2018. La valeur sociale du carbone stocké dans la biomasse est d’environ 380 Md€ et la valeur actualisée nette des bénéfices futurs liés aux autres services écosystémiques est estimée à 270 Md€, soit respectivement 2,7 et 2 fois la valeur patrimoniale de la forêt en 2023. » (p. 11).
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