L’ange gardienne et le philosophe
Éluard écrivait qu’il n’y a pas de hasard, que des rendez-vous. Un tel rendez-vous se préparait de longue date avec mon correspondant, le philosophe Jacques Dufresne. Pas une de ses missives où cette personnalité singulière ne déterre un poète ou un vieux Grec, sans pédanterie, simplement par plaisir de léguer, de passer le témoin à la prochaine équipe.
À 82 ans, sucrant les fraises du parkinson sans apitoiement, il est entré en RPA à Magog en novembre dernier avec sa femme, Hélène Laberge, sa compagne depuis 62 ans, silencieuse et arborant un sourire de Joconde dans son écrin alzheimer. C’est là que je les ai rencontrés, la semaine dernière.
Malgré les épreuves de l’âge et de la maladie, les deuils, la belle maison d’Ayer’s Cliff laissée derrière, on peut encore rencontrer l’amour, un « amour sans les hormones », nuance-t-il. L’homme de lettres et de mots me présente son élue, celle qu’il surnomme Diotime, la prophétesse du Banquet de Platon qui instruit Socrate des choses de l’amour.
Il y a depuis la petite enfance jusqu’à la tombe, au fond du coeur de tout être humain, quelque chose qui, malgré toute l’expérience des crimes commis, soufferts et observés, s’attend invinciblement à ce qu’on lui fasse du bien et non du mal. C’est cela avant toute chose qui est sacré en tout être humain.
La rencontre entre l’humble et sensible Nathalie Lévesque, 53 ans, préposée aux bons soins nocturnes des résidents, et le philosophe un peu poète est le fruit du pur hasard. Ces deux-là n’avaient pas la moindre chance de se croiser, hormis lorsque l’âge vous rend à tout homme semblable.
« Vous n’êtes que lumière, adorable moitié / D’une amour trop pareille à la faible amitié » (Paul Valéry), récite « Monsieur Jacques » pour expliquer le mot philia, une amitié qui ressemble à un amour raisonnable. Nathalie est entrée aux Jardins Pinecroft après avoir « levé les feutres » comme préposée en milieu hospitalier, où tout allait trop vite pour elle.
Depuis 2019, elle prend le temps, discute avec ses résidents, chante La ballade des gens heureux dans la cafétéria, philosophe sur la vieillesse et la mort avec « Monsieur Jacques », qu’elle tutoie ou vouvoie. Et celui-ci d’ajouter ces vers de Victor Hugo : « Si vous vouliez, je serais prince ; je serais dieu, si tu voulais. »
Nathalie sourit, habituée à ces élans poétiques qui appartiennent à la culture classique de son pensionnaire haut perché : « Mon appel, c’est de travailler avec........
© Le Devoir
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