Un homme libre
Il était arrivé un peu à l’avance, comme moi. On s’était croisés à la sortie de l’ascenseur. Je ne pouvais pas le rater. Avec ses airs de professeur Tournesol, ses mèches en désordre et ses yeux moqueurs, Boualem Sansal ne passe jamais inaperçu. Nous étions là pour parler de son dernier livre, fort justement intitulé Le français, parlons-en !. Avec cette sorte de douceur dans la voix, Sansal sautait du coq à l’âne avec toujours la même parole libre et cette façon de lâcher des vérités sonnantes et trébuchantes derrière un sourire narquois en ayant l’air de ne pas y toucher. Une fête de la liberté de parole à mille lieues de cette langue de bois dictée par la rectitude politique devenue la règle dans trop de médias.
Pour Sansal, pas question de s’enfermer dans des « safe spaces », de pratiquer le volapük des « sensitives readers » ou l’écriture prétendument « inclusive », qui avaient le don de le mettre en colère. Comment donc imaginer cet homme désinvolte rencontré il y a deux mois à peine, dont la parole a toujours été synonyme de liberté, aujourd’hui derrière des barreaux ?
À ses risques et périls, il vivait toujours au bord de la mer à cinquante kilomètres d’Alger, dans la petite ville universitaire de Boumerdès. Même s’il venait d’obtenir la nationalité française et se cherchait une maison près de Paris, nous avait-il confié. De tempérament insouciant et frondeur, il ne pouvait probablement pas imaginer qu’il allait être arrêté à Alger et inculpé d’«........
© Le Devoir
visit website