Tout récemment, un groupe de présidentes et de présidents des défuntes commissions scolaires francophones a ressenti le besoin de se réunir et de boucler la boucle. Un bâillon et une pandémie plus tard, nous n’avions pas eu l’opportunité de faire le bilan de notre aventure politique commune. Nous saluons l’initiative de deux collègues engagés à faire de ce moment d’échange un temps fructueux pour chacune et chacun. Un deuil, ça prend du temps…

Très rapidement, nos discussions se sont tournées vers l’actualité et chaque personne présente pouvait relater une histoire réelle, vécue dans sa communauté, liée à la perte de démocratie locale, à la centralisation décisionnelle, à l’absence de représentativité pour les parents dans le besoin. À n’en pas douter, l’impact du bleu standardisé de la gestion uniforme du réseau public d’éducation se fait sentir partout au Québec.

Un groupe de passionnés ne tarde jamais à atteindre la question des valeurs comme objet central des discussions. La question de l’équité nous est apparue alors évidente : l’école québécoise ressemble à une marchandise et les parents d’élèves à des clients dans ce système d’écoles à trois vitesses si fortement décrié au Québec et ailleurs au Canada.

Comment le Québec en est-il arrivé là ?

Devant le refus répété de tous les gouvernements de mettre fin à l’école privée subventionnée, malgré toutes les démonstrations illustrant les coûts financiers et sociaux qu’engendre le maintien de ce financement, le réseau public a choisi, à l’époque, de combattre la promesse d’excellence par la promesse d’excellence. Les commissions scolaires ont donc contribué à passer d’un système d’éducation à deux vitesses, le privé et le public, à un système à trois vitesses : le privé, le public et le public sélectif.

L’idée ici n’est pas de condamner les décisions prises par les élus scolaires. Elles sont faciles à comprendre. Le réseau public, dans certaines régions du Québec, perdait jusqu’à 40 % de sa « clientèle » au profit de l’école privée et échappait, par le fait même, une large part de son financement. Il devenait alors difficile d’offrir l’ensemble des ressources nécessaires à la réussite éducative de tous les élèves. Il fallait donc contrer l’exode. Le gouvernement ne voulant pas cesser de financer l’école privée (on n’enlève pas un privilège à des privilégiés sans en subir les conséquences), il fallait agir.

La créativité des acteurs du réseau public aura alors permis de développer une offre de service diversifiée autour de projets particuliers attrayants, porteurs de motivation scolaire et d’apprentissage signifiant. Les effets de cette nouvelle offre de service se sont fait sentir, petit à petit, sur la rétention des élèves à l’école publique, notamment lors du passage du primaire au secondaire.

Voilà comment nous avons contribué à la situation dans laquelle nous nous retrouvons actuellement.

Nous, les élus scolaires, avons été confrontés à une inertie politique hors de notre contrôle. Nous avons réagi par la même logique : une logique de marchandisation des élèves. Ce faisant, en améliorant l’offre de service, nous avons encouragé le « magasinage », la recherche du « mieux pour mon enfant », sans prendre la réelle mesure du paradigme en place et de la nécessité de penser autrement la signification du fameux « mieux pour mon enfant ». Le mieux se retrouve-t-il dans le choix individuel ou dans l’intérêt collectif ? Est-il « mieux » pour un enfant d’avoir le meilleur « service » ou de prendre la pleine mesure de la société dans laquelle il évolue ?

Notre réflexion s’est alors tournée vers la mission de l’école québécoise, la mission des commissions scolaires et leur valeur centrale : l’équité des chances offertes à chaque élève, pour lui permettre d’atteindre son plein potentiel.

Il nous est apparu évident qu’il était urgent de mettre fin au système de marchandisation de l’école québécoise dans laquelle les mieux nantis se retrouvent privilégiés et ceux moins choyés demeurent isolés dans leurs difficultés. Il est temps de retrouver l’idée du bien commun et de la force du collectif diversifié et inclusif.

Si nous avons contribué à favoriser le « marché de l’école » au Québec, nous souhaitons aujourd’hui le reconnaître mais dénoncer la pérennité de cette iniquité systémique. Pour nous, l’école doit être le coeur de sa communauté, être totalement gratuite, non sélective et porteuse de projets mobilisateurs pour les élèves. Ainsi, tous les enfants d’un même quartier, sans discrimination, devraient aller à l’école ensemble et ne pas avoir à se demander s’il y aura une place pour eux dans l’école du quartier. Toutes les écoles du Québec devraient être des écoles de quartier.

