En Polynésie, on croise savoirs locaux et science pour mieux gérer les lagons |
Les lagons polynésiens connaissent un déclin marqué de certaines populations de poissons. Dans ce contexte, la science seule ne suffira pas à prendre des décisions pour améliorer l’état de ces écosystèmes : les connaissances acquises par les pêcheurs à travers leur expérience de terrain apportent un regard complémentaire précieux. Ces deux formes de savoirs peuvent être alliées au service d’une gestion plus durable de la pêche.
La nuit est tombée depuis longtemps sur le récif barrière de Mo’orea. Je suis dans l’eau, lampe éteinte, guidée seulement par les silhouettes de deux pêcheurs et d’un collègue anthropologue. Nous sommes là pour observer une technique de pêche que je ne connaissais jusqu’ici qu’à travers des récits, et qui est souvent qualifiée de ravageuse : le ha’apua.
Plus tôt dans la journée, les pêcheurs ont passé plusieurs heures à disposer des filets, formant un cœur et menant à une cage. À l’endroit précis où ils ont installé ce dispositif, ils savent que les poissons se mettront en mouvement et s’y engouffreront.
Le signal est donné. Nous allumons nos lampes et les agitons dans l’eau. Nous avançons en ligne, sans vraiment comprendre ce que nous faisons, jusqu’à distinguer, dans la pénombre, les reflets argentés d’une cage pleine de ’ī’ihi (poissons-soldats). Ce qui me frappe n’est pas tant la quantité de poissons que la finesse de la manœuvre : tout repose sur une compréhension du lagon que ces pêcheurs ont reçu de leurs aînés mais ont également construite par l’observation, l’expérience et l’affûtage de leurs pratiques.
Cette expédition nocturne en dit long sur la pêche récifo-lagonaire en Polynésie française : une pratique à la fois ancienne, complexe et exigeante. Essentielle à la vie des communautés, elle nourrit les familles, soutient une économie locale et porte une dimension culturelle forte. Cependant, pêcheurs, scientifiques et habitants observent désormais des changements inquiétants : diminution de l’abondance et des tailles de certaines espèces pêchées, dégradation des habitats, prolifération de macroalgues. Les causes sont multiples : surpêche, croissance démographique, urbanisation, pollution terrigène, réchauffement........