Trafic à Marseille. Philippe Pujol : « Plus l’autorité échoue, plus on la renforce »
Dans le dernier volet de sa trilogie sur le trafic de stupéfiant à Marseille, « Cramés, les enfants du monstre », le journaliste fait-diversier, documentariste et écrivain s’attaque cette fois au dernier maillon de la chaîne, les « esclaves du shit ». Le lauréat 2014 du prix Albert-Londres livre, après vingt ans d’enquête sur les quartiers Nord de la cité phocéenne, un appel à sauver les « vulnérables », purs produits de l’ubérisation de la délinquance.
Il connaît les quartiers les plus pauvres de Marseille comme sa poche, comprend les rouages du trafic de stupéfiants, du clientélisme et de la corruption, qui font de cette ville l’observatoire d’une réalité bien amère. À presque 50 ans, le journaliste multiprimé, figure locale incontournable ayant fait ses débuts à « la Marseillaise », dresse le portrait, sous un troisième prisme, de ce qu’il a nommé « le monstre ».
Grâce à une sensibilité bien dissimulée et un sens de l’humour aiguisé, le Corso-Marseillais est parvenu à se frayer un chemin au cœur des réseaux les plus violents, mais surtout dans l’intimité des plus « vulnérables », des jeunes à la marge de la société, abandonnés des pouvoirs publics, esclavagisables à souhait.
Après « la Fabrique du monstre », et « la Chute du monstre », vous revenez avec un troisième opus, « Cramé, les enfants du monstre », portant sur la chair à canon du trafic de stupéfiants. Qui est ce monstre ? À qui bénéficie-t-il ?
Le « monstre », ce sont toutes les malfaçons, les dysfonctionnements de notre société, aussi bien illégaux, tels que la corruption, le clientélisme, les délinquances financières, immobilières, que légaux, qui sont des choix des pouvoirs publics faits au détriment du collectif, et particulièrement des plus fragiles.
Nous parlons ainsi de l’obsession du tout-sécuritaire, du fantasme de l’ordre et de l’autorité. Ce monstre génère trois types de radicalisation : la radicalisation délinquante, décrite dans « Cramés », la radicalisation politique à l’extrême droite, et la radicalisation religieuse, qui concerne toutes les religions. C’est une somme d’intérêts différents, mais convergents.
« La plupart tentent de vivre dignement » : à Marseille, les habitants pris en otage entre le trafic de drogue et les opérations de com
Le monstre bénéficie à beaucoup de monde. Pour ne pas rendre visible la misère sociale, le système politico-médiatique se contente de traiter ses conséquences, comme si elles étaient la racine du problème. Dans le message, plutôt que de dire qu’on en est arrivé là parce qu’on a dysfonctionné, on préfère dire : « Ça dysfonctionne, donc il faut plus d’autorité. » Et plus l’autorité échoue, plus on la renforce. Pour s’autoentretenir, ce monstre a besoin de se nourrir des vulnérables, les « cramés ».
Le monde économique a lui aussi besoin de quartiers populaires dégradés. Ça fournit une main-d’œuvre pas chère pour le BTP. Ça fournit de la rénovation urbaine. Des milliards d’euros sont injectés dans le bâtiment, ça ne change rien à la vie des gens.
Mais pour dégrader une cité, rien de mieux que de........
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