Le 21 février, la France a rendu hommage à des hommes qui, nés hors de ses frontières, sont devenus ses fils par les rues sanguines : non celui de la filiation, mais celui du sang versé pour elle. Auparavant, un imam du Gard, Mahjoub Mahjoubi, conspuait sur les réseaux sociaux notre emblème national (« tous ces drapeaux tricolores nous gangrènent, nous font mal à la tête, n'ont aucune valeur auprès d'Allah, la seule valeur qu'ils ont c'est une valeur satanique »). Comment ne pas rapprocher ces deux attitudes ? Manouchian et ses compagnons meurent pour la France ; l’imam tunisien de la mosquée de Bagnols-sur-Cèze maudit le drapeau tricolore. Comment ne pas voir que la France est forte des étrangers qui l’aiment et pâtit de ceux qui la haïssent ?

Il est intolérable qu’un imam professe, avec cette virulence, le rejet des valeurs de la République. Ces propos sont insupportables, ne serait-ce que parce qu’ils infusent le venin du séparatisme – ou, pire encore, de la guerre sainte – parmi ses ouailles. Au demeurant, il ne s’agit pas d’un dérapage isolé ou d’un malheureux « lapsus ». Le préfet Jérôme Bonnet mentionne d’autres prêches récents de l’intéressé, qualifiant le peuple juif d’ennemi et véhiculant une vision intégriste de l’islam, notamment quant à la place de la femme dans la société. Par la haine qu’ils manifestent envers la société d’accueil, et compte tenu du péril terroriste et de la situation au Moyen-Orient, de tels prêches menacent l’ordre public tant dans son acception matérielle que dans sa dimension symbolique.

A LIRE AUSSI : Suivi depuis des mois, prêche anti-France, "lapsus" : le point sur l'affaire Mahjoub Mahjoubi, imam dans le Gard

« Aucun appel à la haine ne restera sans réponse », affirme Gérald Darmanin, qui a demandé au préfet de signaler les propos de l’imam au procureur de la République. De fait, une enquête préliminaire pour apologie du terrorisme a été ouverte. Le ministre envisage également de faire retirer à l’intéressé son titre de séjour. Enfin, l’imam est actuellement placé dans un centre de rétention administrative en vue de son éventuel éloignement du territoire.

Fort bien, mais va-t-il être effectivement expulsé ? Voilà ce qui importe à nos compatriotes. Pour eux, c’est une évidence : Mahjoub Mahjoubi n’a pas sa place en France. Encore faudrait-il que l’expulsion soit juridiquement possible. Or, c’est loin d’être sûr. Malgré le discours présidentiel des Mureaux. Malgré les déclarations martiales du ministre de l’intérieur contre l’islamisme. Malgré l’intervention de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Malgré l’adoption de la loi du 26 janvier 2024 « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » dont Gérald Darmanin assurait qu’elle permettrait d’expulser les étrangers indésirables même lorsqu’ils faisaient partie des catégories protégées contre la « double peine ».

Mahjoub Mahjoubi est père de cinq enfants nés sur le sol français. Il est marié à une Française. Il demeure en France depuis une quarantaine d’années. Il coche donc plusieurs cases des articles L 631-2 et L 631-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui soustraient à l’expulsion, même lorsque leur présence menace gravement l’ordre public, les étrangers ayant des liens personnels ou familiaux avec la France.

A LIRE AUSSI : Propos hostiles à la France de l'imam Mahjoubi : "La quintessence idéologique des Frères musulmans"

Ces articles lèvent certes cette protection dans certaines hypothèses, mais celles-ci s’appliquent-elles au cas de l’intéressé ? Non pour les condamnations à des peines de prison définitives, car il ne semble pas avoir été incarcéré. Ni pour la polygamie, ni pour les violences domestiques, ni pour les violences commises contre des élus ou dépositaires de l’autorité publique, car rien de cela ne lui est reproché. En vertu des derniers alinéas des articles L 631-2 et L 631-3 du CESEDA, le retrait de son titre de séjour ne permettrait pas non plus son expulsion. Notons que la loi du 26 janvier 2024 n’a assoupli cette protection contre l’expulsion que sur deux points : les violences domestiques et les condamnations à des peines d’emprisonnement (l’expulsion sera possible non plus seulement lorsque l’intéressé aura été condamné à une peine d’emprisonnement définitive d’au moins trois ans – article L 631-2 – ou cinq ans – article L 631-3 –, mais encore lorsqu’il aura été définitivement condamné pour des crimes ou des délits punis d’au moins trois ans ou cinq ans d'emprisonnement).

