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Si nos ordures parlaient

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27.09.2024

Nos poubelles nous parlent, que dis-je, elles hurlent comme un camion à déchets qui grince en avalant des kilomètres de rebuts, de surplus en parfait état, d’aliments intacts cachés dans des bennes ou des sacs verts, de vêtements utiles, d’objets encore capables de remplir leur fonction première. Loin des yeux, loin de la conscience.

Dans certains quartiers, on jette ses choux gras, dans les autres, on éventre les sacs verts à la chasse au trésor. Dans mon secteur, les « encombrants » seront ramassés le 14 octobre prochain. La veille, ce sera un festival IKEA à ciel ouvert. L’ex-Cowboy Fringant Dominique Lebeau (et ex-conseiller municipal à Saint-Lambert) m’a écrit qu’il s’était meublé comme ça, les jours d’encombrants.

J’entretiens de longue date une fascination (sûrement malsaine) pour nos déchets et ce qu’on y trouve, me désolant de voir ce que l’on abandonne sur le trottoir, victimes innocentes de la surconsommation, de l’obsolescence programmée, des modes, de nos envies, de notre obésité mentale insatiable, de nos insatisfactions renouvelables. Je prends des photos durant les journées de gros rebuts. C’est anthropologique.

Je ne suis pas la seule. L’éboueur Simon Paré-Poupart, qui vient de publier l’excellent Ordures ! Journal d’un vidangeur, nous en met plein les sens avec le récit passionnant de ce qu’il jette dans le camion toute la journée. Voilà un métier qu’il exerce par passion trois jours par semaine, malgré une maîtrise en administration internationale, et qui lui permet aussi de pratiquer le « freeganisme », une forme de revalorisation de nos déchets. « La production annuelle de déchets solides a dépassé les 2 milliards de tonnes dans le monde et devrait atteindre 3,4 milliards en 2050. On trouve des ordures jusque dans l’espace. Près de 10 000 tonnes orbitent autour de la Terre. Devrais-je envoyer mon CV à la NASA ? » écrit le vidangeur de 38 ans. Son professeur, le philosophe Alain Deneault, lui a conseillé d’écrire ce livre. Ces témoignages d’ouvriers scolarisés et capables d’observer le monde à la Zola sont aussi rares que précieux.

La production crée le consommateur.

C’est si vrai que Paré-Poupart m’a donné envie de ressortir Le ventre de Paris de Zola (1873), que je me suis lu à voix haute cette semaine, pour le simple plaisir de retrouver la rue, les Halles, les laissés-pour-compte, les restaurateurs qui refilent leurs restants........

© Le Devoir


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