Un mal de dents
C’était après la guerre, dans un village des Cantons-de-l’Est accroché à une montagne et cerné par les maringouins et les Américains, ces deux peuples avides de sang.
À l’époque, dans ce milieu, Curtis Lowry aurait fort bien pu devenir maquignon, contrebandier ou colporteur. L’homme avait plutôt choisi de devenir docteur. Avant la guerre, il avait cogné à la porte de l’Université Bishop’s, puis à celle de l’Université Laval. On le laissa entrer, même s’il avait un peu de terre à ses souliers, sachant qu’il possédait quelques dollars en poche.
Ce n’était pas donné à tout le monde d’être appointé grâce à l’université. Lowry demeura, sa vie durant, celui que dans tous les villages environnants on appelait avec déférence « le docteur ».
Il louait des réduits, dans diverses maisons des villages des environs, où il offrait ses services à date fixe. Mon père m’a raconté, en ouvrant la bouche pour me montrer, comment le docteur arrachait les mauvaises dents au village de Saint-Isidore, faute de savoir bien les soigner.
Sans doute que cet arracheur de dents improvisé n’était pas si différent que ses confrères. Ils essayaient, eux aussi, de faire au mieux entre deux accouchements et des malades. En matière de soins dentaires, pareil docteur semblait près du forgeron muni de ses pinces de fer. De telles habiletés empruntées à un autre corps de métier auraient été suffisantes pour parler, selon les termes en usage dans notre système d’éducation édenté, de « compétences transversales ».
Aux enfants aux dents cariées et aux gencives........
© Le Devoir
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