Le tableau de bord de l’éducation dévoilé cette semaine par le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, tombe à point nommé. Il vient soulager une partie de l’immense besoin de savoir exactement ce qui se déroule en temps réel dans les quelque 3000 écoles que compte le Québec. En plus de lever le brouillard sur certains indicateurs clés de l’éducation, il fait la part belle à la réussite des élèves. C’est là que sa focalisation doit en effet se situer.

Depuis son arrivée à la tête de l’Éducation, en octobre 2022, le ministre Drainville n’a jamais caché ni son étonnement ni son exaspération face à l’immense défi que représente le seul fait de trouver des réponses à des questions en apparence simples : combien de classes ne répondent pas aux critères de qualité de l’air, combien d’élèves sont à risque de subir un échec scolaire ? Il a raconté s’être retrouvé à devoir faire le tour des 72 centres de services scolaires « à la mitaine » pour savoir combien d’enseignants manquaient à l’appel lors de la dernière rentrée scolaire. Cette réponse se trouve désormais sous l’onglet « Personnel scolaire » du tableau de bord de l’éducation.

On ne peut qu’applaudir à cette initiative qui vient répondre à un réel problème de transparence, vécu non seulement par le ministre, mais aussi par tous les acteurs intéressés par l’éducation, du personnel des écoles aux parents, en passant par les chercheurs. Le tableau de bord de l’éducation demeure toutefois un outil, et non une destination ; c’est l’usage qu’on fera de ces données ou les actions qu’il commandera qui permettront de juger son succès futur. Comme on l’a vu en santé, où un tel concentré d’indicateurs existe aussi, les données ne font pas foi de tout, car c’est souvent ce qui se cache derrière elles qui témoigne des réels problèmes vécus par les systèmes. Par exemple, on peut arguer que le nombre de patients orphelins a bel et bien baissé au Québec, mais est-ce que la donnée témoignant du nombre de patients ayant accès à un médecin de famille rend compte du parcours du combattant que constitue encore, pour les citoyens, la prise de rendez-vous avec ledit médecin ? Non, le tableau de bord n’en souffle pas mot, mais sur le plan des chiffres, tout roule. En somme, ces indicateurs montrent une tendance, mais ils ne disent pas tout.

Au chapitre des bonnes nouvelles, soulignons aussi le fait que le tableau de bord plonge là où il le faut : non seulement dans les données concernant la pénurie de personnel ou la qualité de l’air dans les écoles, mais directement au coeur de la réussite, avec des chiffres qui témoignent de réalités crues, comme les écarts de réussite toujours inquiétants entre les filles et les garçons, ou encore la chute du taux de diplomation au secondaire après cinq ans. Ce sont là des données précieuses qui, au dire du ministre, seront colligées en temps réel pour permettre des actions de soutien là où il le faut, quand il le faut. Ce plan théorique tiendrait mieux la route, bien sûr, si les ressources humaines ne manquaient pas tant à l’appel, mais l’intention est excellente.

Chantre de l’efficacité comme son patron le premier ministre François Legault, Bernard Drainville a laissé échapper cette semaine qu’il réfléchit à la possibilité de pousser plus loin l’exercice en ajoutant une touche de « palmarès des écoles publiques » à son tableau de bord. L’idée, qui n’en est qu’à ce stade, a eu tôt fait de faire réagir les détracteurs des palmarès, allergiques à l’idée de classer les écoles des meilleures aux pires. Ce débat n’a rien de neuf. Au début des années 2000, le Bulletin des écoles secondaires, publié par L’actualité et conçu par des chercheurs de l’Institut économique de Montréal et de l’Institut Fraser, mettait le Québec en émoi chaque automne. Il y avait, d’un côté, des parents fébriles qui faisaient la chasse aux meilleurs établissements armés de cet outil et, de l’autre, les syndicats, le ministère et les commissions scolaires outrés de voir un palmarès conçu sur une base inéquitable devenir aussi populaire. Les journaux de Québecor continuent aujourd’hui à publier un bulletin des écoles conçu par l’Institut Fraser.

Il y a en effet de tristes limites à comparer des écoles de milieux favorisés à leurs voisines de quartiers plus pauvres, lorsqu’on sait que l’indice socio-économique a un impact important sur la réussite. Les palmarès de jadis, qui comparaient les écoles privées et les écoles publiques, donnaient bon an, mal an les 75 premières places de leurs 450 cases à des établissements privés ou publics comportant un volet international.

Si l’idée de Bernard Drainville est de classer les écoles pour sonder les recettes de celles qui font de petits miracles dans l’adversité, alors soit, pourquoi pas, surtout si l’opération ne met pas de côté un enjeu aussi important que l’égalité des chances. La véritable valeur ajoutée d’une école ne se camoufle-t-elle pas là où des équipes valeureuses réussissent à faire fleurir des succès en dépit de leurs défis particuliers ?

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

QOSHE - L’école à visière levée - Marie-Andrée Chouinard
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L’école à visière levée

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21.03.2024

Le tableau de bord de l’éducation dévoilé cette semaine par le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, tombe à point nommé. Il vient soulager une partie de l’immense besoin de savoir exactement ce qui se déroule en temps réel dans les quelque 3000 écoles que compte le Québec. En plus de lever le brouillard sur certains indicateurs clés de l’éducation, il fait la part belle à la réussite des élèves. C’est là que sa focalisation doit en effet se situer.

Depuis son arrivée à la tête de l’Éducation, en octobre 2022, le ministre Drainville n’a jamais caché ni son étonnement ni son exaspération face à l’immense défi que représente le seul fait de trouver des réponses à des questions en apparence simples : combien de classes ne répondent pas aux critères de qualité de l’air, combien d’élèves sont à risque de subir un échec scolaire ? Il a raconté s’être retrouvé à devoir faire le tour des 72 centres de services scolaires « à la mitaine » pour savoir combien d’enseignants manquaient à l’appel lors de la dernière rentrée scolaire. Cette réponse se trouve désormais sous l’onglet « Personnel scolaire » du tableau de bord de l’éducation.

On ne peut qu’applaudir à cette initiative qui vient répondre à un réel problème de transparence, vécu non seulement par le ministre, mais aussi........

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