On est quoi, nous?
Tu m’appelles encore « chérie ». Même reparti en Haute-Marne avec ton chat, tes guitares et claviers, des fils à retordre et deux pots de mes confitures, tu seras toujours un Viking dans mon coeur. Y a des amours qui ne s’expliquent pas. On en fait des romans et même ces pages-là laissent des points de suspension sur le papier et s’encrent dans la peau.
Vendredi dernier, dernière soirée à Montréal, on a tenté le verre de bulles au bar du Ritz (bof bof) parce qu’il y a bientôt six ans, à notre premier rendez-vous (« rencart », c’est sinistre), en passant devant la vénérable institution, j’avais lancé : « Un verre de champagne au Ritz ? » Nous ne l’avions jamais fait. C’est le genre d’arnaque qui peut attendre.
La serveuse a dû nous trouver bien intenses avec nos mouchoirs de tissu lavables, nos mains jointes sur la table comme une prière qui ne s’exaucera pas. Je n’ai jamais vu un garçon contenir autant de larmes.
Mon amimoureux est reparti dans son pays ; mon (jeune) amant français, mon frex (friend et ex), mon inexplicable, mon incasable millénarial. Tu en chialais depuis des mois ; le générique d’une parenthèse de 13 ans approchait. Mon histoire la plus intime et la plus électrique, je l’aurai vécue à 55 ans. Northvolt n’accotera jamais ça.
Combien de fois avons-nous lancé à la blague : « On est quoi, nous ? » On se trouvait drôles. Nous étions à l’aise dans la marge. Pour les autres, c’était à la fois mystérieux, voire agaçant, affaire non classée, hors norme, improductive, mais romanesque. Un amour un peu fou, des frontières floues et un fil invisible, incassable.
Tu t’es tatoué « je me souviens » et un point après l’équation sur le bras. Le point, c’est pour le roman. Faut savoir lire. J’ai toujours dit qu’on faisait un voyage dans le voyage. Et que l’élégance, c’est tout. Tu t’en souviendras toute ta vie ; les tatouages, c’est fait pour ça.
Et nous ne pourrons plus jamais écouter Maintenant, je sais ou Johnny sans fabriquer de la buée. Et moi, je me rejoue L’escalier de Paul Piché, si jolie et si sage :
« Quand j’ai compris que j’faisais
Un très très grand détour
Pour aboutir seul dans un escalier
J’vous apprends rien quand j’dis
Qu’on est rien sans amour
Pour aider l’monde faut savoir être aimé.........
© Le Devoir
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