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BIFURCATION SOCIALE ET ECOLOGIQUE - CONTRIBUTION 2 / Le travail, principal ...

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La modernité et ses récits dominants n’ont pas seulement déterminé le rapport d’une partie de l’humanité à la propriété et à la nature, ni engendré le cadre capitaliste dans lequel s’inscrivent toujours les rapports économiques et sociaux de la plupart des habitants de la planète : ils ont aussi fixé la place et le rôle du travail dans nos sociétés.

Et c’est notamment à deux grands penseurs de la modernité – Hegel et Marx – que l’on doit la définition toujours actuelle du travail comme « mode d’action par lequel les êtres humains, en organisant "leurs forces propres comme forces sociales[1]", s’inscrivent comme des membres à part entière de la communauté humaine ».

Cette définition permet d’appréhender la double dimension fondamentale du travail, à la fois socialisante et créatrice, puisqu’elle permet de comprendre non seulement que c’est par le travail que les individus s’intègrent dans leur communauté, mais aussi que c’est ainsi qu’ils façonnent la société et même le monde qu’ils habitent. Le monde pouvant être compris, dans une approche phénoménologique, comme la couche d’artefacts – routes, ponts, maisons, etc. – dont les êtres humains recouvrent la nature pour la rendre habitable.

Ainsi, selon la manière dont l’appareil productif est organisé, selon les conditions dans lesquelles s’exerce le travail, et selon les finalités qu’il poursuit, non seulement les travailleuses et les travailleurs seront plus ou moins exploités ou émancipés, plus ou moins reliés ou atomisés, mais la société sera plus ou moins juste et le monde sera plus ou moins viable.

Voilà pourquoi le travail est, non pas seulement l’un des marqueurs, mais l’un des principaux lieux où doit se jouer la bifurcation.

Cela, nous le savons d’ailleurs depuis Marx, qui faisait de la classe laborieuse – le prolétariat – l’agent de la révolution qui devait abolir le capitalisme et faire émerger une société communiste, c’est-à-dire une société où les travailleurs, ayant collectivement repris possession des moyens de production, décideraient eux-mêmes des conditions, des finalités et de la juste répartition de la valeur issue de leur travail.

Mais ce que l’on peut noter, c’est que Marx n’a jamais pensé que les travailleurs devaient rompre avec le productivisme – c’est-à-dire, avec la production sans limite – rendu possible par le développement de la technique dans l’économie capitaliste.

Au contraire, le productivisme était pour lui une condition d’émergence du communisme – qu’il a conçu comme un régime où devait se partager la richesse et l’abondance des biens produits, et non la rareté – et il voyait par ailleurs dans l’extension grandissante de l’automatisation du travail et de ce qu’il appelait « le système des machines » la possibilité, pour les travailleurs, de s’affranchir progressivement du travail pour se consacrer à des tâches plus épanouissantes, telles l’activité artistique ou scientifique.

Le problème est :

1/ que Marx ne s’est pas vraiment demandé qui allait fabriquer, manipuler et surtout maintenir les machines (qui, si elles peuvent en effet libérer une partie des travailleurs, nécessitent tout de même qu’une autre partie d’entre eux se consacre à leur fabrication et à leur fonctionnement et à leur conservation en bon état).

2/ L’autre problème est qu’il n’a pas suffisamment identifié que, derrière la libération par les machines, pouvait se nicher une nouvelle servitude pour les classes laborieuses : la servitude à l’égard des machines précisément (et non pas seulement à l’égard des capitalistes qui les possèdent), machines qui privent progressivement........

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