L’Acfas s’est prononcée officiellement sur le projet de loi 44, et nous tenons, tous les trois, à rappeler publiquement les grandes lignes de notre position afin d’éviter toute ambiguïté sur celle-ci.

L’Acfas n’aurait pas demandé de modifications au cadre juridique régissant le financement public de la recherche scientifique au Québec. Le modèle en vigueur depuis 2011 s’est avéré satisfaisant aux yeux de la communauté de recherche québécoise, et il n’appelait pas de modifications structurelles.

Toutefois, le gouvernement s’apprête à prendre la décision de modifier ce cadre juridique. Le mémoire de l’Acfas met en relief que le projet de loi respecte généralement bien les principes fondamentaux qui assurent la validité de la recherche scientifique au Québec, principes que nous avons pris le temps de définir avant de formuler sept recommandations. Les amendements au projet de loi que le gouvernement a déjà adoptés — et qui découlent largement des recommandations de l’Acfas — concourent à mitiger les risques inhérents à cette modification et, selon notre perspective, assurent la protection juridique, administrative et financière de l’activité de recherche au Québec.

Comment dire ? Notre système politique permet à des organisations comme la nôtre de se prononcer sur le devenir de la communauté qu’elle représente et de voir ses arguments entendus.

Cela étant, il nous importe de continuer à contribuer aux échanges qui ont cours sur le projet de loi en apportant un éclairage que nous jugeons important sur le statut du scientifique en chef du Québec et sur ses responsabilités. Quand, selon le PL44, on attend du scientifique en chef qu’il conseille les ministres ou le gouvernement « sur toute question scientifique susceptible d’éclairer les politiques publiques » et qu’il émette « des opinions de nature scientifique » (article 22.2), il faut bien comprendre ce que les mots veulent dire. Le scientifique en chef du Québec, peu importe la personne qui remplit la fonction, ne peut pas être l’incarnation ou le dépositaire de tout le savoir scientifique universel dans tous les domaines scientifiques.

En réponse à une question scientifique précise qui lui est adressée par le gouvernement, il doit faire connaître l’état actuel du savoir sur le sujet, selon ce que peut lui dire la communauté scientifique issue du domaine concerné. Et si le savoir scientifique n’est pas disponible ou, comme c’est souvent le cas en sciences, pas tranché de façon nette, il doit rapporter cet état de fait au gouvernement.

D’aucuns ont fait valoir que cette responsabilité est incompatible avec l’administration des fonds voués à la recherche. C’est la notion d’indépendance du scientifique qui est ici en cause. Or, le projet de loi inclut au moins trois boucliers, pourrait-on dire, aptes à assurer cette indépendance.

1. Quand on regarde les pouvoirs des CA des sociétés d’État, on constate que le CA constitue une première ligne de défense de l’indépendance du scientifique par rapport au politique. C’est un bouclier précieux.

2. Le scientifique en chef pourra s’appuyer sur trois comités scientifiques consultatifs, dont « la majorité des membres [devra] provenir d’un établissement public de recherche ou d’un établissement d’enseignement supérieur et avoir une expérience pertinente en lien avec le secteur auquel le comité est rattaché » (article 22.27.1 ajouté par amendement). C’est un deuxième bouclier, que la communauté demandait et qu’elle a obtenu (voir le mandat des comités dans l’article 22.27.2, ajouté par amendement).

3. Enfin, l’ultime bouclier est la communauté scientifique en elle-même. Majoritaire en matière de membres au sein du comité qui procédera à sa sélection (amendement apporté à l’article 22.1), cette communauté demeurera vigilante quant à l’exercice indépendant des responsabilités du scientifique en chef.

Par ailleurs, il faut tempérer l’idée que des personnes nommées par le gouvernement ou par des organismes constitués par ce dernier pourraient jouir, sous une forme ou une autre, d’une parfaite indépendance. Cela n’existe pas.

Même l’autonomie des universités est un privilège consenti par l’État. Dans la forme actuelle du projet de loi, le gouvernement mandate le scientifique en chef d’agir avec l’indépendance que requiert sa fonction. Si la personne mandatée à cet effet n’agit pas de la sorte, elle contreviendra à la loi et, dans ce cas, fera preuve d’incompétence ou de malhonnêteté.

Or, il s’avère que depuis plus de dix ans, la fonction de scientifique en chef au Québec est remplie avec brio, engagement, conviction et rigueur et, rappelons-le, malgré les changements de gouvernement.

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QOSHE - Gare aux procès d’intention et aux effets de toge - Martin Maltais
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Gare aux procès d’intention et aux effets de toge

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08.05.2024

L’Acfas s’est prononcée officiellement sur le projet de loi 44, et nous tenons, tous les trois, à rappeler publiquement les grandes lignes de notre position afin d’éviter toute ambiguïté sur celle-ci.

L’Acfas n’aurait pas demandé de modifications au cadre juridique régissant le financement public de la recherche scientifique au Québec. Le modèle en vigueur depuis 2011 s’est avéré satisfaisant aux yeux de la communauté de recherche québécoise, et il n’appelait pas de modifications structurelles.

Toutefois, le gouvernement s’apprête à prendre la décision de modifier ce cadre juridique. Le mémoire de l’Acfas met en relief que le projet de loi respecte généralement bien les principes fondamentaux qui assurent la validité de la recherche scientifique au Québec, principes que nous avons pris le temps de définir avant de formuler sept recommandations. Les amendements au projet de loi que le gouvernement a déjà adoptés — et qui découlent largement des recommandations de l’Acfas — concourent à mitiger les risques inhérents à cette modification et, selon notre perspective, assurent la protection juridique, administrative et financière de l’activité de recherche au Québec.

Comment dire ? Notre système politique permet à des organisations comme la........

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