Quels liens unissent les acteurs dominants des réseaux sociaux et ceux de l’IA (Intelligence artificielle)? Ils sont majoritairement Américains. Mais encore? Ils sont hostiles à la régulation de l’Union européenne qui a édicté un code de bonnes pratiques contre la désinformation. Ainsi, après la plateforme YouTube, c’est au tour de Twitter d’annoncer son retrait de ce code volontaire lancé en 2018. Motif évoqué, l’hostilité à toute forme de censure bridant la conversation en ligne. Motif plus réel: le modèle d’affaires mis en difficulté par le recul des volumes publicitaires et la perte d’abonnés. Conséquence: le déploiement d’une stratégie de reconquête de ces deux audiences. Le trafic des données personnelles constitue le véritable fonds de commerce des plateformes dites de transaction. Brider la conversation revient à brider les affaires.

D’une certaine manière, il en va de même avec les plateformes dites d’innovation dont la plus célèbre est aujourd’hui ChatGPT. De passage en Europe en mai dernier, Sam Altman, fondateur d’OpenAI et de ChatGPT, affirmait que le futur règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI Act) pouvait constituer un casus belli s’il se révélait trop contraignant. Une forme de pression qui n’a pas été du goût de Thierry Breton, Commissaire européen du numérique, qui a évoqué un chantage. On assiste là à un très classique conflit idéologique entre la Vieille Europe et les États-Unis en matière de régulation des entités économiques et plus particulièrement celles de la tech, pourvoyeuse d’innovations et de futurs emplois.

«Très mécontente de l’annonce de Twitter, la vice-présidente de la Commission européenne, Vera Jourova, ne mâche pas ses mots.»

L’institut de recherche PEW observait en mai 2022 déjà que 44% des Américains étaient encore favorables à plus de régulation des entreprises de la tech contre 56% un an plus tôt. De fait, la disruption provoquée par l’IA a pour effet de freiner des années d’efforts destinés à promouvoir une législation enfin «adulte» en matière de lutte contre les fake news et la désinformation en général, véritables fléaux en démocratie. La tech étant caractérisée par le syndrome du déterminisme – ou fuite en avant technologique – les institutions comme les parlements réagissent souvent avec un temps de retard ou en décalage. En Suisse, l’initiative du conseiller national Jon Pult (PS, Grisons) en est l’illustration: déposée en octobre 2022 et soutenue par une coalition de plusieurs organisations, elle visait à stopper la diffusion de contenus illégaux et de fake news sur les plateformes numériques. Jugée comme une forme potentielle de censure et attaquée, elle a été retirée par son auteur en février 2023, le Conseil fédéral ayant chargé le Detec de déterminer si et comment les plateformes pourraient être réglementées. Dans une question écrite, Jon Pult relançait le Conseil fédéral le 1er mars dernier et se voyait notifier une réponse liminaire le 6 mars: la problématique de la réglementation des plateformes nécessite du temps. Dont acte.

Très mécontente de l’annonce de Twitter, la vice-présidente de la Commission européenne, Vera Jourova, ne mâche pas ses mots et rappelle que la lutte contre la désinformation deviendra une obligation légale dans le cadre de la loi européenne sur les services numériques, en vigueur à partir du 25 août. Car, avec l’IA et ses contenus générés à des fins de propagande ou d’influence, la dangerosité des deepfake est déjà perceptible. Trop ou trop peu de régulation, c’est assurément la soupe à la grimace garantie.

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IA et réseaux, ou la soupe à la grimace

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08.06.2023

Quels liens unissent les acteurs dominants des réseaux sociaux et ceux de l’IA (Intelligence artificielle)? Ils sont majoritairement Américains. Mais encore? Ils sont hostiles à la régulation de l’Union européenne qui a édicté un code de bonnes pratiques contre la désinformation. Ainsi, après la plateforme YouTube, c’est au tour de Twitter d’annoncer son retrait de ce code volontaire lancé en 2018. Motif évoqué, l’hostilité à toute forme de censure bridant la conversation en ligne. Motif plus réel: le modèle d’affaires mis en difficulté par le recul des volumes publicitaires et la perte d’abonnés. Conséquence: le déploiement d’une stratégie de reconquête de ces deux audiences. Le trafic des données personnelles constitue le véritable fonds de commerce des plateformes dites de transaction. Brider la conversation revient à brider les affaires.

D’une certaine manière, il en va de même avec les........

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