La voix de nos maîtres
La toute première voix d’ici à être entendue en 1929, par le truchement du cinéma, ne fut pas celle du premier ministre Louis-Alexandre Taschereau, mais celle d’un officier de l’armée. À l’arrivée du traîneau du lieutenant-gouverneur de la province, tiré par des chevaux, c’est ce militaire qu’on entend gueuler ses ordres en anglais, avec un accent français, dans le premier film parlant qui vient d’être numérisé.
Les soldats de Sa Majesté présentent l’acier de leurs armes, tandis que des cuivres jouent le God Save the King. Ce n’est qu’après cette arrivée royale que se fait entendre la voix saccadée du premier ministre Taschereau, cet avocat qu’avait giflé, dans ce même parlement, le journaliste Olivar Asselin.
Élu sans discontinuer depuis 1900, Taschereau est vêtu d’un élégant manteau au col de vison lustré. Il est coiffé d’un feutre aux larges bords. Devant la caméra, ses lèvres surmontées d’une moustache fine articulent son propos en anglais. Il parle des milliers de Canadiens français partis vivre aux États-Unis. Il en parle sans dire quelle misère ces gens fuyaient.
Ces images, tournées à l’hiver 1929, anticipent de peu le terrible refroidissement économique qui survient quelques mois plus tard. Cette crise va plonger plus profondément encore dans la misère le gros de la population.
Chez les Taschereau cependant, une famille qui profitait des inégalités de la féodalité, tout continue comme avant. La famille conçoit ses privilèges immémoriaux comme le fruit d’un processus de sélection objectif. Les Taschereau engendrent........
© Le Devoir
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