Restent la « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique » et les « comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, dont la violation délibérée et d'une particulière gravité des principes de la République énoncés à l'article L. 412-7, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ». Les prêches de l’imam de Bagnols-sur-Cèze relèvent-ils de ces rubriques ?

J’en suis pour ma part persuadé, comme je suis persuadé que telle pourrait n’être pas la position du juge compétent, tant ces formulations du CESEDA, par leur imprécision, donnent prise à une interprétation subjective (et restrictive) et tant agit puissamment sur le juge l’exigence de respect de la vie privée et familiale énoncée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

A LIRE AUSSI : L'interdiction des imams détachés va-t-elle faire pschit ? On vous explique en 5 minutes

Les jurisprudences européenne, administrative et constitutionnelle élaborées sur le fondement de cet article ne privilégient guère les intérêts supérieurs de la nation sur les droits individuels. On l’a vu dans l’affaire Iquioussen puisque, pour le tribunal administratif de Paris, la protection de la vie privée et familiale de cet imam intégriste pesait plus que la nocivité de ses diatribes contre la laïcité, les francs-maçons, les juifs et les chrétiens. L’impossibilité juridique d’expulser Mahjoub Mahjoubi, si elle était avérée, serait, pour nos compatriotes, comme pour le signataire de ces lignes, une nouvelle défaite de l’État de droit. Mais je ne doute pas que, pour une partie de la bien-pensance, ce serait une nouvelle et heureuse preuve de sa vigueur.

QOSHE - "L’impossibilité juridique d’expulser Mahjoub Mahjoubi serait une nouvelle défaite de l’État de droit" - Jean-Éric Schoettl
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

"L’impossibilité juridique d’expulser Mahjoub Mahjoubi serait une nouvelle défaite de l’État de droit"

9 9
22.02.2024

Le 21 février, la France a rendu hommage à des hommes qui, nés hors de ses frontières, sont devenus ses fils par les rues sanguines : non celui de la filiation, mais celui du sang versé pour elle. Auparavant, un imam du Gard, Mahjoub Mahjoubi, conspuait sur les réseaux sociaux notre emblème national (« tous ces drapeaux tricolores nous gangrènent, nous font mal à la tête, n'ont aucune valeur auprès d'Allah, la seule valeur qu'ils ont c'est une valeur satanique »). Comment ne pas rapprocher ces deux attitudes ? Manouchian et ses compagnons meurent pour la France ; l’imam tunisien de la mosquée de Bagnols-sur-Cèze maudit le drapeau tricolore. Comment ne pas voir que la France est forte des étrangers qui l’aiment et pâtit de ceux qui la haïssent ?

Il est intolérable qu’un imam professe, avec cette virulence, le rejet des valeurs de la République. Ces propos sont insupportables, ne serait-ce que parce qu’ils infusent le venin du séparatisme – ou, pire encore, de la guerre sainte – parmi ses ouailles. Au demeurant, il ne s’agit pas d’un dérapage isolé ou d’un malheureux « lapsus ». Le préfet Jérôme Bonnet mentionne d’autres prêches récents de l’intéressé, qualifiant le peuple juif d’ennemi et véhiculant une vision intégriste de l’islam, notamment quant à la place de la femme dans la société. Par la haine qu’ils manifestent envers la société d’accueil, et compte tenu du péril terroriste et de la situation au Moyen-Orient, de tels prêches menacent l’ordre public tant dans son acception matérielle que dans sa dimension symbolique.

A LIRE AUSSI : Suivi depuis des mois, prêche anti-France, "lapsus" : le point........

© Marianne


Get it on Google Play