Si nous croyons en la force d’un vivre-ensemble inclusif et respectueux des différences, il est urgent de mettre fin à l’école à trois vitesses et de restructurer l’ensemble du système scolaire. Il nous apparaît impératif de permettre à nos enfants de fréquenter une école dont l’organisation reflète la société à laquelle nous aspirons toutes et tous.

À la fin de notre rencontre, nous nous sommes quittés heureuses et heureux de nous être revus et de poser, à travers cette lettre, un dernier geste de politique scolaire rempli d’espoir.

Ont cosigné cette lettre : Louise Lortie, dernière vice-présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec et dernière présidente de la commission scolaire de Laval ; Andrée Bouchard, dernière présidente de la commission des Hautes-Rivières ; Hélène Roberge, dernière présidente de la commission scolaire des Patriotes ; Francine St-Denis, dernière présidente de la commission scolaire des Trois-Lacs ; Jean-Pierre Pigeon, dernier président de la commission scolaire des Chic-Chocs ; Jean-Pierre Joubert, dernier président de la commission scolaire de la Rivière-du-Nord ; David Montminy, dernier président de la commission scolaire de Portneuf ; Édith Samson, dernière présidente de la commission scolaire Kamouraska–Rivière-du-Loup ; Gaston Rioux, dernier président de la commission scolaire des Phares ; Yves Gilbert, dernier président de la commission scolaire des Hauts-Cantons ; Gaétan Gilbert, dernier président de la commission scolaire de l’Or-et-des-Bois ; Gilles Normand, dernier président de la commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke ; Paule Fortier, dernière présidente de la commission scolaire des Mille-Îles ; Marjolaine Arsenault, dernière présidente de la commission scolaire de la Riveraine ; Catherine Harel-Bourdon, dernière présidente de la commission scolaire de Montréal ; Ginette Côté, dernière présidente de la commission scolaire de l’Estuaire ; Céline Lefrançois, dernière présidente de la commission scolaire des Monts-et-Marées ; Alain Grenier, dernier président de la commission scolaire de la Côte-du-Sud ; Frank Mooijekind, dernier président de la commission scolaire de la Vallée-des-Tisserands ; Claude Beaulieu, dernier président de la commission scolaire des Draveurs ; Jean Couture, président de la commission scolaire René-Lévesque (2003-2020) ; Pierre Rivard, dernier président de la commission scolaire du Lac-Témiscamingue ; Manon Robitaille, dernière présidente de la commission scolaire de la Capitale ; Gisèle Godreau, ex-présidente de la commission scolaire des Laurentides ; Jean Parisé, dernier président de la commission scolaire de la Moyenne-Côte-Nord ; Roxanne Thibeault, dernière présidente de la commission scolaire du Lac-Saint-Jean ; Éric Bergeron, dernier président de la commission scolaire de la Jonquière ; Francine Cyr, dernière présidente de la commission scolaire des Îles.

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Insuffler de l’espoir à l’école québécoise

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07.05.2024

Tout récemment, un groupe de présidentes et de présidents des défuntes commissions scolaires francophones a ressenti le besoin de se réunir et de boucler la boucle. Un bâillon et une pandémie plus tard, nous n’avions pas eu l’opportunité de faire le bilan de notre aventure politique commune. Nous saluons l’initiative de deux collègues engagés à faire de ce moment d’échange un temps fructueux pour chacune et chacun. Un deuil, ça prend du temps…

Très rapidement, nos discussions se sont tournées vers l’actualité et chaque personne présente pouvait relater une histoire réelle, vécue dans sa communauté, liée à la perte de démocratie locale, à la centralisation décisionnelle, à l’absence de représentativité pour les parents dans le besoin. À n’en pas douter, l’impact du bleu standardisé de la gestion uniforme du réseau public d’éducation se fait sentir partout au Québec.

Un groupe de passionnés ne tarde jamais à atteindre la question des valeurs comme objet central des discussions. La question de l’équité nous est apparue alors évidente : l’école québécoise ressemble à une marchandise et les parents d’élèves à des clients dans ce système d’écoles à trois vitesses si fortement décrié au Québec et ailleurs au Canada.

Comment le Québec en est-il arrivé là ?

Devant le refus répété de tous les gouvernements de mettre fin à l’école privée subventionnée, malgré toutes les démonstrations illustrant les coûts financiers et sociaux qu’engendre le maintien de ce financement, le réseau public a choisi, à l’époque, de combattre la promesse d’excellence par la promesse d’excellence. Les commissions scolaires ont donc contribué à passer d’un système d’éducation à deux vitesses, le privé et le public, à un système à trois vitesses : le privé, le public et le public sélectif.

L’idée ici n’est pas de condamner les décisions prises par les élus scolaires. Elles sont faciles à comprendre. Le réseau public, dans certaines régions du Québec, perdait jusqu’à........

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